Le droit des étudiants ayant voté pour une «grève» ou un «boycott» des cours au sein d’une institution d’enseignement ne va pas aussi loin que ce qu’ils prétendent: ils ne peuvent paralyser celle-ci et forcer l’arrêt de ses activités académiques et administratives.

C’est ce qu’a conclu le juge Robert Mongeon dans Université du Québec à Montréal c. Association facultaire des étudiants en arts de l’Université du Québec à Montréal (AFEA-UQAM).

L’UQAM a présenté une requête en injonction provisoire afin d’enjoindre à des associations étudiantes et aux dirigeants de celles-ci de « cesser d’interférer avec ses activités et de protéger son droit à la réalisation de sa mission, de protéger son droit de propriété et de protéger les droits des étudiants et des individus qui fréquentent légitimement l’UQAM ». Elle reproche notamment aux étudiants d’avoir compromis l’intégrité et la sécurité des personnes se trouvant sur ses propriétés, d’avoir fait irruption dans des salles de cours (en étant parfois masqués et cagoulés), d’avoir bloqué l’accès à ses pavillons, d’avoir posé des gestes d’intimidation et d’avoir détruit du mobilier et de l’équipement appartenant à l’UQAM.

Le juge a d’abord rappelé que même en droit du travail, où le droit à la libre association et le droit de faire la grève comme moyen de pression sont largement reconnus, un syndicat n’aurait pas le droit de poser de tels gestes ni d’empêcher la continuation des opérations d’un employeur, dans la mesure où celles-ci se poursuivraient dans le respect de la législation applicable.

Il a également fait référence à la cinquantaine de jugements rendus en 2012 lors du «printemps érable», dont la très grande majorité a nié aux étudiants le droit de fermer des salles de cours ou d’empêcher les étudiants de poursuivre leur formation académique. Selon lui, l’étendue du droit de grève des étudiants relève du pouvoir législatif et non du pouvoir judiciaire. Il a toutefois conclu que le droit actuel au Québec n’avait pas changé depuis 2012 et que les jugements rendus alors, notamment Lessard c. Cégep de Sherbrooke, Carrier c. Université de Sherbrooke, Guay c. Société générale des étudiantes et étudiants du Collège de Maisonneuve et Université du Québec à Chicoutimi c. Mouvement des associations générales étudiantes de l’Université du Québec à Chicoutimi (MAGE-UQAC), sont toujours d’actualité :

[29] Le droit n’a pas changé depuis 2012. Les étudiants d’une institution d’enseignement postsecondaire ou universitaire ont le droit de se regrouper en association, de défendre leurs droits et leurs intérêts, au moyen de multiples démarches y compris le boycott de leurs propres cours. Ils n’ont, cependant, pas le droit de forcer la « levée » des cours prodigués par une université ou autre organisme public d’enseignement postsecondaire ou universitaire.  Ils n’ont pas le droit, non plus, de paralyser les services administratifs d’une telle institution. Bref, ils n’ont pas le droit de « fermer » l’UQAM.

Le juge a conclu qu’il y avait urgence d’intervenir afin de faire cesser les comportements reprochés et que le critère de l’apparence de droit était rempli. En citant l’affaire Michaudville c. Cégep de St-Laurent, il a retenu que « le droit de « grève » dont les Étudiants tentent de se prévaloir se résume à leur droit de boycotter leurs cours.  Ils ne peuvent en aucune façon empêcher ceux et celles qui le désirent d’assister à leurs cours et de recevoir la formation que l’institution (ici l’UQAM) a l’obligation contractuelle de leur offrir. ». Si le législateur voulait accorder un tel droit aux étudiants, il faudrait qu’il le fasse de façon très explicite.

L’UQAM a non seulement le droit d’opérer mais elle en a l’obligation envers les autres étudiants qui veulent suivre leurs cours.

Enfin, le juge a fait remarquer que l’ordonnance ne priverait pas les étudiants de leur liberté d’expression puisque ceux-ci ne peuvent, au nom de cette liberté, revendiquer le droit :

  • de bloquer les accès d’une université;
  • d’empêcher les gens d’en sortir;
  • d’entraver le fonctionnement d’une maison d’enseignement sur le plan administratif;
  • de se livrer à des actes d’intimidation, de menaces ou de harcèlement;
  • de détériorer des biens ou de commettre des actes de vandalisme;
  • de priver les autres étudiants de leur université de leur droit de suivre leurs cours dans un contexte propice.

 La requête de l’UQAM a donc été accueillie et l’ordonnance est en vigueur jusqu’au 13 avril 2015.

Références

  • Université du Québec à Montréal c. Association facultaire des étudiants en arts de l’Université du Québec à Montréal (AFEA-UQAM), (C.S., 2015-04-01), 2015 QCCS 1236, SOQUIJ AZ- AZ-51163763.
  • Lessard c. Cégep de Sherbrooke (C.S., 2012-04-24), 2012 QCCS 1669, SOQUIJ AZ-50849799, 2012EXP-1752, J.E. 2012-940.
  • Carrier c. Université de Sherbrooke (C.S., 2012-04-18), 2012 QCCS 1612, SOQUIJ AZ-50848684, 2012EXP-1651, J.E. 2012-883.
  • Guay c. Société générale des étudiantes et étudiants du Collège de Maisonneuve (C.S., 2012-04-27), 2012 QCCS 1732, SOQUIJ AZ-50851119, 2012EXP-1848, J.E. 2012-977.
  • Université du Québec à Chicoutimi c. Mouvement des associations générales étudiantes de l’Université du Québec à Chicoutimi (MAGE-UQAC), (C.S., 2012-04-05), 2012 QCCS 1561, SOQUIJ AZ-50848305, 2012EXP-1652, J.E. 2012-884.
  • Michaudville c. Cégep de St-Laurent (C.S., 2012-04-18), 2012 QCCS 1677, SOQUIJ AZ-50850352, 2012EXP-1751, J.E. 2012-939.
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