En décembre 2013, la Ville de Montréal a délivré un permis pour la démolition d’un immeuble communément appelé la Maison Redpath.

Cet immeuble étant susceptible de présenter une valeur patrimoniale en raison de son intérêt historique et architectural, le ministre de la Culture et des Communications, M. Maka Kotto, estimant qu’il existait une menace réelle ou appréhendée que cet immeuble soit dégradé de manière non négligeable, avait ordonné la cessation des travaux de démolition.

Invoquant le caractère illégal de cette ordonnance rendue le 17 février 2014 et l’approche déraisonnable de celle-ci, le propriétaire de l’immeuble a demandé au tribunal de l’annuler. Or, après avoir rappelé qu’une décision ministérielle jouit d’une présomption de validité, le juge a confirmé que la Maison Redpath était un immeuble patrimonial au sens de la Loi sur le patrimoine culturel.

L’article 76 de la loi, qui créé un régime d’exception pour un « bien susceptible de présenter une valeur patrimoniale », se lit comme suit 

76. Lorsque le ministre est d’avis qu’il existe une menace réelle ou appréhendée que soit dégradé de manière non négligeable un bien susceptible de présenter une valeur patrimoniale, il peut, pour une période d’au plus 30 jours: 

1 ordonner la fermeture d’un lieu ou n’en permettre l’accès qu’à certaines personnes ou à certaines conditions et faire afficher un avis à cet effet, à la vue du public, à l’entrée du lieu ou à proximité de celui-ci;

2 ordonner la cessation de travaux ou d’une activité ou la prise de mesures de sécurité particulières;

3 ordonner des fouilles archéologiques;

4 ordonner toute autre mesure qu’il estime nécessaire pour empêcher que ne s’aggrave la menace pour le bien, pour diminuer les effets de cette menace ou pour l’éliminer.

Avant de rendre une ordonnance à l’encontre d’une personne, le ministre doit lui notifier par écrit le préavis prescrit par l’article 5 de la Loi sur la justice administrative (chapitre J-3) et lui accorder un délai d’au moins 10 jours pour présenter ses observations. Le ministre peut toutefois, dans un contexte d’urgence ou en vue d’éviter que ne soit causé un préjudice irréparable, rendre une ordonnance sans être tenu à ces obligations préalables. Dans ce cas, la personne peut, dans un délai de 10 jours à compter de la signification de l’ordonnance, présenter ses observations pour obtenir une révision de l’ordonnance rendue.

Cette ordonnance peut être annulée ou la durée peut en être écourtée par un juge de la Cour supérieure à la demande d’une personne intéressée.

À la demande du ministre, un juge de cette cour peut aussi, en plus d’enjoindre à une personne de s’y conformer, prolonger ou reconduire l’ordonnance rendue, ou la rendre permanente, s’il considère que le bien en cause est l’objet d’une menace sérieuse et s’il est d’avis que l’ordonnance du ministre est appropriée.

Le juge peut aussi apporter à cette ordonnance toute modification qui lui apparaît raisonnable dans les circonstances.

À défaut par une personne de procéder à l’exécution, dans le délai imparti, des mesures ordonnées en vertu de la présente section, la Cour peut autoriser le ministre à faire exécuter ces mesures. Le coût de leur exécution encouru par le ministre constitue une créance prioritaire sur le bien, au même titre et selon le même rang que les créances visées au paragraphe 4º de l’article 2651 du Code civil; ce coût est garanti par une hypothèque légale sur le bien.

Cette procédure, qui a un effet paralysant et qui accorde un puissant pouvoir d’intervention au ministre, est toutefois limitée à une période maximale de 30 jours, le temps que celui-ci puisse statuer sur le caractère patrimonial du bien visé. Il s’agit d’une mesure d’urgence pour prévenir la disparition ou la démolition d’un immeuble. De plus, pour éviter que des abus ne viennent paralyser l’action des propriétaires, la Cour supérieure peut intervenir pour annuler cette ordonnance ministérielle ou en écourter la durée.

Lors de l’audition, le ministre s’était engagé à faire connaître sa position au plus tard le 28 février 2014. À ce moment, il ne s’agissait que d’un bien susceptible de présenter une valeur patrimoniale.

Le juge a conclu que l’ordonnance du ministre respectait les prescriptions de la loi et qu’elle était raisonnable dans les circonstances. Par contre, plutôt que d’ordonner la cessation des travaux pour une période de 30 jours, et vu l’engagement du ministre, le juge a modifié l’ordonnance pour que celle-ci soit valide jusqu’au 28 février 2014 à 16 h 30.

La sauvegarde de la Maison Redpath n’a cependant été que de courte durée puisque le ministre a finalement décidé que l’immeuble « ne présent[ait] pas un intérêt patrimonial justifiant son classement ». Malgré tout, la décision de la Cour supérieure constitue un premier cas d’application intéressant de l’article 76 de la loi.

Référence

2435-2221 Québec inc. c. Québec (Procureur général) (Ministre de la Culture et des Communications), (C.S., 2014-02-25), 2014 QCCS 652, SOQUIJ AZ-51049034.

Print Friendly, PDF & Email