[1] Plusieurs décisions ont été rendues en matière d’assurance durant l’année 2012. Dans la présente revue jurisprudentielle, nous en aborderons six qui portent plus particulièrement sur les questions suivantes : la déclaration du sinistre, l’attentat à la vie de l’assuré, la notion d’«invalidité totale», la modification d’un contrat d’assurance collective sans l’approbation des adhérents et, enfin, l’obligation d’indemniser de l’assureur.

L’obligation de l’assuré de déclarer le sinistre

[2] Le 20 juillet 2012, dans J.V. c. Compagnie d’assurance-vie Croix Bleue[1],la Cour supérieure a conclu que l’assuré était déchu de son droit d’exiger une indemnité d’assurance puisqu’il ne s’était pas conformé aux délais de déchéance prévus au contrat d’assurance. Dans cette affaire, le demandeur, qui est membre du Barreau du Québec, a souscrit un contrat d’assurance délivré par la défenderesse, Compagnie d’assurance-vie Croix Bleue. Le 6 mai 2008, il a subi un accident vasculaire cérébral (AVC) qui l’a rendu inapte à exercer son travail pour une durée indéterminée. Un avis à cet effet a été transmis à la défenderesse le 4 mars 2011. La réclamation d’une indemnité d’assurance par le demandeur était relative à l’une des garanties expresses prévues à son contrat multiprotections, soit la protection «mutilation par accident». L’article 2394 du Code civil du Québec (C.C.Q.) prévoit que les clauses d’assurance contre la maladie ou les accidents qui sont accessoires à un contrat d’assurance sur la vie ainsi que les clauses d’assurance sur la vie qui sont accessoires à un contrat d’assurance contre la maladie ou les accidents sont, les unes et les autres, régies par les dispositions relatives au contrat principal. L’article 1427 C.C.Q. énonce également que les clauses s’interprètent les unes par les autres, en donnant à chacune le sens qui résulte de l’ensemble du contrat. Ainsi, les clauses du contrat d’assurance du demandeur devaient être interprétées comme s’appliquant non pas à une réclamation concernant sa vie, mais à une maladie touchant une partie de son être. L’argument de ce dernier selon lequel il s’agissait d’un recours en matière d’assurance-vie pour demander la nullité et l’inopposabilité de la clause 6 du contrat, qui stipule que, dans les 30 jours suivant l’événement, l’administrateur de celui-ci doit être avisé a donc été rejeté. La clause prévoit également que, durant les 90 jours qui suivent l’événement, les éléments justifiant la réclamation doivent être transmis à l’assureur. Si des circonstances empêchant le respect de ces délais surviennent, à aucun moment une réclamation ne sera examinée après les 365 jours suivant l’événement. Le juge a conclu que cette clause ne comportait aucune ambiguïté et que ces exigences étaient conformes à l’article 2435 C.C.Q. D’ailleurs, il y a une distinction importante entre ce qui constitue la «date de l’accident» et la date de la connaissance des séquelles de l’AVC. Le demandeur a toujours été conscient de la date de son accident. Cependant, ce n’est que le 10 décembre 2010 qu’il a été déclaré inapte à exercer son travail. Avant cette date, il était en mesure, peu après son accident, de signifier l’avis de sinistre ou d’accident prévu par la loi et par son contrat d’assurance. Il n’était pas dans l’impossibilité d’agir. Cette décision a été portée en appel[2].

Attentat à la vie de l’assuré

[3] Dans Chamouri c. Financière Manuvie[3], le père des demandeurs avait souscrit, le 31 janvier 1994, des polices d’assurance sur sa vie et celle de son épouse. Il était le titulaire ainsi que le bénéficiaire de la police de cette dernière. Les bénéficiaires en sous-ordre étaient leurs enfants. Le 23 mai 2006, la mère a été tuée par le père, lequel a ensuite mis fin à ses jours. Étant donné que l’ordre des décès a pu être établi, la présomption prévue à l’article 2448 C.C.Q. était inapplicable. Quant à l’article 2443 C.C.Q., il prévoit deux situations où il y a attentat à la vie d’un assuré. Tout d’abord, le premier alinéa énonce que l’attentat à la vie de l’assuré par le titulaire de la police entraîne de plein droit la résiliation de l’assurance et le paiement de la valeur de rachat. Ensuite, le second alinéa de l’article fait référence à l’attentat à la vie de l’assuré par toute autre personne, ce qui n’entraîne la déchéance qu’à l’égard du droit de cette personne à la garantie. Dans cette cause, l’attentat à la vie de la mère a entraîné de plein droit la résiliation de l’assurance. Le silence du législateur quant aux bénéficiaires, dits innocents, jumelé à l’existence de l’article 2443 alinéa 2 C.C.Q., confirme son intention à l’égard de ceux-ci dans le cas de l’attentat commis par le titulaire de la police. En l’absence de police d’assurance, il n’y a plus d’indemnités à verser, pas plus qu’il n’y a de bénéficiaires pour les recevoir. La demande des enfants en réclamation d’une indemnité d’assurance a donc été rejetée.

[4] Dans Canada (Procureur général) c. Huppé[4], le juge Tardif, de la Cour supérieure, a conclu qu’il n’était pas nécessaire qu’une conclusion de responsabilité criminelle soit prononcée pour que l’article 2443 C.C.Q. s’applique. En l’espèce, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur a attenté à la vie de l’assuré même s’il a plaidé non coupable devant la cour criminelle et qu’il n’a pas encore subi son procès. En conséquence, il a été déchu de ses droits à titre de bénéficiaire de la police d’assurance-vie de l’assuré.

La notion d’«invalidité totale»

[5] Dans Girard c. Desjardins Sécurité financière, compagnie d’assurance-vie[5], le contrat d’assurance de la demanderesse définissait l’invalidité comme un état d’incapacité qui résulte d’une maladie ou d’un accident, qui exige des soins médicaux continus, qui empêche l’assuré d’accomplir «toutes et chacune des tâches habituelles de sa fonction principale et qui, s’il persiste au-delà de 12 mois, l’empêche alors complètement de se livrer à tout travail rémunérateur». La finalité de l’assurance était de permettre à l’assurée de se prémunir financièrement dans l’éventualité où elle ne pourrait plus acquitter ses versements hypothécaires en raison de son état d’incapacité. Dans un tel contexte, l’expression ne peut viser n’importe quel genre d’emploi rémunérateur, même celui dont la rémunération est modeste et insuffisante pour acquitter l’hypothèque. Le juge a écarté une interprétation littérale, car elle aurait été contraire à l’esprit et à l’objet du contrat d’assurance. Par ailleurs, l’invalidité devait être examinée suivant des données objectives, telles que la capacité physique et le niveau de préparation professionnelle ou technique, et ce, même si la clause n’y faisait pas référence et était de portée générale. L’assurée devait en outre être en mesure de fournir une pleine prestation de travail justifiant le paiement de la rémunération normale rattachée à cet emploi. Or, les limitations fonctionnelles de la demanderesse l’empêchaient d’occuper un poste requérant d’importantes exigences physiques comme celui de serveuse. D’autre part, son retour aux études afin d’obtenir une attestation d’équivalence de cinquième secondaire ne lui a pas fait perdre son droit aux prestations puisque, durant cette période, elle était encore totalement invalide au sens du contrat d’assurance. Toutefois, elle aurait pu occuper un travail à titre de commis dès qu’elle a obtenu son attestation, le 6 septembre 2007. L’assurée ne se trouvait donc plus dans un état d’invalidité totale à compter de cette date. Au surplus, jusqu’à cette date, elle recevait des soins médicaux continus. En conséquence, l’assureur a été condamné à lui verser 8 714 $ à titre d’indemnité d’assurance pour la période comprise entre le 9 septembre 2006, date à laquelle le versement des prestations avait cessé, et le 6 septembre 2007.

Assurance collective

[6] Dans Tremblay c. Capitale (La), assureur de l’administration publique inc.[6], les demandeurs ont été autorisés à exercer un recours collectif au nom des personnes couvertes par la police d’assurance collective 6000 qui étaient invalides. Ils affirmaient que le contrat d’assurance qui s’appliquait à eux était celui qui était en vigueur lorsqu’ils sont devenus invalides, soit le contrat entré en vigueur le 1er mars 1991, lequel prévoyait une exonération de primes jusqu’à l’âge de 65 ans. Or, le juge a conclu que les contrats entrés en vigueur après cette date étaient de nouveaux contrats puisqu’ils avaient été précédés d’un processus d’appel d’offres. Ainsi, toutes les protections d’assurance avaient pris fin, à l’exception de celle relative au décès ou à la mutilation (art. 273 du Règlement d’application de la Loi sur les assurances[7]). En l’espèce, le risque couvert par la police d’assurance est les frais admissibles engagés par l’adhérent pour cause de maladie ou soins dentaires pendant la période où la police est en vigueur. Le sinistre est la réalisation de ce risque, soit la réclamation payée par l’adhérent qui en réclame le remboursement à l’assureur. D’ailleurs, il a été décidé que le bénéfice d’exonération n’était pas une garantie protégée par la police puisqu’il n’était pas prévu expressément aux articles des contrats qui définissaient les garanties auxquelles l’assureur était tenu. En effet, l’exonération était mentionnée à la clause traitant de la prime d’assurance. Enfin, tous les contrats liant les parties prévoyaient que le preneur pouvait en tout temps, après entente avec l’assureur, apporter des modifications au contrat concernant notamment l’étendue des protections. Ainsi, les parties au contrat d’assurance collective pouvaient en modifier les dispositions sans obtenir l’approbation des adhérents et sans même les consulter. Cette décision a été portée en appel[8].

Obligation d’indemniser

[7] Le juge Lalonde, de la Cour supérieure, dans Taillefer c. Continental Casualty Company[9], a notamment analysé l’obligation des assureurs d’indemniser leurs assurés, des huissiers. Voici les faits : en 2006, la Cour supérieure a désigné le requérant Perron, un huissier, ou tout autre huissier exerçant sa fonction chez Paquette & Associés, pour procéder à la vente de deux immeubles appartenant à Weinberg et ensuite à la distribution du produit de la vente. Durant un litige opposant Weinberg à Cinar, ce produit a été investi par la société d’huissiers dans du papier commercial adossé à des actifs (PCAA) auprès de la Banque Nationale du Canada. En 2008, un règlement hors cour a mis fin au litige. En avril 2008, deux jugements en homologation ont ordonné à Paquette de distribuer et de payer à même le produit de la vente sous contrôle de justice les sommes prévues aux états de collocation. En raison de l’effondrement du marché lié au papier commercial, la totalité des sommes investies dans le PCAA n’était plus disponible. Le 30 avril 2009, la Cour d’appel a conclu à la faute des huissiers, de sorte qu’ils ont été tenus personnellement responsables des pertes découlant des sommes placées dans le PCAA[10]. Au mois de mai suivant, Paquette a dû emprunter près de 4,5 millions de dollars pour satisfaire au jugement qui avait conclu que l’obligation de payer des huissiers était de nature personnelle. Ceux-ci ont intenté un recours subrogatoire contre les défendeurs, leurs assureurs en responsabilité professionnelle, lesquels ont refusé d’appliquer la garantie d’assurance. Or, la convention d’assurance prévoit que l’assuré désigné est la Chambre des huissiers de justice du Québec. Toutefois, chaque huissier, individuellement, se voit attribuer un certificat d’assurance distinct. Ils ont l’obligation de s’assurer pour un minimum de 500 000 $. Ainsi, la commune intention des parties était d’assurer les huissiers par une police d’assurance globale, mais chacun d’eux par l’effet d’un certificat individuel comportant une limite d’assurance de deux millions de dollars pour la période prévue à la convention. Sous réserve de la franchise, la limite d’assurance était donc amplement suffisante pour couvrir la totalité de la perte subie par les requérants. D’autre part, la définition de «Services assurés» prévue au contrat d’assurance comprend non seulement les services rendus par l’assuré, mais aussi ceux qui auraient dû l’être en tant qu’huissier selon les normes de cette pratique. Dans cette affaire, la cause efficiente au-delà de laquelle on ne pouvait concevoir que la perte aurait été évitée résidait dans l’erreur et l’omission des huissiers de respecter les dispositions de la loi. En outre, les fonds engendrés par la vente sous contrôle de justice étaient sous les soins, la garde et le contrôle des huissiers avant d’être placés. Dans ces circonstances, interprétée à la faveur de l’assuré adhérent, la suppression de l’exclusion «Soin, garde et contrôle» devait avoir l’effet d’une inclusion. La couverture d’assurance était donc applicable. Les assureurs ont été condamnés à payer une indemnité de 4 118 225 $ aux huissiers. Cette cause a également été inscrite en appel[11].

Conclusion

[8] Cette revue jurisprudentielle a notamment démontré : que l’assuré peut être déchu de son droit à l’indemnité s’il ne déclare pas le sinistre dans les délais prévus au contrat d’assurance; que les bénéficiaires, dits innocents, d’un contrat d’assurance-vie résilié de plein droit en vertu de l’article 2443 C.C.Q. n’ont pas droit à une indemnité; que l’invalidité de l’assuré peut être analysée suivant des données objectives, et ce, même si la clause du contrat d’assurance-invalidité est de portée générale; qu’il est possible que des parties à un contrat d’assurance collective puissent en modifier les dispositions sans obtenir l’approbation des adhérents; et, enfin, que le contrat d’assurance-responsabilité des huissiers attribue à chacun d’eux un certificat d’assurance distinct. 

Print Friendly, PDF & Email