«Il n'est jamais utile de se rendre odieux et d'enflammer la haine».
Napoléon Bonaparte; Maximes et pensées (1769-1821)
En ces temps où la fragilité de la paix n’est plus à démontrer, il y a lieu de rappeler qu’on peut être tenu criminellement responsable d’avoir incité à la haine contre un groupe identifiable. Il s’agit de l’article 319 (1) du Code criminel (C.Cr.), qui se lit comme suit :
Incitation publique à la haine
319 (1) Quiconque, par la communication de déclarations en un endroit public, incite à la haine contre un groupe identifiable, lorsqu’une telle incitation est susceptible d’entraîner une violation de la paix, est coupable :
a) soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de deux ans;
b) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.
Cette infraction exige la démonstration des éléments essentiels suivants : la communication de déclarations qui incitent à la haine; en un endroit public; contre un groupe identifiable; et qu'une telle incitation est susceptible d'entraîner une violation de la paix.
L’Affaire Rioux
Les faits
En janvier 2016, la juge Johanne Roy, de la Cour du Québec, a eu à se prononcer sur la culpabilité de monsieur Rioux, accusé notamment d’avoir incité à la haine contre un groupe identifiable en vertu de l’article 319 (1) C.Cr. Les faits ayant donné lieu aux accusations se sont produits en octobre 2014 alors que l’accusé a partagé des commentaires sur la page Facebook de TVA Nouvelles en participant à un forum d’échange. Les propos reprochés avaient un lien notamment avec la communauté et la religion musulmanes.
Décision
D’entrée de jeu, la juge Roy rappelle que la haine n’est pas définie au Code criminel et, mettant à profit l’enseignement de la Cour suprême dans Keegstra et Mugesera, elle retient que celle-ci désigne «une émotion à la fois intense et extrême qui est clairement associée à la calomnie et à la détestation. Appliquée aux faits de l’affaire qui nous occupe, la juge a conclu que «[l]es mots utilisés» par l’accusé, «les images proposées, la répétition des propos et le style de rédaction empreint de violence convainquent» qu'il s'agissait de haine (paragr. 26). Elle a jugé que, de toutes les interventions sur le forum de discussion, celles exprimées par l'accusé se distinguaient nettement par l'expression d'un profond mépris.
Quant au site d’échange en question, elle a retenu qu’il correspondait à un «endroit public» tel que défini au paragraphe 7 de l’article 319 C.Cr., à savoir «[t]out lieu auquel le public a accès de droit ou sur invitation, expresse ou tacite». En ce qui a trait au «groupe identifiable», autre élément essentiel de l’infraction, il faut s’en remettre à la définition prévue à l’article 318 C.Cr. et «s’entend de toute section du public qui se différencie des autres par la couleur, la race, la religion, l’origine nationale ou ethnique, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle ou la déficience mentale ou physique» (art. 318 C.Cr.). Dans notre affaire, il a été démontré que, avant l'intervention de l'accusé sur le site d’échange, les commentaires formulés désignaient, pour la quasi-totalité, des personnes de confession musulmane. Les textes incluaient des références à la religion et à la communauté musulmane, à l'islam et à l'islamophobie. Aussi, de dire la juge Roy, la lecture de ces nombreux commentaires ne créait donc aucune confusion quant au sujet traité sur le site. Elle n’a pas retenu l’explication de l’accusé, qui soutenait avoir copié le commentaire d’un autre, sans connaître l’actualité ou savoir de quoi il parlait, compte tenu notamment du nombre d’interventions que ce dernier avait faites sur le site et de leur cohérence. Enfin, à la prétention de l’accusé, qui a expliqué ne pas avoir eu l’intention d’inciter à la haine, la juge a répondu que la violence de ses propos, son insistance à partager un sentiment d'intolérance au point de proposer le recours à la force et les insultes qu’il a clairement exprimées à l'égard de ceux plutôt d'avis d'accueillir avec ouverture et respect les membres de la communauté musulmane étaient susceptibles d'entraîner une violation de la paix.
Considérant objectivement que la forme du propos, l'insistance investie à convaincre et les images proposées par les remarques de l'accusé font en sorte que les éléments essentiels de l'infraction à l'article 319 (1) C.Cr. ont été démontrés, la juge Roy a conclu à la culpabilité de ce dernier. Il est à noter que Rioux, qui faisait aussi face à une accusation d’avoir proféré des menaces de mort ou de causer des lésions corporelles, a été acquitté sous ce chef, la juge ayant conclu qu’une personne raisonnable, bien renseignée, devrait tenir compte de l'ensemble des interventions de l'accusé, ce qui correspondait davantage à l'expression de propos haineux qu'à la formulation de véritables menaces.
Références
- R. c. Rioux (C.Q., 2016-01-22), 2016 QCCQ 6762, SOQUIJ AZ-51307283.
- R. c. Keegstra (C.S. Can., 1990-12-13), SOQUIJ AZ-91111011, J.E. 91-42, [1990] 3 R.C.S. 697.
- Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (C.S. Can., 2005-06-28), 2005 CSC 40, SOQUIJ AZ-50320517, J.E. 2005-1242, [2005] 2 R.C.S. 100.
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