Le 22 avril dernier, je publiais un billet concernant les parents d’une jeune fille dans le coma à la suite d’une surconsommation d’héroïne qui refusaient de consentir au plan de soins établis par le centre hospitalier au motif que cette tentative de suicide démontrait que leur fille ne voulait pas recevoir de soins pour prolonger sa vie.

Plus récemment, deux autres décisions ont retenu mon attention concernant les délicates questions du consentement substitué et du lieu d’hébergement en fin de vie.

Centre hospitalier de l’Université de Montréal c. M.B.

Dans cette affaire, 3 médecins et un centre hospitalier demandaient l’autorisation de traiter le défendeur, un homme âgé de 55 ans. Ce dernier avait été admis au centre des grands brûlés peu de temps auparavant en raison de graves brûlures touchant 60 % de son corps subies lors d’une tentative de suicide par immolation. L’homme avait laissé une lettre à sa mère expliquant son geste. Il s’agissait de sa quatrième tentative de suicide. La mère a autorisé deux interventions chirurgicales sur la personne de son fils, mais elle a ensuite refusé toute autre intervention au motif que cela irait à l’encontre de la volonté de ce dernier. Elle a relaté que deux ans auparavant, alors qu’elle regardait une émission de télévision où l’on traitait une personne ayant tenté de mettre fin à ses jours, son fils lui aurait dit : « Maman, il ne faudrait pas qu’il m’arrive quelque chose de semblable. Je ne voudrais pas que cela m’arrive. »

Or, cinq autres opérations sont nécessaires dans l’immédiat pour assurer sa survie et lui redonner une fonctionnalité semblable à celle dont il bénéficiait avant sa tentative de suicide. Depuis le début de son hospitalisation, l’homme est intubé et soumis à une forte sédation. Sa condition ne lui permet pas de comprendre les explications relatives à son état de santé ni d’exprimer un consentement valide à l’égard des traitements proposés.

Le juge a fait référence à l’arrêt de la Cour suprême Cuthbertson c. Rasouli, concernant la notion de «désirs exprimés antérieurement par une personne», dans lequel la Cour a précisé qu’il fallait déterminer si, au moment où le désir a été exprimé, le patient voulait qu’il s’applique dans sa situation actuelle.

Selon le juge, les commentaires exprimés par le défendeur à sa mère deux ans plus tôt ne peuvent être interprétés comme indiquant son désir de refuser un traitement qui, en situation de mort appréhendée, pourrait le ramener à une condition comparable à celle qu’il avait auparavant, en tenant compte des risques qui n’ont aucune proportion avec les bénéfices escomptés. Le juge a donc conclu que le refus de la mère de consentir aux soins requis par l’état de santé de son fils n’était pas justifié.

P.C. c. Centre d’hébergement de Tracy

Ici, le demandeur voulait obtenir une injonction provisoire pour ordonner le transfert immédiat de sa mère à son domicile afin qu’elle y achève sa vie. Il soutient essentiellement que le centre d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) où sa mère est hébergée doit s’incliner devant la volonté exprimée par celle-ci dans son mandat d’inaptitude, avant qu’elle ne devienne inapte à demeurer à domicile.

La mère du demandeur, âgée de 93 ans, est atteinte d’Alzheimer et souffre notamment d’insuffisance rénale, de diabète et d’hypertension artérielle. Elle est désormais incapable de s’exprimer, de s’alimenter et de s’hydrater. Lors de l’audition de la requête, elle était semi-consciente et en fin de vie. Selon son médecin, elle pouvait décéder d’un moment à l’autre, tout au plus d’ici deux semaines si sa condition ne change pas.

Le juge a d’abord conclu que le demandeur n’avait pas d’intérêt juridique personnel suffisant pour agir puisque le Curateur public avait déjà été nommé curateur à la personne de sa mère. Il appartient donc à celui-ci d’exercer ou non les droits cette dernière.

De plus, il a retenu que la dame n’avait pas exprimé le désir de mourir à domicile mais, au contraire, d’y demeurer aussi longtemps que le lui permettrait son autonomie, ce qui n’est plus le cas. Le juge a également examiné la clause du mandat d’inaptitude traitant du consentement aux soins. La mère du demandeur y exprime clairement son opposition à tout acharnement thérapeutique ainsi que sa volonté de mourir dignement en recevant tous les soins palliatifs susceptibles de diminuer ses souffrances et de lui procurer le confort requis, même si ces médicaments devaient hâter sa mort. Selon le juge, cela signifiait que la dame ne voulait pas demeurer à son domicile à tout prix ni y retourner pour finir ses jours au détriment de son confort. Il a conclu que le demandeur n’avait pas démontré qu’il serait en mesure d’exaucer la volonté prioritaire de sa mère si le tribunal ordonnait le transfert de celle-ci à son domicile. Au contraire, son transport en ambulance exigerait plusieurs changements de positions et risquerait de réduire son confort. En raison de son état critique, elle pourrait même décéder en route. Enfin, le juge a noté qu’il serait douteux, dans l’état actuel de la dame, qu’elle reconnaisse son domicile… La requête en injonction provisoire a donc été rejetée, mais le CHSLD a offert d’aménager une pièce permettant au demandeur de demeurer au chevet de sa mère en tout temps.

Références

  • Centre hospitalier de l’Université de Montréal c. M.B. (C.S., 2014-06-17), 2014 QCCS 2866, SOQUIJ AZ-51083409.  À la date de diffusion, la décision n’avait pas été portée en appel.
  • Cuthbertson c. Rasouli (C.S. Can., 2013-10-18), 2013 CSC 53, SOQUIJ AZ-51009994, 2013EXP-3330, J.E. 2013-1818, [2013] 3 R.C.S. 341.
  • P.C. c. Centre d’hébergement de Tracy (C.S., 2014-06-13), 2014 QCCS 2867, SOQUIJ AZ-51083410.  À la date de diffusion, la décision n’avait pas été portée en appel.
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