Lorsque le comportement inhabituel d’un employeur à l’égard d’un travailleur est allégué être à l’origine d’une lésion psychologique, la Commission des lésions professionnelles doit notamment analyser si celui-ci s’inscrit dans l’exercice raisonnable des droits de la direction. Il n’est pas nécessaire de démontrer la faute ou l’intention de nuire de l’employeur puisque le seul exercice déraisonnable d’un droit constitue un abus qui peut être assimilé à un événement imprévu et soudain au sens de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

Dans P.R. et Anciens combattants Canada, la CLP a reconnu que la travailleuse avait subi une lésion professionnelle psychologique, soit un trouble de l’adaptation avec humeur anxio-dépressive, une dépression majeure et une aggravation d’une condition personnelle de trouble obsessionnel compulsif, en raison des agissements de sa chef d’équipe et de son supérieur hiérarchique dans un contexte de suivi du rendement. La travailleuse exerce des fonctions de gestionnaire de cas dans l’armée. Ses tâches consistaient à traiter les cas des anciens combattants et des ex-militaires qui effectuaient leur transition vers la vie civile. Depuis 2009, la travailleuse faisait l’objet d’un suivi du rendement par l’employeur qui nécessitait qu’elle soumette son travail à sa chef d’équipe pour rétroaction et signature.

Le tribunal a tout d’abord précisé que l'encadrement d'un employé à des fins de formation ou d'évaluation du rendement relevait des droits de la direction et qu’il n’avait pas à juger de l'opportunité pour l'employeur de procéder au suivi de la travailleuse dans ses tâches ni du bien-fondé du principal moyen utilisé pour y parvenir, soit la rétroaction par sa chef d'équipe. De plus, il a indiqué que, si la preuve ne révélait que les inconvénients vécus par la travailleuse forcée de soumettre son travail à sa chef d'équipe, y compris le dédoublement des tâches par la rédaction d'un brouillon et par la saisie du document par la suite, il n'interviendrait pas. Il ne s'agirait que de la méthode d'encadrement utilisée par la chef d'équipe mandatée pour faire le suivi du rendement et, donc, de l'exercice des droits de la direction sans preuve prépondérante d'un usage abusif de ce droit.

Toutefois, le tribunal a retenu que la preuve démontrait que l'exercice des droits de la direction est devenu abusif et anormalement préjudiciable pour la travailleuse d'un point de vue psychique lorsque, à compter de 2011, la chef d'équipe a accusé des retards dans la remise de ses rétroactions. Avec le temps, les difficultés engendrées par ces retards sont devenues intenables pour la travailleuse. En effet, les gestionnaires de cas doivent s'occuper de clients qui ont des problèmes complexes d'ordre physique et psychique avec dépendance et comorbidité. La travailleuse devait directement composer avec ces clients, qui la relançaient pour savoir s'ils pouvaient recevoir les services ou à quel moment ils pourraient les recevoir. Elle devait également composer avec les fournisseurs de services et les partenaires, qui, eux aussi, attendaient. Elle ne pouvait cependant rien faire tant qu'elle n'avait pas obtenu la rétroaction de sa chef d'équipe. De plus, le tribunal a retenu que le tout se déroulait dans un climat de travail tendu.

Après avoir précisé qu’un suivi de rendement pouvait être une situation stressante pour un travailleur, le tribunal a conclu que l’omission de l’employeur d'intervenir pour régler le problème était déraisonnable selon le concept de l'employeur compétent et diligent qui exerce son autorité avec équité.

Référence

 P.R. et Anciens combattants Canada (C.L.P., 2014-08-08), 2014 QCCLP 4698, SOQUIJ AZ-51102393, 2014EXPT-1626.