En principe, un travailleur qui subit une lésion professionnelle est indemnisé en vertu de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP).

Toutefois, une exception à ce principe est prévue à l’article 27, qui se lit comme suit:

«Une blessure ou une maladie qui survient uniquement à cause de la négligence grossière et volontaire du travailleur qui en est victime n’est pas une lésion professionnelle, à moins qu’elle entraîne le décès du travailleur ou qu’elle lui cause une atteinte permanente grave à son intégrité physique ou psychique».

Pour que cet article trouve application, la preuve doit donc démontrer :

  • Que le travailleur a fait preuve de négligence grossière et volontaire;
  • Que cette négligence grossière et volontaire est l’unique cause de la lésion;
  • Que la lésion n’a pas entraîné le décès du travailleur ou ne lui a pas causé une atteinte permanente grave.

La notion de «négligence grossière et volontaire» n’est pas définie par la loi. C’est la jurisprudence qui en a délimité les balises. Généralement, on retient que l’acte doit être volontaire et comporter un geste de témérité ou d’insouciance déréglée de la part du travailleur à l’égard de sa propre sécurité. Il ne peut s’agir d’une simple imprudence ou d’une erreur de jugement.

Voici quelques exemples tirés de la jurisprudence.

Non-application de l’article 27 LATMP

Dans René et Marco Desrochers Construction inc. et Grenier, le travailleur avait été embauché comme plâtrier. À sa première journée de travail, il s’est blessé lorsqu’il a chuté en bas de son échafaudage. L’employeur a allégué que le travailleur avait fait preuve de négligence grossière et volontaire puisqu’il a témoigné l’avoir aperçu se donnant des élans afin de faire avancer et reculer l’échafaudage, dont les roues n’avaient pas été verrouillées.

Selon le juge, les faits ne lui permettaient pas de conclure que la lésion avait été subie uniquement en raison de la négligence grossière et volontaire du travailleur.

Il a retenu :

[70]        D’abord, la preuve révèle que le travailleur a été mis au travail dès son arrivée sur place sans indications de sécurité quelconques, sans informations quant à la façon de procéder, et sans surveillance, alors que l’employeur s’absente à deux reprises pour aller chercher du matériel.

[71]        Ensuite, lorsque l’employeur revient une première fois, et qu’il voit que le travailleur n’a pas verrouillé le mouvement des roues de l’échafaud et qu’il se balance comme il le fait, l’employeur ne fait que lui indiquer qu’il doit verrouiller les roues de l’échafaud. Il ne lui demande pas de cesser tout de suite de faire ce qu’il fait et le laisse continuer à travailler avant de repartir. De l’avis du Tribunal, si le comportement du travailleur était alors d’une telle témérité qu’il correspondait à son avis à de la négligence grossière et volontaire, on se serait attendu à ce qu’il l’enjoigne immédiatement de cesser ce comportement et d’en adopter un qui soit plus sécuritaire. Or, ce ne fut pas le cas.

[72]        Enfin, dans son témoignage à l’audience, c’est comme si l’employeur laissait entendre que le travailleur avait en quelque sorte fait exprès de tomber à la renverse, évoquant qu’il « n’a rien tenté pour s’accrocher », et se serait « laissé tomber ».

[73]        Or, le travailleur a fait une chute de 5 pieds, et les circonstances décrites permettent de conclure que le travailleur, tombant entre l’échafaud et le mur, n’avait guère de temps ni de possibilité de « s’accrocher ». De toute façon, rien dans la preuve faite ne permet de conclure à un geste intentionnel de la part du travailleur.

Dans Gauthier et Axco Aménagements inc., le travailleur avait été embauché pour effectuer des travaux sur un pont. Alors qu’il commençait à éprouver des problèmes respiratoires et qu’il voulait récupérer ses médicaments, il s’est heurté à une porte barrée. Plutôt que de franchir toute la longueur du pont pour prévenir des collègues, il a décidé de franchir le mur qui le séparait de l’endroit où se trouvaient ses médicaments. C’est en franchissant ce mur que le travailleur s’est  blessé.

Le juge a conclu que le travailleur n’avait pas fait preuve de négligence grossière et volontaire.

Il a retenu :

[138]     La preuve est floue, ténue, voire contradictoire quant aux caractéristiques du mur escaladé par le travailleur. La vidéo produite ne montre pas la façade du mur descendu par le travailleur.

[139]     Par ailleurs, la preuve diverge quant à la hauteur du mur, le travailleur l’estimant à 20 pieds alors que l’employeur la situe à 40. Les parties n’ont pas non plus administré de preuve quant à la grandeur des ouvertures dans les mailles du treillis. Était-il possible pour le travailleur d’y poser les pieds sans effort, de s’y agripper facilement ou difficilement avec ses mains, de faire reposer tout son pied dans les ouvertures créées par les mailles? Pouvait-il n’y insérer que la pointe des pieds? Le treillis était-il flexible ou rigide? Bougeait-il pendant la descente? etc. etc.?

[140]     Somme toute, il s’agit là d’autant d’éléments qui doivent être pris en compte dans l’analyse de la témérité dont aurait pu faire preuve le travailleur, lesquels n’ont pas été prouvés.

[141]     L’absence de preuve quant à ces éléments centraux s’ajoute au fait que le travailleur n’a pas agi délibérément, intentionnellement et volontairement pour provoquer la blessure dont il a été victime.

[142]     Il était dans un état de stress, voire de panique liée à ses problèmes respiratoires qui, selon son témoignage, commandaient une intervention immédiate vu ses antécédents de crise d’asthme. Il n’a pas été contredit sur cette question.

[143]     Le tribunal constate par ailleurs qu’avant de prendre sa décision, le travailleur s’est livré à une analyse sommaire de la situation. Il a alors pris en considération le temps qu’il aurait fallu au contremaître pour intervenir afin qu’il puisse avoir accès à ses médicaments et a tenu compte de ses capacités physiques à descendre le mur qui le séparait de sa pompe de Ventolin. De plus, il évaluait la hauteur du mur à 20 pieds.

 [144]     De l’avis du tribunal, l’analyse effectuée par le travailleur avant de descendre le mur l’éloigne de l’insouciance déréglée requise par l’article 27 de la loi.

[…]

[149]     Même à supposer que la blessure du travailleur résulterait d’une négligence grossière et volontaire de sa part, elle ne survient pas uniquement à cause de cela. En effet, un ensemble de facteurs a contribué à la survenance de la blessure.

[150]     D’une part, le contremaître n’était pas sur place pour débarrer la porte donnant accès à la pompe de Ventolin.

[151]     D’autre part, aux termes de la Loi sur la santé et la sécurité du travail, l’employeur doit remplir certaines obligations à l’égard de la fourniture de matériel, de l’organisation du travail et du contrôle des lieux de travail.

[152]     Or, le Tribunal constate que l’employeur n’avait pas avisé le travailleur de l’interdiction de franchir le mur qu’il a escaladé. L’employeur ne l’avait pas non plus muni des équipements qui lui auraient permis de rejoindre le contremaître en cas de besoin urgent comme en l’espèce.

[153]     L’employeur ne s’est pas non plus assuré que les lieux de travail demeurent accessibles et sécuritaires en tout temps. L’absence du contremaître sur les lieux du travail rendait impossible le contrôle de la tenue des lieux.

[154]     L’employeur ne s’est pas non plus assuré que l’émission d’un contaminant ne porte atteinte à la santé du travailleur. En fournissant les équipements de protection appropriés, les problèmes respiratoires du travailleur auraient pu être évités et l’escalade du mur rendue inutile.

Application de l’article 27 LATMP

Dans Cloisons Corflex inc. et Maher, le juge a conclu que le travailleur, un journalier, avait fait preuve de négligence grossière et volontaire alors qu’il avait délibérément omis de déclarer ses limitations fonctionnelles à l’embauche.

[38]        Le Tribunal estime que, par son omission de déclarer à l’employeur ses limitations fonctionnelles, le travailleur a posé un geste téméraire et insouciant puisqu’en exécutant des tâches qui ne respectaient pas ses limitations fonctionnelles, il était prévisible qu’un jour ou l’autre il subirait une lésion du même genre que celle subie le 11 novembre 2015. Au surplus, le Tribunal est d’avis qu’il a mis en danger la sécurité de ses collègues de travail.

[39]        Le fait que le travailleur a exercé le travail pendant quelques semaines, sans qu’un problème survienne, ne change rien au caractère de prévisibilité des conséquences de faire un emploi qui ne respecte pas ses limitations fonctionnelles.

Dans Olymel Flamingo et Tshibanda  Kalombo, le juge a conclu que le travailleur, journalier qui avait mis sa main dans une machine en marche afin de décoincer un morceau de viande, avait fait preuve de négligence grossière et volontaire.

Le juge a retenu que le travailleur avait reçu une formation à son embauche et qu’il connaissait bien les règles de sécurité. Il a rappelé qu’aux fins de l’application de l’article 27 LATMP, ce n’est pas l’intention de se blesser qu’il faut prendre en considération, mais plutôt le caractère volontaire du geste qui est à l’origine de la lésion.

Dans Groupe de sécurité Garda, s.e.n.c. et Ouellet, le travailleur, un patrouilleur dans un port, est entré en collision avec un train alors qu’il conduisait son véhicule au-dessus de la limite de vitesse permise. Le juge a conclu que le travailleur avait fait preuve de négligence grossière et volontaire.

[28]        La Commission des lésions professionnelles retient que le travailleur a circulé avec les gyrophares activés alors qu’il ne répondait pas à un appel d’urgence. S’il y avait eu effectivement urgence, son empressement aurait pu s’expliquer. Le travailleur a d’ailleurs plaidé coupable à l’infraction d’avoir actionné les feux pivotants alors que les circonstances ne l’exigeaient pas.

[29]        Il faut aussi retenir que le travailleur a plaidé coupable à l’infraction d’avoir effectué un dépassement par la droite. Ce n’est pas en soi une cause de l’accident mais confirme la conduite téméraire du travailleur.

[30]        L’élément le plus important, le travailleur circule à une vitesse de 87 km/heure dans une zone de 30 km/heure, en raison de la présence de dos d’âne, ce qui constitue une vitesse susceptible de mettre en danger la sécurité des personnes, incluant sa propre sécurité, infraction à laquelle le travailleur a également plaidé coupable. À n’en pas douter, la Commission des lésions professionnelles estime que la collision avec un train aurait pu être évitée si le travailleur avait circulé à la vitesse réglementaire.

[31]        La Commission des lésions professionnelles est donc d’avis que le travailleur, le 11 janvier 2014, a eu un comportement téméraire et insouciant et que c’est l’unique cause de l’accident survenu à cette date.

[32]        Le travailleur n’est pas décédé et il n’a pas subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique ou psychique. La Commission des lésions professionnelles doit conclure que les blessures subies lors de l’accident du 11 janvier 2014 sont uniquement dues à la négligence grossière et volontaire du travailleur. Ce dernier n’a donc pas subi de lésion professionnelle le 11 janvier 2014.