[1] Tout salarié a une obligation de loyauté à l’endroit de son employeur. Il ne doit pas agir de façon à nuire à la bonne marche ou à la réputation de ce dernier ou de son entreprise. Il doit éviter toute situation de conflit d’intérêts. Un salarié peut ne pas être d’accord avec les décisions ou les positions adoptées par son employeur. S’exprimer publiquement à ce sujet peut toutefois ébranler sérieusement le lien de confiance essentiel à la relation d’emploi.

[2] Dans son édition du 23 mars 2013, Le Devoir a rapporté qu’un cadre de la Ville de Montréal avait été suspendu pendant cinq jours «pour avoir parlé aux médias[1]». On lui reproche d’avoir violé ses obligations de loyauté et de confidentialité en dénonçant certaines décisions d’un supérieur.

[3] Le texte qui suit présente un survol de la jurisprudence récente sur la question des mesures disciplinaires imposées à des salariés ayant dénoncé ou critiqué publiquement, par la voie des médias, leur employeur.

Union des chauffeurs de camions, hommes d’entrepôt et autres ouvriers Teamsters Québec, section locale 106, FTQ et Autobus Citadelles inc. (Gatineau) (Marcelin Poirier)[2]

[4] Un chauffeur mécontent d’avoir à nettoyer l’autobus utilisé pour effectuer le transport adapté de clients handicapés a donné une entrevue à la télévision, au cours de laquelle il a remis en question l’entretien et la salubrité des véhicules. L’employeur l’a congédié pour manque de loyauté. Cette mesure a été confirmée en arbitrage de grief. L’arbitre a déterminé que le plaignant avait prémédité son geste et qu’il avait rompu le lien de confiance qui l’unissait à l’employeur en étalant sur la place publique une situation qu’il avait dramatisée. Au surplus, il a mis en péril le contrat de l’employeur ainsi que l’emploi de ses collègues.

Bolduc et Collège de Montréal[3]

[5] Une agente administrative — également présidente du syndicat — a été congédiée à la suite de la parution d’un article de journal signalant que l’établissement d’enseignement privé exploité par l’employeur surfacturait des frais aux parents des élèves afin de soutenir des «dépenses somptuaires». L’article comportait des renseignements précis au sujet des dépenses en question. Au terme d’une enquête, l’employeur a conclu que la salariée était responsable de la fuite d’informations et qu’elle avait manqué à ses obligations de loyauté et de confidentialité. Il a estimé que le lien de confiance était irrémédiablement rompu. La salariée a porté plainte en vertu des articles 15 et ss. du Code du travail[4] (C.tr.), alléguant avoir été congédiée illégalement à cause de ses activités syndicales. La Commission des relations du travail (CRT) a conclu que la salariée n’avait pas agi avec l’objectif de sensibiliser le public au sujet de la gestion de l’établissement ou de dénoncer un cas de malversation ou encore de faire état des rapports collectifs de travail. Ainsi, l’immunité qui peut être accordée à un président de syndicat ne permettait pas de couvrir ce qu’elle avait fait. La CRT a conclu que la véritable raison du congédiement était la rupture du lien de confiance en raison de la violation de l’obligation de loyauté, ce qui ne constituait pas une mesure illégale.

Marcotte et Trois-Rivières (Ville de)[5]

[6] Un pompier volontaire a été congédié pour avoir transmis à un quotidien une lettre d’opinion faisant état des problèmes au service des incendies de la municipalité. La sanction a été confirmée, la CRT ayant rejeté sa plainte à l’encontre d’une pratique interdite (art. 15 C.tr.). Le tribunal a d’abord conclu au caractère raisonnable de la dénonciation, estimant que celle-ci avait été faite de bonne foi et dans la recherche du bien-être de la collectivité. Il a néanmoins relevé de la conduite du plaignant l’«absence de précaution que la prudence d’un homme attentif ou diligent lui aurait inspirée». Ce dernier n’avait pas utilisé les procédures à l’interne avant de s’adresser aux médias. Selon la CRT, on ne peut affirmer qu’un employé municipal a la même liberté d’expression que l’ensemble des autres citoyens sans faire abstraction de son devoir de loyauté. Ce devoir impose de tout essayer pour régler le problème à l’interne avant d’aller sur la place publique.

Montréal (Ville de) et Fraternité des policières et policiers de Montréal inc. (Nataly Vachon)[6]

[7] Une agente de police a reçu deux suspensions (3 jours et 1 jour) pour avoir dénoncé à un journaliste une situation risquant de porter atteinte à la sécurité du public. L’arbitre de griefs a annulé la première suspension et il a substitué une réprimande à la seconde. Il a pris en considération le fait que la plaignante était, tout au long du processus, de bonne foi et mue par des considérations d’intérêt et de sécurité publics. De plus, sa démarche n’avait pas été précipitée puisqu’elle a agi plus de six mois après avoir dénoncé la lacune à son supérieur. L’arbitre a retenu que les faits révélés au journaliste étaient exacts et que la déclaration n’avait pas contribué à diminuer la confiance du public envers le service de police comme l’alléguait la Ville. Il a toutefois conclu que la salariée avait violé son serment de discrétion.

Syndicat du personnel de soutien en éducation de la région de Laval (CSQ) et Commission scolaire Laval[7]

[8] Une employée de soutien libérée à temps plein afin d’occuper des fonctions de présidente de son syndicat a été congédiée après avoir publiquement allégué dans des médias qu’il y avait, au sein de la Commission scolaire, des détournements de ressources de même que des situations d’abus de confiance et de fraude. Son congédiement a été confirmé. L’arbitre de griefs rappelle que l’obligation de représenter loyalement les intérêts syndicaux ne signifie pas que l’on n’assume aucun devoir de loyauté envers l’employeur. Le Tribunal a conclu que les déclarations en cause outrepassaient l’expression d’une opposition acceptable. Les assertions de la plaignante étaient graves et ne s’appuyaient pas sur une source crédible, et elles n’avaient pas fait l’objet de vérifications de sa part avant d’être diffusées publiquement. L’arbitre a estimé que les propos avaient porté directement atteinte à la réputation de l’employeur ainsi qu’à ses cadres.

Syndicat de l’enseignement de l’Ouest de Montréal et Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys (griefs individuels, Ann Synnett et un autre)[8]

[9] Une enseignante a été suspendue pendant cinq jours pour après avoir dénoncé aux parents des élèves ainsi qu’aux médias les problèmes d’infiltration d’eau et de moisissure dans une école. Elle avait facilité l’accès de journalistes et de caméramans à l’établissement et transmis une lettre aux parents. L’arbitre de griefs a maintenu sa suspension. Estimant que les règles concernant les dénonciations publiques ne devaient pas être appliquées de façon aussi rigoureuse en matière de santé et de sécurité du travail que dans d’autres situations, il a toutefois retenu que la plaignante avait utilisé sa liberté d’expression afin d’attaquer la réputation de l’employeur.

Syndicat de l’enseignement des Vieilles-Forges (CSQ) et Commission scolaire du Chemin-du-Roy (Alain Villeneuve)[9]

[10] Un enseignant dans une école secondaire publique a été suspendu pendant deux jours à la suite de la publication d’une lettre dans un journal dénonçant et critiquant l’attitude des commissaires à l’occasion d’une réunion à laquelle il avait assisté. L’employeur lui a reproché d’avoir manqué à son devoir de loyauté. Le grief a été accueilli en partie, l’arbitre ayant substitué une réprimande écrite à la suspension. Le Tribunal a conclu que le plaignant avait aveuglément pris fait et cause pour les parents visés par la fermeture d’une école et qu’il avait utilisé des propos méprisants à l’endroit de deux commissaires-parents. Toutefois, étant donné que l’article ne visait pas l’employeur, que le plaignant était de bonne foi, qu’il n’avait pas de vindicte personnelle et que son dossier disciplinaire était vierge, l’arbitre a estimé qu’une coupure de salaire de cinq jours était une mesure trop sévère.

Read c. Canada (Procureur général)[10]

[11] Un employé de la Gendarmerie royale du Canada a été congédié pour avoir divulgué aux médias des renseignements concernant une enquête conduite par l’organisation. Sa défense de dénonciation a été rejetée par toutes les instances, y compris par la Cour d’appel fédérale. Selon cette dernière, l’intérêt public légitime ne constitue pas une exception à l’obligation de loyauté d’un employé envers son employeur. La Cour a conclu que, en communiquant aux médias des renseignements et des documents hautement confidentiels, le salarié avait agi de manière irresponsable et transgressé son obligation de loyauté. Au surplus, la critique formulée publiquement par le salarié envers son employeur n’était pas justifiée.

Hydro-Québec et Syndicat professionnel des ingénieurs d’Hydro-Québec (SPIHQ) (Michel Jean)[11]

[12] Un ingénieur au service d’Hydro-Québec a perdu son emploi après s’être adressé à un journaliste afin de lui faire part de son questionnement au sujet d’une apparence de conflit d’intérêts. Un arbitre a accueilli en partie son grief, substituant une suspension de six mois à son congédiement. Il a conclu que la dénonciation comportait des faits non vérifiés et certains commentaires exagérés. Il a retenu que le salarié avait des motifs sérieux de dénoncer la situation mais qu’il avait commis une faute en s’adressant à un journaliste alors qu’il n’avait pas eu recours à la ligne éthique. L’arbitre a estimé que le salarié n’avait pas agi par malice, vengeance ou mauvaise foi. De plus, il bénéficiait de circonstances atténuantes, dont sa longue ancienneté et son dossier disciplinaire vierge.

Petitclerc c. Commission des relations du travail[12]

[13] Un technicien en administration au sein d’un organisme public, également représentant syndical et membre du comité de santé et de sécurité du travail, a été congédié pour avoir donné à une journaliste des informations qui ont été rapportées dans un article de journal traitant de la présence d’amiante dans les édifices gouvernementaux et de l’existence de cas d’amiantose. La CRT a rejeté sa plainte en vertu de l’article 15 C.tr., estimant que l’employeur avait repoussé la présomption selon laquelle la mesure avait été imposée à cause de l’exercice d’activités syndicales[13]. En révision judiciaire, la Cour supérieure a infirmé cette décision. Elle a conclu que l’examen de l’article de journal ne permettait pas d’y voir une violation du devoir de loyauté. Elle précise que l’exercice de la fonction syndicale et de la défense des intérêts des employés ne constitue pas un acte de déloyauté envers l’employeur. De plus, la Charte des droits et libertés de la personne[14]protège la liberté d’expression. La Cour a conclu que la seule raison pour laquelle le plaignant avait été congédié résidait dans l’exercice de sa liberté d’expression au cours d’activités syndicales protégées par la loi et qu’aucune autre cause juste de congédiement n’avait été démontrée.

Conclusion

[14] En matière disciplinaire, un dossier doit être évalué en tenant compte des circonstances particulières de l’affaire. À partir des décisions précitées, il est possible de relever certaines questions à se poser : Quel est le niveau hiérarchique du salarié dénonciateur? Exerce-t-il des fonctions syndicales? A-t-il agi dans l’intention de nuire à l’employeur? A-t-il agi dans l’intérêt public ou dans son propre intérêt? Les propos rapportés aux médias sont-ils véridiques? S’agit-il de renseignements confidentiels? Le salarié a-t-il utilisé des moyens internes avant de faire sa dénonciation publique? A-t-il fait preuve d’un manque de loyauté ou d’un manque de jugement? Le lien de confiance est-il irrémédiablement rompu?

Pour en savoir davantage, je vous invite à lire deux articles qui traitent de façon approfondie du sujet[15].

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