Dans la cause Y.R. c. D.D., le juge Denis a tenu les propos suivants : «Il n’existe pas de somme adéquate pour compenser le vol de l’enfance et de l’adolescence d’une personne comme l’a fait le défendeur. Parler d’indemnité quand on voit les conséquences indélébiles des actes du défendeur sur la vie du demandeur est presque trivial.» Voici les faits de cette affaire, qui a retenu mon attention.

Le demandeur, alors qu’il était âgé entre 10 ans et 14 ans, a été victime de multiples agressions sexuelles de la part du défendeur, le conjoint de sa mère. En 1984, au lendemain des premiers attouchements sexuels commis par ce dernier, le demandeur en a parlé à sa mère, et celle-ci ne l’a pas cru. En 1986, sa famille est déménagée chez le défendeur. Les sévices sexuels se sont poursuivis jusqu’en 1989. Durant cette période, le demandeur a notamment commencé à souffrir d’agoraphobie et il faisait des crises d’angoisse à répétition. Un expert a établi qu’il souffrait d’un important syndrome de stress post-traumatique et lui a attribué un déficit anatomo-physiologique de 30 %. Ce n’est qu’en 2007, alors que sa mère éprouvait des ennuis avec le défendeur, que le demandeur a été capable de lui parler des sévices dont il avait été victime. Le 23 décembre 2009, il a intenté le présent recours en dommages-intérêts contre le défendeur.

Aux termes de l’article 2925 du Code civil du Québec, ce recours devait être prescrit en 1992. Toutefois, dans P.L. c. J.L., 2011 QCCA, à la lumière de M (K.) c. M. (H), [1992], 3 R.C.S. 6, il a été établi que les préjudices causés par l’inceste sont particulièrement complexes et dévastateurs et qu’ils se manifestent souvent d’une façon lente et imperceptible, de sorte qu’il se peut que la victime finisse par prendre conscience des préjudices qu’elle a subis et de leur cause longtemps après que tout recours civil soit apparemment prescrit.

Comme le défendeur agissait à titre de père du demandeur, il a été établi que ses gestes devaient être associés à de l’inceste. D’ailleurs, il a admis les faits reprochés et a été reconnu coupable de contacts sexuels (art. 151 du Code criminel) et d’exploitation sexuelle (art. 153.1).

Comme le demandeur était incapable, physiquement et psychologiquement d’appréhender la monstruosité de ce qu’avait été son enfance et d’agir de façon libératrice, il y a eu interruption de prescription de 1989 à 2007. Une somme de 100 000 $ lui a été accordée à titre de dommages-intérêts.

Malheureusement, le défendeur menaçait de demander à bénéficier de l’aide sociale à sa sortie de prison. Pour cette raison, l’exécution provisoire du jugement a été accordée pour la moitié de la condamnation. Afin de faire réduire l’indemnité compensatoire, le défendeur a déposé une requête pour permission d’interjeter appel hors délai, laquelle a été rejetée. Tel qu’il est mentionné par le juge Denis, espérons maintenant que le jugement marque une étape dans la vie de la victime et que celui-ci trouve la sérénité dont il a été trop longtemps privé. 

Référence

 Y.R. c. D.D.* (C.S., 2012-10-09), 2012 QCCS 6297, SOQUIJ AZ-50922469, 2013EXP-327, J.E. 2013-165

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