Je connais peu de gens qui aiment subir un examen médical. La situation ne s’améliore pas lorsque l’examen s’inscrit dans un processus d’indemnisation comme celui encadré par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP). Cependant, la convocation à un tel examen n’est pas à prendre à la légère.
Le travailleur victime d’une lésion professionnelle qui est convoqué, par exemple, à un examen par le médecin désigné par son employeur pourra se voir imposer par la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) une réduction ou une suspension du paiement de son indemnité de remplacement du revenu (IRR) si, sans raison valable, il entrave cet examen ou encore omet ou refuse de s’y soumettre, sauf si son propre médecin est d’avis qu’il s’agit d’un examen qui présente habituellement un danger grave.
Si l’«omission» ou le «refus» sont peut-être des notions plus faciles à cerner, ce n’est pas nécessairement le cas de l’«entrave», que la loi ne définit pas. Dans Vaval et CUSM - Hôpital général de Montréal, le Tribunal administratif du travail (TAT) nous indique ceci :
[54] Dans l’affaire Prévost Car inc. et Chouinard, le Tribunal retient la définition du terme entrave contenu au dictionnaire, indiquant que ce terme implique l’existence d’une action ou d’une manœuvre volontaire ayant pour effet d’entacher le résultat. À ce titre, la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles et la Commission des lésions professionnelles ont reconnu que les situations ci-après décrites comme étant de l’entrave au sens de l’article 142 de la loi :
- s’absenter pour aller se reposer à son chalet;
- recevoir une infiltration avant la tenue d’un examen par un membre du Bureau d’évaluation médicale;
- exiger la présence d’un tiers malgré le refus du médecin examinateur;
- refuser ou manquer de collaboration.
En ce qui a trait à la notion d’examen qui «présente habituellement un danger grave» dont il est question à l’article 142 LATMP, comme l’écrit le TAT dans Pêcheries Marinard ltée et Dupuis :
[15] […] Ce qui est visé par cette disposition est un examen diagnostique qui serait très intrusif et présenterait effectivement un danger grave. Cette disposition vise notamment à empêcher qu’un travailleur refuse, sans raison valable, de se soumettre, par exemple, à une prise de sang ou à une résonance magnétique prescrite par son médecin pour permettre d’évaluer sa condition. […]
Par ailleurs, ainsi que le souligne le TAT dans cette même affaire – et comme il ressort du libellé de l’article 142 LATMP –, la CNESST peut réduire ou suspendre le paiement de l’indemnité uniquement si le travailleur agit sans une «raison valable». La raison invoquée par le travailleur doit être interprétée «de façon large et libérale». Ce dernier n’a pas à démontrer une impossibilité absolue de se présenter à l’examen auquel il a été convoqué.
Dans Guay et Mécanique CNC 2002 inc., la CLP, pour évaluer l’existence d’une «raison valable», a procédé à une analogie avec le contexte d’analyse retenu par la jurisprudence afin d'apprécier ce qui constitue un «motif raisonnable» permettant de relever une partie de son omission de contester une décision dans les délais prévus à la loi. Ainsi, elle a retenu que :
[25] Une raison valable est une «notion large et elle permet de considérer un ensemble de facteurs susceptibles d’indiquer, à partir des faits, des démarches, des comportements, de la conjoncture, des circonstances, etc., si le travailleur a un motif non farfelu, crédible et qui fait preuve de bon sens, de mesure et de réflexion».
[26] L’omission ou le refus de se présenter à l’examen médical requis par l’employeur, en raison d’engagements médicaux, des conditions climatiques particulières, une erreur commise de bonne foi, peut être considéré comme des raisons valables au sens de la loi.
Il arrive que des événements de la vie quotidienne ou une condition propre à un travailleur soient invoqués – avec succès ou non – pour expliquer ce qui au premier abord pourrait être perçu comme une entrave à un examen médical ou encore une omission ou un refus de se soumettre à un tel examen. Voici quelques exemples tirés de la jurisprudence.
Panne de métro
Dans Vaval et CUSM - Hôpital général de Montréal, le travailleur avait notamment expliqué qu'il était dans l'impossibilité de se rendre à l'examen médical fixé par son employeur en raison d'une panne survenue dans le métro de Montréal durant le trajet pour s'y rendre. Or, une recherche sur Internet avait révélé qu'une panne d'une durée d'une demi-heure avait effectivement eu lieu, mais la veille de l’examen. Le travailleur n'ayant pas présenté d'éléments de preuve, comme une lettre de la Société de transport de Montréal, attestant qu'une panne de métro s’était produite le jour de l’examen ou encore des articles de journaux rapportant cette nouvelle parmi les faits divers, il n’a pas convaincu le Tribunal qu’il ne pouvait se rendre à l'examen auquel il avait été convoqué. Le Tribunal a conclu qu’il avait entravé celui-ci, ou omis ou refusé de s'y soumettre, et que la suspension de son IRR était fondée.
Utilisation d’un système de géolocalisation GPS
Dans Fortin et 9072-0103 Québec inc., la travailleuse s’était présentée au rendez-vous auquel elle avait été convoquée par l’employeur, mais elle était arrivée en retard en raison d’une mauvaise orientation de son GPS. Elle a fait la démonstration des entrées faites avec celui-ci. Elle avait inscrit le nom de la rue, sans le point cardinal, ce qui l'avait amenée à Lachine plutôt qu'à Montréal. La travailleuse a précisé qu'elle n'avait pas vu cette erreur. Se fiant au fait que, avant d'indiquer la rue, elle avait entré le code postal, elle supposait que le GPS la dirigerait au bon endroit. Le juge administratif a conclu que la travailleuse avait démontré sa bonne foi puisqu'elle s’était tout de même rendue au rendez-vous. Cependant, après l’avoir attendue 20 minutes, le médecin ne s’y trouvait plus. De l’avis du juge, le motif invoqué par la travailleuse pour justifier son retard constituait une raison valable et la suspension de son IRR n’était pas fondée.
Claustrophobie et problème de communication
Dans Mérineau et Groupe Compass (Eurest/Chartwell), la travailleuse avait une raison valable de ne pas se soumettre à un examen médical auquel l’employeur l’avait convoquée. Elle souffrait de claustrophobie et ne pouvait prendre l'ascenseur, condition qui était connue de la CSST et de l’employeur. Cette condition avait d’ailleurs amené ce dernier à modifier le lieu d'une expertise médicale demandée dans le contexte d'une lésion professionnelle antérieure. De plus, la travailleuse avait prévenu l'employeur et la CSST avant la date prévue pour l'expertise médicale et l'employeur avait refusé de modifier le lieu de cette dernière. Le juge administratif a considéré qu’il était déraisonnable d'exiger de la travailleuse qu'elle utilise les escaliers pour monter au 11e étage dans sa condition et que la CSST n'était pas fondée à suspendre le versement de l'IRR qui lui était payable.
Dans cette même affaire, lors d’un second examen médical auquel la travailleuse avait été convoquée par l’employeur, elle avait ressenti une douleur à la palpation du poignet gauche et avait retiré sa main. Le médecin a alors conclu qu'elle refusait de se soumettre à son examen et y a mis fin. Le juge a souligné que l’examen avait été ardu en raison des douleurs que la travailleuse avait éprouvées mais que la situation relevait davantage d'un problème de communication et de compréhension entre la travailleuse et le médecin. Il n’y avait pas, de la part de la travailleuse, refus de se soumettre à l’examen. La CSST était fondée à refuser de suspendre son IRR.
En guise de conclusion, soulignons ce que le TAT écrivait dans Pêcheries Marinard ltée et Dupuis :
[44] Un travailleur doit évidemment collaborer, tant avec l’employeur qu’avec la CSST, dans la mise en pratique des dispositions de la loi, mais sa vie n’est pas pour autant suspendue ni à l’abri des aléas de la vie pendant le suivi de sa lésion professionnelle, lequel peut durer des semaines, des mois, voire des années.
[45] Ainsi, notamment, une condition médicale personnelle peut, selon les circonstances, justifier qu’un travailleur ne se soumette pas à un examen médical, tout comme un rendez-vous important, le décès contemporain d’un membre proche de la famille du travailleur, des vacances planifiées de longue date, une obligation légale de quitter le pays, des problèmes mécaniques ou même l’oubli des billets d’avion impliquant que le travailleur manque son vol pour se rendre à son examen.
[46] Encore une fois, chaque cas doit être examiné au mérite pour déterminer si un travailleur avait effectivement une raison valable de ne pas se soumettre à l’examen médical prévu par la loi. […]
Et, dans cette analyse de chaque cas, il ne faut certes pas oublier, comme le rappelle par ailleurs le juge administratif dans cette affaire, qu’en vertu du Code civil du Québec la bonne foi doit toujours être présumée.
Références
- Vaval et CUSM - Hôpital Général de Montréal (T.A.T., 2016-07-14), 2016 QCTAT 4321, SOQUIJ AZ-51307257, 2016EXPT-1568.
- Pêcheries Marinard ltée et Dupuis (T.A.T., 2016-02-17), 2016 QCTAT 987, SOQUIJ AZ-51256465, 2016EXPT-676.
- Guay et Mécanique CNC 2002 inc. (C.L.P., 2013-08-28), 2013 QCCLP 5153, SOQUIJ AZ-50998374, 2013EXPT-1779.
- Fortin et 9072-0103 Québec inc. (C.L.P., 2015-12-07), 2015 QCCLP 6526, SOQUIJ AZ-51237661, 2016EXPT-180.
- Mérineau et Groupe Compass (Eurest/Chartwell), (T.A.T., 2016-01-11), 2016 QCTAT 110, SOQUIJ AZ-51245198, 2016EXPT-402.
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