Publié initialement sur LesAffaires.com
BLOGUE. Alors que son second chapitre venait à peine de démarrer (le premier a duré plus de 20 ans…), voilà que la plus longue saga judiciaire de l’histoire de la province s’engage sur la voie expéditive de l’insolvabilité et pourrait, ironiquement, trouver à brève échéance son dénouement en Ontario.
Pour ceux qui ignorent les tenants et aboutissement de cette affaire, rappelons simplement que la Cour d’appel a récemment confirmé que le défunt cabinet comptable Coopers & Lybrand avait fait preuve de négligence professionnelle dans sa vérification des états financiers de la société Castor Holdings Inc., ce qui pouvait avoir causé des dommages aux investisseurs qui s’y étaient fiés.
Ce jugement de la Cour d’appel, loin de mettre un terme au débat, a relancé près d’une trentaine de poursuites suspendues jusqu’alors.
Or, le 8 décembre dernier, alors qu’un procès de six mois était sur le point de débuter devant la Cour supérieure du Québec, ce qui reste de Coopers & Lybrand (je vous épargne les détails de la structure « corporative ») a obtenu de la Cour supérieure de l’Ontario la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies.
Cette ordonnance, qui a ensuite reçu l’aval des tribunaux québécois, a suspendu tous les litiges en cours.
Dans l’intervalle, Coopers tentera de faire approuver par ses créanciers un plan d’arrangement qui réglera l’ensemble des réclamations (lesquelles totalisent environ 1,5 milliard de dollars).
Des documents déposés devant le tribunal nous comprenons que le plan d’arrangement que Coopers envisage de présenter prévoirait le versement aux créanciers d’une somme d’environ 220 millions de dollars.
Cette somme serait amassée à même des contributions provenant des anciens associés de Coopers et des assureurs du cabinet.
En échange de cette contribution, le plan éteindrait toute réclamation non seulement contre Coopers, mais également contre ses assureurs et ses anciens associés (lesquels font face à une responsabilité personnelle et risquent la faillite).
Coopers soutient que cette proposition aurait l’avantage de mettre un terme immédiat à une guérilla judiciaire qui, autrement, pourrait se prolonger encore plusieurs années.
Pour qu’un tel arrangement puisse être soumis à la Cour pour approbation, il faudra, sous réserve de certaines nuances, qu’une majorité simple (50 % + 1) des créanciers de Coopers votent en faveur de son plan. Il faudra également que les réclamations de ces créanciers totalisent deux tiers de la valeur totale des réclamations. C’est ce qui s’appelle, dans le jargon de l’insolvabilité, la « double majorité».
À l’heure actuelle, Coopers affirme avoir obtenu, aux termes de négociations de règlement, le soutien d’un groupe représentant près de la majorité des créanciers et près de 39 % des réclamations déposées.
Le hic, c’est que la partie qui fait valoir la plus importante réclamation, soit Chrysler Canada Inc., ne fait pas partie de ce groupe et a déposé des procédures visant à tuer dans l’œuf la démarche proposée par Coopers. Une requête a d’ailleurs été entendue le 6 janvier dernier et une décision est attendue sur cette question.
Selon Chrysler (qui est représentée par le cabinet montréalais Woods), Coopers est l’unique cause de la guérilla judiciaire qu’elle entend aujourd’hui solutionner, ayant adopté, dès le début, une stratégie d’obstruction systématique visant à épuiser les ressources des parties adverses.
Selon les mémoires déposés en Cour, Chrysler a également fait valoir qu’une société comme Coopers, qui n’a plus aucune activité autre que d’assurer sa liquidation ordonnée, ne devrait pas avoir le droit de se prévaloir de la législation en matière de restructuration, a fortiori lorsque le processus sert principalement les intérêts de tierces parties (lire : les associés et les assureurs).
Cependant, sa réclamation de 433 millions représente seulement 28,8 % des réclamations figurant à la liste des créanciers, ce qui serait insuffisant pour lui permettre, à elle seule, de défaire le plan, si ce dernier était soumis à un vote.
Ce pourcentage pourrait cependant être appelé à changer puisque certaines de ces réclamations, dont la sienne, pourraient être réévaluées à la baisse par le Contrôleur, ou carrément rejetées. D’ailleurs, la légitimité des réclamations d’un autre groupe important de créanciers, gravitant autour de Marco Gambazzi, un avocat d’origine suisse, semble être fortement mise en doute.
On s’attend donc à une lutte féroce, où Coopers et les autres parties intéressées feront valoir le soutien de la majorité des créanciers et l’intérêt de la justice à voir cette saga prendre fin, alors que Chrysler tentera de démontrer l’illégitimité du processus ou l’iniquité du plan d’arrangement. Sans compter les disputes potentielles quant à la quantification des réclamations…
Bref, si les créanciers faisaient front commun depuis les tout premiers débuts, la scission qui s’est récemment opérée entre eux pourrait être le point culminant de l’affaire.
Aussi, alors que l’on croyait qu’elle avait un genou à terre après le jugement de la Cour d’appel mentionné ci-haut, voilà que Coopers, de même que ses assureurs et ses anciens associés, pourraient s’en tirer en payant 15 % de la valeur totale des réclamations… et, du même coup, imposer au plus important créancier un règlement dont il refuse les termes.
Dans un contexte où la faute de Coopers est déjà établie aux termes d’un jugement final, cela ne me semble pas mal du tout.
« Diviser pour mieux régner », dit l’adage!
Les documents versés dans le dossier d’insolvabilité sont disponibles au : http://documentcentre.eycan.com/Pages/Main.aspx?SID=319
Les auteurs du Blogue ne peuvent donner d'opinion ni de conseil juridique relativement aux situations personnelles des lecteurs.
Consultez un avocat ou un notaire pour obtenir des réponses appropriées à votre situation : visitez la Boussole juridique pour trouver des ressources gratuites ou à faible coût.