[1] À quelques occasions au cours des deux dernières années, les tribunaux se sont prononcés relativement à des plaintes formulées contre des représentants syndicaux auxquels on a reproché d’avoir exercé des activités de pression illégales, d’avoir commis des actes d’intimidation sur les chantiers de construction ou d’avoir porté atteinte à la liberté syndicale des travailleurs.

[2]   La première partie de ce texte présente brièvement six dossiers en matière d’infraction pénale. Il est essentiellement question de grève illégale et d’intimidation sur un chantier de construction.

[3]   La deuxième partie reprend les principaux points débattus par la Commission des relations du travail (CRT) dans un litige relatif à la liberté syndicale ayant opposé, d’une part, un membre de la CSN-Construction et, d’autre part, un entrepreneur de la Côte-Nord ainsi que la FTQ-Construction.

Partie 1

1. La grève

[4]   La Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’œuvre dans l’industrie de la construction[1] circonscrit le droit de grève sur les chantiers de construction. Ainsi, la grève est interdite pendant la durée d’une convention collective (art. 57 LRTIC). Après l’expiration de celle-ci, les conditions impératives énoncées à l’article 45.4 LRTIC doivent être respectées, à défaut de quoi la grève sera considérée comme illégale.

[5]   L’article 113 LRTIC énonce que quiconque ordonne, encourage ou appuie une grève illégale ou encore y participe est passible d’une amende.

Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Forest [2]

[6]   Le matin du 6 novembre 2009, vers 6 h, un groupe d’une quinzaine d’électriciens au chômage s’est introduit dans la roulotte d’un entrepreneur située en face d’un chantier de construction à Saint-Hyacinthe. Un dirigeant syndical (Forest) a alors demandé au contremaître de faire travailler les électriciens de Saint-Hyacinthe à la place de ceux de Montréal que l’employeur avait engagés. Après une courte conversation téléphonique entre Forest et le patron de l’entreprise, ce dernier a dit au contremaître de renvoyer les travailleurs chez eux pour la journée.

[7]   Forest a été poursuivi en vertu des articles 57 et 113 LRTIC pour avoir, en qualité de dirigeant syndical, ordonné, encouragé ou appuyé un ralentissement de travail ou une grève pendant la durée de la convention collective. Il a été acquitté en première instance[3], mais la Cour supérieure l’a déclaré coupable. Le tribunal est en désaccord avec l’opinion du magistrat selon laquelle c’est l’employeur qui a pris la décision de renvoyer les travailleurs. À son avis, c’est plutôt l’ordre de Forest qui a forcé celui-ci à obtempérer afin d’éviter des affrontements sur le chantier. Le tribunal estime que l’employeur a fort bien agi, compte tenu de la situation potentiellement conflictuelle et explosive créée de toutes pièces par Forest. Il précise que les électriciens au service de l’entrepreneur visé avaient parfaitement le droit de travailler à Saint-Hyacinthe.

[8]   Par ailleurs, Forest a prétendu sans succès que les actes reprochés visaient plutôt une infraction décrite à l’article 113.1 LRTIC, une disposition qui n’existait pas en 2009. Le tribunal souligne que lorsqu’un dirigeant syndical ordonne un ralentissement de travail ou une grève en forçant un entrepreneur à renvoyer ses employés, en violation des dispositions d’une convention collective en vigueur, l’article 57 LRTIC s’applique. Il conclut que le juge de première instance a commis une erreur de droit en n’appliquant pas cet article dans le dossier. Forest a été condamné à verser une amende (7 000 $).

Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Gagné [4]

[9]   Le 26 août 2010, une dizaine de représentants syndicaux, dont Gagné, se sont présentés sur un chantier de construction résidentiel. À la suite de discussions avec les salariés, ceux-ci ont abandonné leur travail pour le reste de la journée. Gagné a affirmé qu’il s’était rendu sur ce chantier afin de tenir une séance d’information au sujet des négociations en cours et que les travailleurs avaient spontanément décidé de quitter les lieux.

[10] Le tribunal a plutôt retenu que Gagné s’était présenté sur les lieux dans le but manifeste de fermer le chantier. Il s’est dit convaincu hors de tout doute raisonnable qu’il y avait eu une grève illégale ce jour-là et que celle-ci découlait des gestes de Gagné. Le tribunal a conclu que ce dernier avait commis l’infraction décrite à l’acte d’accusation : avoir, à titre de représentant d’une association accréditée, violé les articles 45.4 et 113 LRTIC en participant à une grève illégale. Comme il s’agissait d’une infraction de responsabilité stricte, le poursuivant n’avait pas à prouver l’élément intentionnel. Le tribunal a en outre précisé que le salarié n’est pas la seule personne visée par l’article 113 LRTIC. En définitive, il a retenu que les gestes que Gagné avait commis en se présentant sur un chantier avec d’autres représentants syndicaux, les paroles qu’il avait prononcées et celles qui avaient été dites par ces derniers constituaient une incitation ou un encouragement à cesser le travail. Il a déclaré Gagné coupable de l’infraction reprochée et l’a condamné au paiement d’une amende (7 000 $).

[11] Ce jugement a été infirmé en appel[5]. La Cour supérieure a conclu que Gagné ne pouvait être déclaré coupable de l’infraction reprochée. Elle précise que la «participation à une grève» requiert que l’accusé s’abstienne, en même temps que d’autres salariés, de fournir sa prestation de travail. Comme Gagné ne travaillait pas pour l’entrepreneur dont le chantier a été fermé, la Cour l’a acquitté sous le chef d’accusation d’avoir participé à une grève. Elle souligne que le fait d’avoir ordonné, encouragé ou appuyé la grève n’a pas d’importance puisque Gagné n’était pas accusé de ces infractions ni de celle décrite à l’article 113.1 LRTIC (intimidation ou menace dans le but de provoquer un arrêt de travail).

Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Picard [6]

[12] Picard a fait l’objet d’un constat d’infraction pour avoir participé à une grève sur un chantier de construction le 26 août 2010, alors que la convention collective était expirée depuis quatre mois. Le constat reproduisait en substance l’article 113 LRTIC. Son procureur ne contestait pas qu’il y ait eu grève. Il a toutefois prétendu que la dénonciation était viciée et a demandé le rejet de la plainte. À son avis, l’infraction prévue à l’article 113 LRTIC ne pouvait s’appliquer dans cette affaire, car il couvre uniquement les grèves déclenchées pendant la durée d’une convention collective.

[13] Cet argument a été rejeté par le tribunal. Le juge a constaté que l’article 113 LRTIC ne précise pas à quel type de grève l’infraction se rattache, soit à celle se déroulant pendant la durée d’une convention collective ou à celle déclenchée après l’expiration de la convention lorsque les conditions énoncées à l’article 45.4 LRTIC ne sont pas respectées. Selon le tribunal, une grève est en principe interdite. Elle ne sera autorisée que si chacune des quatre conditions mentionnées à l’article 45.4 LRTIC est remplie. Dans ce dossier, le tribunal a estimé que, si la grève a été «annoncée» dans des communiqués syndicaux, elle n’avait pas été «déclarée» tel que l’exige la loi. Picard a été reconnu coupable.

Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Jobin [7]

[14] L’acte d’accusation amendé reprochait à Jobin d’avoir, le 20 août 2010, appuyé une grève illégale, contrevenant ainsi aux articles 45.4 et 113 LRTIC. La défense a admis que, s’il y avait eu grève, celle-ci était illégale et que Jobin était présent sur le chantier au moment des faits allégués dans l’acte d’accusation. Il occupait à cette date des fonctions syndicales au sein de la CSN-Construction.

[15] Après avoir fait la distinction entre les conduites prohibées par l’article 113 LRTIC – ordonner, encourager ou appuyer une grève illégale ou encore y participer -, le tribunal a retenu que la culpabilité sous une accusation d’avoir «appuyé» une grève illégale nécessitait que celle-ci soit déjà commencée au moment où l’acte est commis. Dans cette affaire, quatre représentants syndicaux ont  demandé et obtenu la permission du surintendant de chantier de rencontrer les salariés afin de les sensibiliser à l’état des négociations collectives. Cette rencontre s’est déroulée dans le calme et le respect, sans menace ni pression. Les salariés ont quitté le chantier une vingtaine de minutes après qu’elle eut pris fin.

[16] Selon le tribunal, on ne pouvait affirmer que Jobin savait à l’avance que les travailleurs amorceraient assurément une grève illégale. Le tribunal a souligné que ce dernier n’était pas présent à la réunion puisqu’il s’occupait de contrôler l’accès des journalistes à l’une des entrées du chantier. Il a retenu comme crédible la version de Jobin selon laquelle il était parti avant que les salariés ne le fassent eux-mêmes. Dans les circonstances, la preuve que Jobin a appuyé une grève illégale n’a pas été faite hors de tout doute raisonnable, ce qui a conduit à son acquittement.

2. L’intimidation

[17] L’article 101 LRTIC prévoit, entre autres choses, que «[n]ul ne doit intimider une personne ou exercer à son égard des mesures discriminatoires, des représailles ou toute menace ou contrainte ayant pour but ou pour effet de porter atteinte à sa liberté syndicale». Quiconque contrevient à cet article commet une infraction et est passible d’une amende (art. 119 LRTIC).

[18] En outre, l’article 113.1 LRTIC énonce que: «Quiconque use d’intimidation ou de menace dans le but de provoquer une entrave, un ralentissement ou un arrêt des activités sur un chantier commet une infraction et est passible d’une amende […].»

Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Boisjoly [8]

[19] Boisjoily, un représentant syndical, a été accusé d’avoir usé d’intimidation ou de menace, entre le 30 août et le 4 septembre 2010, dans le but de provoquer une entrave, un ralentissement ou un arrêt des activités sur un chantier de construction, commettant ainsi une infraction à l’article 113.1 LRTIC. Dans le contexte de grèves tournantes mises en place par des syndicats, Boisjoily a téléphoné à un entrepreneur pour lui demander que son grutier n’accomplisse plus d’heures supplémentaires sur un chantier. Il lui a alors mentionné qu’il y avait un danger que «la grue vire à l’envers». Boisjoly a prétendu que cette expression voulait simplement dire que des moyens de pression seraient exercés ou qu’on allait arrêter de travailler.

[20] Le tribunal a rejeté cette prétention, estimant que l’entrepreneur, une personne expérimentée dans le milieu de la construction, y avait plutôt vu une menace. D’ailleurs, Boisjoly avait obtenu exactement ce qu’il voulait en arrêtant les activités sur le chantier à 15 h 30. Il a été déclaré coupable de l’infraction reprochée.

Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Bezeau [9]

[21] La poursuite soutient que Bezeau, représentant syndical de l’Association des manoeuvres interprovinciaux, s’est rendu sur un chantier de construction accompagné de quatre hommes et a exercé de l’intimidation à l’endroit d’un contremaître (Bouchard) afin que celui-ci renvoie un travailleur en raison de son appartenance à la centrale syndicale CSN. Bezeau a été acquitté de l’infraction décrite à l’article 101 LRTIC.

[22] Le tribunal a constaté que Bouchard, un contremaître d’expérience, n’a jamais mentionné à l’audience qu’il s’était senti intimidé par Bezeau. Selon le tribunal, le critère d’appréciation doit être celui d’un contremaître expérimenté placé dans une situation similaire et non celui d’un jeune contremaître inexpérimenté. Il a retenu l’argument de la défense selon lequel l’intervention de Bezeau auprès du contremaître avait pour but de faire valoir un droit en vertu de la convention collective et non de pénaliser le travailleur en raison de son allégeance syndicale. Il a conclu que la poursuite ne s’était pas acquittée de son fardeau de prouver hors de tout doute raisonnable tous les éléments constitutifs de l’infraction reprochée.

Partie 2

[23] L’article 105 LRTIC prévoit qu’une personne intéressée peut soumettre à la CRT une plainte portant sur l’application des dispositions relatives à la liberté syndicale dans un délai de 15 jours suivant la date à laquelle a eu lieu le fait ou la connaissance du fait dont elle se plaint.

Richard et Équipements nordiques enr. [10]

[24] Richard, un opérateur de machinerie lourde, a déposé une plainte dans laquelle il se dit victime de représailles de la part d’agents d’affaires de la FTQ-Construction sur la Côte-Nord, soit Gauthier et Bezeau. En juin 2009, il a quitté la FTQ-Construction pour se joindre à la CSN-Construction. Le 29 août suivant, il a été mis à pied par Équipements nordiques sans avoir terminé les travaux pour lesquels il avait été embauché. Il n’a pas été rappelé au travail par cet entrepreneur. Or, pendant près de 20 ans, il avait travaillé régulièrement pour lui, à titre de saisonnier. Richard a soutenu que sa mise à pied était injustifiée et qu’elle était le résultat de pressions exercées par Gauthier afin de le pénaliser d’avoir changé d’allégeance syndicale ou d’avoir exercé un droit protégé par la loi, à savoir son droit de vote. Richard a déclaré que, par le biais de ses pressions, Gauthier contrôlait l’embauche chez Équipements nordiques. Il a réclamé réparation à cette dernière ainsi qu’à la FTQ-Construction.

[25] La CRT a d’abord conclu que la concomitance de l’exercice par Richard de son droit de vote avec sa mise à pied avait été démontrée par le continuum de l’animosité de Gauthier à son endroit. Elle a reconnu à Richard le bénéfice de la présomption légale selon laquelle la mise à pied lui avait été imposée en raison de l’exercice de son droit (art. 106 LRTIC). Elle a rejeté la prétention suivant laquelle l’entrepreneur n’avait plus de travail à confier à Richard, estimant que celle-ci n’était pas supportée par la preuve. La CRT a retenu au contraire que, au moment de la mise à pied, il y avait plutôt un manque de main-d’oeuvre chez cet entrepreneur. La plainte a été accueillie contre Équipements nordiques.

[26] La responsabilité de la FTQ-Construction a également été retenue. Selon la CRT, l’existence d’un système d’intimidation et de discrimination sur les chantiers de la Côte-Nord a été prouvée. À l’époque pertinente, Équipements nordiques faisait l’objet de pressions de la part de la FTQ-Construction au point où elle avait perdu la direction de son embauche et de ses mises à pied. L’embauche d’un travailleur membre de tout autre syndicat que la FTQ-Construction devait être autorisée par ses agents d’affaires, sous peine de représailles.

[27] La CRT a conclu que la FTQ-Construction avait exercé des pressions sur Équipements nordiques pour qu’elle impose une mesure prohibée à Richard et que la mise à pied de celui-ci lui avait été imposée en raison de son allégeance syndicale. Ainsi, en assurant aux entreprises locales la disponibilité de ses membres en contrepartie d’une priorité d’embauche, la FTQ-Construction et ces dernières se sont mutuellement donné un avantage concurrentiel prohibé par la loi en raison de son caractère intrinsèquement exclusif et discriminatoire.

[28] Dans un jugement du 12 mars 2014[11], la Cour supérieure a rejeté la requête en révision judiciaire formulée à l’encontre de cette décision par la FTQ-Construction.

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