Pour bien des gens, partager tous les détails de leur vie sur Facebook est devenu un automatisme. Cela peut sembler mignon ou inoffensif… mais ça ne l’est pas. Ces renseignements peuvent se révéler très dommageables devant un tribunal. Le même constat, quoiqu’à bien moindre échelle, s’applique avec LinkedIn : les informations professionnelles qu’on y indique peuvent être nuisibles lorsqu’elles sont déposées en preuve. Et YouTube commence à émerger.

Les exemples sont nombreux devant plusieurs tribunaux judiciaires et administratifs. Le présent billet se limite à quelques cas parmi ceux qui ont été entendus par le Tribunal administratif du Québec (TAQ).

Recevabilité de la preuve

Dans la décision R.M. c. Société de l’assurance automobile du Québec, relative à la capacité de travail d’une victime d’accident d’automobile, la Société de l’assurance automobile du Québec a déposé en preuve, d’une part, un affidavit circonstancié d’une enquêtrice qui a effectué une recherche sur Facebook et, d’autre part, les informations de la page Facebook de la victime démontrant que cette dernière avait obtenu un diplôme et fait de la publicité pour avoir des clients. Le TAQ a rejeté l’objection de l’avocat de la victime quant au dépôt de ces pièces puisque les informations accessibles sur les réseaux sociaux sont publiques.

Dans A.D. c. Régie des rentes du Québec, le TAQ a conclu que les requérants étaient des conjoints aux fins du calcul du paiement de Soutien aux enfants. Il s’est notamment fondé sur une photo de leur compte Facebook avec laquelle ils annonçaient leurs fiançailles. Les requérants ont fait valoir que l’utilisation des informations obtenues sur leur compte Facebook constituait une atteinte à leur vie privée. Or, le TAQ a indiqué que cette information est admissible en preuve puisqu’elle est pertinente relativement au litige, qu’elle n’a pas été obtenue de façon illicite et que son intégrité n’a pas été contestée par les requérants tel qu’il est prévu à Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information.

Par contre, dans S.L. c. Québec (Ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale), soit une affaire où il était question de vie maritale et où le ministre de l’Emploi et de la sécurité sociale avait déposé des photographies de couple tirées des comptes Facebook des présumés conjoints, le TAQ n’a pas voulu tenir compte de celles-ci. Il s’est dit d’avis qu’il faut user d’une grande prudence dans l’usage de ce type de preuve. Dans ce cas, il a constaté un écart entre le moment de la prise des photos et le moment de la publication. Même si les commentaires étaient quant à eux actuels, le TAQ ne leur a accordé aucune force prépondérante puisqu’ils n’apportaient pas d’éclairage relativement à une possible vie maritale.

Vie maritale

Les comptes Facebook de requérants ont démontré qu’ils faisaient vie maritale dans des cas de paiement de Soutien aux enfants et de sécurité du revenu.

Ainsi, dans G.N. c. Retraite Québec, le présumé conjoint a déclaré sur son compte Facebook être en couple avec la requérante et il y a annoncé leur mariage et la prochaine naissance de leur enfant en plus d’échanger à plusieurs reprises des propos amoureux avec elle. L’annonce de fiançailles sur Facebook a aussi été un élément clé dans K.B. c. Retraite Québec.

Dans N.C. c. Retraite Québec, la requérante et le père de ses enfants prétendaient qu’ils ne se décrivaient pas comme conjoints, mais les photos produites par le père des enfants sur son compte Facebook ont confirmé, selon le TAQ, que leur entourage les considérait comme un couple et comme une famille.

Dans A.J. c. Québec (Ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale), la requérante possédait deux comptes Facebook. Sur l’un d’eux, le requérant et elle figuraient sur une même photo dans deux cœurs. Sur l’autre compte, la photo de profil était celle du requérant. La version de la requérante, selon laquelle elle avait oublié de retirer ces photos à la suite de leur séparation, n’a pas été retenue.

Les photographies sur Facebook et, dans certains cas, les commentaires les accompagnant ont aussi été déterminants dans A.C. c. Retraite Québec et D.D. c. Retraite Québec. Le fait que des requérants se présentent comme un couple sur Facebook est aussi un élément qui a été souligné dans M.S. c. Québec (Ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale).

Facebook peut en outre servir à démontrer la fin de la vie maritale. Ainsi, dans E.R. c. Régie des rentes du Québec, la requérante s’est vu refuser une rente de conjoint survivant parce que, entre autres éléments démontrant qu’elle avait quitté définitivement le cotisant, elle avait annoncé à ses amis sur Facebook qu’elle n’était plus en couple mais célibataire.

Résidence

Les comptes Facebook de requérants ont démontré qu’ils vivaient à l’étranger. Dans R.F. c. Régie des rentes du Québec, cela a mené le TAQ à conclure que la requérante n’avait pas droit au paiement de Soutien aux enfants tandis que, dans J.H. c. Régie de l’assurance maladie du Québec, le requérant a été déclaré non admissible au régime public d’assurance maladie du Québec.

LinkedIn

Toujours en matière d’admissibilité au régime public d’assurance maladie du Québec, dans F.K. c. Régie de l’assurance maladie du Québec et F.A. c. Régie de l’assurance maladie du Québec, les profils LinkedIn des requérants ont démontré qu’ils travaillaient à l’étranger, ce qui a contribué à établir qu’ils n’étaient pas admissibles au régime.

Capacité de travail

Facebook a deux effets au regard de la capacité de travail. Il y a ce que vous publiez sur Facebook… mais il y a aussi le fait que vous êtes capable d’utiliser Facebook.

En matière de détermination d’un emploi à une victime d’accident d’automobile, dans A.A. c. Société de l’assurance automobile du Québec, L.F. c. Société de l’assurance automobile du Québec et C.B. c. Société de l’assurance automobile du Québec, le TAQ a retenu que le fait que les victimes soient capables d’utiliser Facebook démontrait qu’elles étaient capables de travailler avec un ordinateur. Des allégations selon lesquelles les connaissances se limitaient à l’utilisation de Facebook et de Google n’ont pas été retenues.

Dans J.H. c. Retraite Québec, la requérante n’a pas obtenu la rente d’invalidité qu’elle réclamait. Ses publications sur Facebook, sur son blogue et sur YouTube ne l’ont certes pas aidée. En effet, une enquête a révélé qu’elle exerçait des activités régulièrement. Notamment, elle a publié 210 articles sur son blogue et a fait 282 publications sur le compte Facebook d’une communauté, 56 publications sur sa page Facebook personnelle et 5 enregistrements vidéo sur son profil YouTube. Sur son compte Facebook personnel, elle a rapporté travailler «de nombreuses heures par semaine», «d’arrache-pied, sans compter les heures et l’énergie [qu’elle] y met».

Crédibilité

Enfin, Facebook sert parfois à tester la crédibilité des gens.

Dans P.A. c. Régie des rentes du Québec, où il était question de garde partagée dans le contexte du paiement de Soutien aux enfants, le TAQ a remarqué que le témoignage de la conjointe du requérant, quant à l’absence d’un changement dans la garde partagée, était contredit par ses échanges à l’aide de Facebook avec l’un des enfants.

Dans E.P. c. Société de l’assurance automobile du Québec, le TAQ a retenu le fait que le requérant avait de faux profils sur Facebook.

Conclusion

Je me demande si, pour les avocats, une nouvelle partie de leur travail consiste maintenant à vérifier les comptes Facebook de leurs clients potentiels avant d’accepter un mandat ou d’aller devant le tribunal.

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