Vous passez la soirée dans un bar puis décidez de rentrer chez vous mais, comme vous avez trop consommé d’alcool, vous n’êtes pas en état de conduire et vous décidez alors de dormir dans votre voiture, tapi bien au chaud sur le siège du conducteur. C’est ainsi que les policiers vous trouvent et, même si vous leur dites que vous n’aviez pas l’intention de conduire, ils vous mettent en état d’arrestation pour garde et contrôle d’un véhicule avec les facultés affaiblies. Ce scénario, trop fréquent, peut surprendre. C’est parce qu’il faut savoir que l’intention de conduire ne constitue pas une défense à l’infraction prévue à l’article 253 C.Cr., qui se lit comme suit : 

253. (1) Commet une infraction quiconque conduit un véhicule à moteur, un bateau, un aéronef ou du matériel ferroviaire, ou aide à conduire un aéronef ou du matériel ferroviaire, ou a la garde ou le contrôle d’un véhicule à moteur, d’un bateau, d’un aéronef ou de matériel ferroviaire, que ceux-ci soient en mouvement ou non, dans les cas suivants :

  1.  lorsque sa capacité de conduire ce véhicule, ce bateau, cet aéronef ou ce matériel ferroviaire est affaiblie par l’effet de l’alcool ou d’une drogue;
  2.  lorsqu’il a consommé une quantité d’alcool telle que son alcoolémie dépasse quatre-vingts milligrammes d’alcool par cent millilitres de sang.

En effet, l’infraction de garde et contrôle ne comprend pas l’intention de conduire parmi ses éléments constitutifs. De plus, si l’on vous trouve assis à la place du conducteur, l’article 258 (1) a) C.Cr. crée une présomption en vertu de laquelle vous êtes réputé avoir eu la garde ou le contrôle du véhicule. Toutefois, vous pouvez repousser cette présomption en établissant, par prépondérance des probabilités, que vous n’occupiez pas la place du conducteur dans le but de mettre le véhicule en mouvement. Dans ce cas, il reviendra alors à la poursuite d’établir hors de tout doute raisonnable les éléments essentiels de l’infraction de garde et contrôle. Or, quels sont donc ces éléments à prouver? En 2012, la Cour suprême a précisé le sens qu’il fallait donner à l’expression «garde ou contrôle». Il s’agit de l’affaire R. c. Boudreault, dans laquelle le juge Fish écrit, au nom de la majorité: «pour avoir ?la garde ou le contrôle? au sens où il faut l’entendre pour l’application du par. 253 (1) C.Cr., il faut (1) une conduite intentionnelle à l’égard du véhicule; (2) par une personne dont la capacité de conduire est affaiblie ou dont l’alcoolémie dépasse la limite légale; (3) dans des circonstances entraînant un risque réaliste, et non une infime possibilité, de danger pour autrui ou pour un bien».

Pour la Cour suprême, l’un des facteurs pertinents quant à l’examen de la question du risque réaliste de danger tient à l’existence d’un «plan bien arrêté» établi par l’accusé pour assurer un retour sécuritaire chez lui. Ce plan doit être concret et fiable. De plus, la preuve doit démontrer que ce plan a effectivement été suivi par l’accusé. L’existence d’un risque réaliste est une question de fait et constitue normalement la seule inférence raisonnable lorsque la poursuite a fait la preuve de l’intoxication et de la capacité, dans les faits, de mettre le véhicule en mouvement. Il revient alors à l’accusé de présenter des éléments de preuve tendant à démontrer qu’il n’y avait pas de risque réaliste de danger.

Voici quelques exemples d’application jurisprudentielle:

Dans LSJPA — 1323, l’accusé, un adolescent, a été trouvé par les policiers, couché sur le siège avant du côté du conducteur. Ce dernier a expliqué s’être rendu dans une ville qu’il ne connaissait pas pour rejoindre des amis, avec lesquels il est sorti dans les bars le soir. Son plan était de repartir du bar en taxi avec ses amis pour dormir à la résidence de ces derniers. À un certain moment, il s’est senti mal et a décidé d’aller attendre ceux-ci dans son véhicule. Il ne les a pas informés qu’il se rendait à sa voiture, car il était certain qu’ils le rejoindraient à cet endroit à la fin de la soirée parce que leurs manteaux s’y trouvaient. Le juge l’a déclaré coupable. Il a considéré que l’importance de son ébriété était susceptible de compromettre son jugement et de le faire changer d’avis. Ainsi, il pouvait à tout moment se réveiller et mettre le véhicule en mouvement.

Dans R. c. Cyr, des agents de la Sûreté du Québec qui patrouillaient dans le secteur du stationnement d’une marina ont aperçu l’accusé endormi dans sa voiture, à la place du conducteur. La clé était dans le commutateur, mais le moteur n’était pas en marche. Ce dernier a expliqué avoir passé la journée en bateau et que, sentant qu’il était sous l’effet de l’alcool, il ne s’estimait pas apte à conduire. Il a affirmé l’importance qu’avait pour lui le fait de conduire «sobre», car la perte de son permis de conduire entraînerait forcément la perte de son emploi et que c’était justement parce qu’il avait un doute sur sa capacité de conduire qu’il avait décidé de dormir un certain temps sur le siège avant de sa voiture, converti en «lit». Le juge a considéré que, selon la prépondérance des probabilités, l’accusé ne s’était pas assis au volant dans le but de conduire. Reconnaissant que l’accusé ne représentait pas l’arbitre idéal pour statuer sur sa capacité de conduire au moment de son réveil, le juge a rappelé que le rôle du tribunal était de déterminer si la preuve établit la garde et le contrôle du véhicule à l’instant même où l’accusé dormait dans celui-ci, et non au moment où, plus tard, il se serait réveillé. En l’espèce, la preuve ne révélait pas clairement le caractère «réaliste» de ce risque. Pour le juge, un homme endormi, même derrière le volant, que la clé soit ou non dans le commutateur, mais alors que le moteur est éteint, ne constitue pas un «risque réaliste» de danger pour autrui ou pour un bien.

Dans R. c. Dufour, après une soirée bien arrosée dans un bar, l’accusé, qui s’était rendu dans la ville en question dans le cours de son travail, n’a pu trouver de chambre disponible et s’est alors couché sur la banquette arrière du véhicule. Il a expliqué aux policiers qu’il venait de l’extérieur de la ville et qu’il n’avait trouvé aucun endroit pour passer la nuit. Le juge rappelle que le risque de danger doit être réaliste et non seulement possible ou théorique et que l’un des facteurs tient à ce que l’accusé avait ou non pris soin d’établir un «plan bien arrêté» pour assurer son retour sécuritaire chez lui. Or, il a jugé que, en l’espèce, l’accusé était dans son véhicule pour y passer la nuit puisqu’il était rendu à destination pour son travail et qu’il n’avait rien à faire à cet endroit à part y passer la nuit. Il n’y avait aucune autre possibilité pour lui d’aller dormir ailleurs. Rien ne permettait de croire que son état d’intoxication l’empêchait de raisonner. Pour le juge, la situation ne présentait pas le risque rapporté par la jurisprudence que l’accusé décide de quitter les lieux à un moment où il aurait cru erronément être en état de conduire.

Dans R. c. Jannot, l’accusé a été interpellé par les policiers alors qu’il occupait la place du conducteur de son véhicule dans le stationnement d’un bar. Celui-ci ne pouvait démarrer puisque la batterie était à plat. À la lumière des faits mis en preuve, le juge a conclu que, au moment où l’accusé occupait la place du conducteur, le véhicule ne pouvait démarrer et que celui-ci n’était pas en possession des clés de la voiture. Dans ces circonstances, un doute subsistait quant au risque réaliste de remettre le véhicule en marche et l’accusé devait en bénéficier.

Dans R. c. Racine, le défendeur avait un plan bien arrêté de ne pas prendre son véhicule à la fin de la soirée. Toutefois, à la suite d’une dispute avec le chauffeur désigné, ce dernier a quitté les lieux et lui a remis les clés. À la lumière de la preuve, le tribunal a conclu à l’existence d’un risque potentiel et réaliste que le défendeur ait pu prendre la route au volant de son véhicule.

Enfin, dans R. c. Crépeau, l’accusé, trouvé endormi sur le siège du conducteur, a expliqué qu’il avait conclu une entente avec ses parents avant de se rendre dans un bar avec ses amis. Il devait dormir dans sa voiture garée dans une cour d’école et ceux-ci devaient venir le chercher le lendemain matin. Le juge a conclu à l’existence d’un «plan bien arrêté» pour assurer son retour sécuritaire chez lui. Il a considéré, d’une part, que ce plan était objectivement concret et fiable et, d’autre part, que la preuve avait démontré que l’accusé avait effectivement mis ce plan à exécution.

Pour d’autres exemples, vous pouvez consulter les décisions suivantes: R. c. Cyr, R. c. Taziev, R. c. Benoit, R. c. Leroux, R. c. Caisse et R. c. Huard.

Références

  • R. c. Boudreault (C.S. Can., 2012-10-26), 2012 CSC 56, SOQUIJ AZ-50905782, 2012EXP-3793, J.E. 2012-2028, [2012] 3 R.C.S. 157.
  • LSJPA — 1323 (C.Q., 2013-03-19), 2013 QCCQ 6483, SOQUIJ AZ-50982493, 2013EXP-2572, J.E. 2013-1390.
  • R. c. Cyr (C.Q., 2013-02-26), 2013 QCCQ 1793, SOQUIJ AZ-50942246, 2013EXP-1662, J.E. 2013-906.
  • R. c. Dufour (C.Q., 2013-11-12), 2013 QCCQ 14256, SOQUIJ AZ-51020954, 2013EXP-3869, J.E. 2013-2110.
  • R. c. Jannot (C.Q., 2013-09-13), 2013 QCCQ 10300, SOQUIJ AZ-51001669, 2013EXP-3102.
  • R. c. Racine (C.M., 2013-10-23), 2013 QCCM 265, SOQUIJ AZ-51029657, 2014EXP-297, J.E. 2014-150, ce jugement fait l’objet d’un appel C.S. 705-36-000604-130, requête en prolongation du délai d’appel sur la culpabilité accueillie, 2013-12-05, juge Auclair.
  • R. c. Crépeau (C.Q., 2013-11-29), 2013 QCCQ 16381, SOQUIJ AZ-51037284.
  • R. c. Cyr (C.M., 2013-10-28), 2013 QCCM 244, SOQUIJ AZ-51020021, 2013EXP-3805, J.E. 2013-2069.
  • R. c. Taziev (C.M., 2013-09-27), 2013 QCCM 230, SOQUIJ AZ-51011858, 2013EXP-3562, J.E. 2013-1935.
  • R. c. Benoit (C.Q., 2013-08-12), 2013 QCCQ 8628, SOQUIJ AZ-50994557, 2013EXP-3024, J.E. 2013-1648.
  • R. c. Leroux (C.Q., 2013-07-19), 2013 QCCQ 8689, SOQUIJ AZ-50994869, 2013EXP-2819, J.E. 2013-1526.
  • R. c. Caisse (C.M., 2013-03-08), 2013 QCCM 94, SOQUIJ AZ-50964584, 2013EXP-1825, J.E. 2013-980.
  • R. c. Huard (C.Q., 2013-02-12), 2013 QCCQ 1307, SOQUIJ AZ-50939378, 2013EXP-1155, J.E. 2013-635.
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