Alors que vous conduisez un véhicule, vous êtes interpellé par des policiers en patrouille. Ceux-ci soupçonnent une consommation d’alcool supérieure à la limite permise et vous demandent de fournir un échantillon d’haleine à l’aide d’un appareil de détection approuvé (ADA). Qu’en est-il alors de vos droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés, dont le droit à l’assistance d’un avocat, et qu’en est-il de l’obligation des policiers de vous en faire part et de vous permettre l’exercice de celui-ci?

L’article 254 (2) du Code criminel se lit comme suit:

254 (2) L’agent de la paix qui a des motifs raisonnables de soupçonner qu’une personne a dans son organisme de l’alcool ou de la drogue et que, dans les trois heures précédentes, elle a conduit un véhicule — véhicule à moteur, bateau, aéronef ou matériel ferroviaire — ou en a eu la garde ou le contrôle ou que, s’agissant d’un aéronef ou de matériel ferroviaire, elle a aidé à le conduire, le véhicule ayant été en mouvement ou non, peut lui ordonner de se soumettre aux mesures prévues à l’alinéa a), dans le cas où il soupçonne la présence de drogue, ou aux mesures prévues à l’un ou l’autre des alinéas a) et b), ou aux deux, dans le cas où il soupçonne la présence d’alcool, et, au besoin, de le suivre à cette fin :

a) subir immédiatement les épreuves de coordination des mouvements prévues par règlement afin que l’agent puisse décider s’il y a lieu de donner l’ordre prévu aux paragraphes (3) ou (3.1);

b) fournir immédiatement l’échantillon d’haleine que celui-ci estime nécessaire à la réalisation d’une analyse convenable à l’aide d’un appareil de détection approuvé.

Dans R. c. Turcotte, des policiers qui manipulaient un cinémomètre la nuit ont vu passer le véhicule de l’accusé, dont les phares étaient éteints, et ils ont décidé de le suivre. Après avoir exécuté quelques manœuvres brusques, ce dernier a garé son véhicule au fond d’un stationnement puis a couru vers la porte d’entrée d’une maison pour y entrer. Les policiers ont bloqué la porte pour pouvoir discuter avec lui, mais ce dernier a refusé d’établir son identité et s’est réfugié dans une salle de bains. Finalement, l’accusé est sorti de la maison et il a été menotté. Il a alors été arrêté pour entrave et informé de son droit au silence et de celui à l’assistance d’un avocat. Par la suite, l’un des policiers ayant perçu chez l’accusé une odeur d’alcool, l’ordre lui a été donné de fournir un échantillon d’haleine à l’aide d’un ADA. Toutefois, comme ils n’étaient pas en possession d’un tel appareil, ils ont dû attendre environ 20 minutes avant qu’on leur en livre un. L’accusé ayant échoué au deuxième test, il a été mis en état d’arrestation et informé de ses droits constitutionnels. Faisant face à des accusations de conduite avec une alcoolémie supérieure à la limite permise et d’entrave au travail des policiers, ce dernier a demandé l’exclusion de la preuve au motif que son droit garanti à l’article 10 b) de la Charte canadienne des droits et libertés avait été violé. La poursuite a soutenu qu’il avait été avisé de ses droits dès son arrestation pour entrave. 

Cette affaire présente plusieurs aspects intéressants. Premièrement, citant R. c. Orbanski; R. c. Elias, de la cour Suprême, le juge Daoust nous rappelle qu’il est reconnu et légal «que l’accusé contraint à fournir un échantillon d’haleine dans un appareil de détection approuvé voit son droit aux services d’un avocat suspendu malgré sa détention» (paragr. 39). Le juge fait également référence à R. c. Woods, affaire dans laquelle le juge Fish donne l’exemple d’un délai de 15 minutes pouvant répondre à l’exigence d’immédiateté. De la jurisprudence, le juge Daoust retient que «la restriction au droit à l’avocat trouve sa justification en fonction du fait que l’échantillon doit être fourni immédiatement et pratiqué souvent sur le bord de la route, au moment et à l’endroit où l’automobiliste est arrêté. Lorsque l’agent de la paix n’est pas en mesure d’administrer le test de détection en raison du fait qu’il n’est pas en possession de l’appareil, c’est là qu’il y a lieu de s’interroger si les circonstances permettent d’accommoder l’accusé afin qu’il puisse avoir le droit à l’assistance d’un avocat» (paragr. 41). Enfin, le juge cite la Cour du banc de la Reine de Saskatchewan dans R. v. Husulak, qui, résumant la jurisprudence, relève que «le fait qu’il n’y a pas d’ADA sur les lieux de l’interception ne constitue pas en soi une ?circonstance inhabituelle?. Si cette indisponibilité de l’ADA provoque un retard, l’agent de la paix doit respecter les dispositions de l’article 10 b) de la Charte» (paragr. 54).

Fort de ces décisions, le juge s’est alors demandé si l’accusé avait eu la possibilité raisonnable de communiquer avec un avocat, la disponibilité d’un téléphone étant un facteur pertinent. Or, bien qu’il reconnaisse que l’accusé avait déjà été avisé de ses droits lorsqu’il avait été arrêté pour entrave à la suite de son refus d’établir son identité et qu’il avait refusé de faire appel à un avocat, le juge en vient toutefois à la conclusion que les policiers auraient dû l’aviser de nouveau de ses droits relativement à son arrestation pour conduite avec les facultés affaiblies, distinguant ainsi le présent dossier de R. c. Schmautz en ce que les accusations portées contre l’accusé n’avaient pas de lien entre elles. Il a considéré que « l’accusé pouvait, en l’espèce, refuser d’exercer son droit à l’avocat pour une accusation relative au défaut de s’identifier sans nécessairement y voir de lien avec les conséquences d’une conduite d’un véhicule à moteur avec les facultés affaiblies» (paragr. 67).

Il y avait donc eu des possibilités raisonnables pour que l’accusé consulte un avocat et cela n’avait été ni exploré ni offert alors que les policiers savaient qu’un délai était nécessaire pour que l’ADA arrive sur place. Le juge a retenu que, même si les policiers n’avaient pas la stricte obligation de vérifier si l’accusé était en possession d’un téléphone cellulaire, la preuve avait révélé que c’était le cas et il nous renvoie à R. v. Dombrowski, affaire dans laquelle la Cour d’appel de la Saskatchewan a déterminé qu’il n’existe pas de justification à la limitation du droit d’un accusé à contacter sans délai un avocat lorsqu’un téléphone est immédiatement disponible pour ce faire. Les policiers n’ont pas à attendre au poste de police pour permettre le droit à l’avocat sauf si des circonstances particulières de sécurité empêchent l’exercice du droit au domicile de l’accusé» (paragr. 76).

Le délai écoulé avant qu’un ADA ne soit disponible permettait donc l’exercice du droit à l’assistance d’un avocat par l’accusé. Le juge en a alors conclu que la détention de ce dernier, confiné dans l’auto-patrouille durant les 17 à 24 minutes ayant précédé l’arrivée de l’ADA, sans être avisés de ses droits, était illégale et arbitraire et, appliquant les critères de R. c. Grant, il a ordonné l’exclusion de la preuve ainsi obtenue.

Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Lafrenière-Bérubé présente aussi un intérêt, notamment quant à l’obligation des policiers d’administrer le test à l’aide de l’ADA une fois l’ordre donné au prévenu de fournir un échantillon d’haleine. Dans cette affaire, le juge Gervais, de la Cour du Québec, nous rappelle que, d’une part, les agents de la paix qui interceptent un véhicule et soupçonnent la présence d’alcool dans le sang du conducteur ne doivent pas obligatoirement respecter un délai de 15 minutes avant de demander un échantillon d’haleine, sans quoi le résultat obtenu ne peut servir de fondement pour exiger qu’il se soumette à l’alcootest. Il revient aux policiers de décider que les circonstances sont telles qu’il est souhaitable d’attendre 15 minutes afin d’éviter un résultat qui serait inexact. Reconnaissant que la consommation d’alcool dans les 15 minutes précédant le prélèvement d’un échantillon d’haleine peut fausser le résultat de l’ADA en raison des résidus demeurés dans la bouche, le juge précise qu’il revient aux policiers de décider si les circonstances sont telles qu’ils sont fondés à attendre un certain temps avant de prélever un échantillon d’haleine. Ainsi, absolument rien ne les oblige à retarder la prise de l’échantillon s’ils n’ont pas de motif sérieux de soupçonner une consommation récente. D’autre part, dans cette affaire où le juge reconnaît qu’il y a eu violation du droit à l’assistance d’un avocat, ce dernier, appelé à décider du remède approprié, rejette l’idée que, en tout état de cause, l’exercice de ce droit ne changeait rien à l’issue finale puisque, de toute façon, l’accusé n’avait d’autre choix que de fournir un échantillon d’haleine, considérant que cela équivaudrait à anéantir en pratique cette garantie constitutionnelle dans de telles circonstances. Or, de dire le juge Gervais, s’il est vrai que la conduite en état d’ébriété constitue un fléau contre lequel il faut lutter, en l’espèce, il y avait lieu de ne pas mettre cette considération au premier plan et d’exclure la preuve.

Références

  • R. c. Turcotte (C.Q., 2014-07-29), 2014 QCCQ 6889, SOQUIJ AZ-51098266, 2014EXP-2660, J.E. 2014-1519.
  • R. c. Orbanski; R. c. Elias (C.S. Can., 2005-06-16), 2005 CSC 37, SOQUIJ AZ-50318595, J.E. 2005-1172, [2005] 2 R.C.S. 3.
  • R. c. Woods (C.S. Can., 2005-06-29), 2005 CSC 42, SOQUIJ AZ-50320846, J.E. 2005-1246, [2005] 2 R.C.S. 205.
  • R. v. Husulak, 2006 SKQB 284, [2006] S.J. No. 480 (Q.L.), [2006] 9 W.W.R. 259, 283 Sask. R. 31, 70 W.C.B. (2d) 358.
  • R. c. Schmautz (C.S. Can., 1990-03-15), SOQUIJ AZ-90111021, J.E. 90-484, [1990] 1 R.C.S. 398.
  • R. v. Dombrowski, (1985), 18 C.C.C. (3d) 164, 44 C.R. (3d) 1, 1985 CanLII 182, 37 Sask. R. 259 (C.A.).
  • R. c. Grant (C.S. Can., 2009-07-17), 2009 CSC 32, SOQUIJ AZ-50566222, J.E. 2009-1379, [2009] 2 R.C.S. 353.
  • Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Lafrenière-Bérubé (C.Q., 2014-07-15), 2014 QCCQ 6190, SOQUIJ AZ-51094067, 2014EXP-2661, J.E. 2014-1520.
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