La Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) a le pouvoir, dans certaines circonstances, de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu (IRR) du travailleur. Qu’en est-il lorsque le comportement reproché au travailleur, qui est à l’origine d’une telle suspension, survient dans le contexte où ce dernier est en voyage à l’étranger?

La loi

L’article 142 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles donne notamment à la CNESST le pouvoir de suspendre le versement de l’IRR dans les situations qui y sont prévues.

À titre d’exemple, la CNESST peut suspendre le versement de l’IRR si elle juge que le travailleur, sans avoir une raison valable de le faire, a omis ou refusé de se soumettre à un traitement médical reconnu que le médecin qui a charge, ou le Bureau d’évaluation médicale, estime nécessaire dans son intérêt.

Si le travailleur ne se présente pas à un traitement médical parce qu’il est en voyage, s’expose-t-il à une suspension du versement de son IRR? Son absence s’explique-t-elle par une «raison valable» au sens de l’article 142?

Le travailleur doit-il toujours être disponible?

Relativement à la disponibilité du travailleur, le Tribunal administratif du travail (TAT) souligne ce qui suit dans Ramadani:

«[20] […] le Tribunal fait siens les motifs dans Pépin et Sherbrooke (Ville de) voulant qu’il est déraisonnable d’exiger d’un travailleur qu’il soit disponible en tout temps et en toute circonstance. Dans cette affaire, le médecin qui a charge avait signé un congé temporaire de physiothérapie, le temps d’un voyage. La Commission des lésions professionnelles a tenu compte de ce consentement pour considérer que le travailleur possédait un motif valable.»

[Caractères gras ajoutés.]

En ce qui a trait à l’existence d’une «raison valable» expliquant l’omission reprochée au travailleur, le TAT rappelle, dans une autre affaire (Mac Donald), qu’il faut prendre en considération «l’ensemble des circonstances, y compris le comportement du travailleur» (paragr. 96).

Dans les décisions du TAT dont il sera question plus bas, le Tribunal était appelé à déterminer si la CNESST avait eu raison de suspendre l’IRR d’un travailleur qui, étant en voyage, ne s’était pas soumis à un traitement médical.

Vacances

Dans Petoselli, la CNESST avait décidé de suspendre l’IRR du travailleur parce qu’il avait été en vacances à l’extérieur du pays pour une période de 13 jours pendant laquelle il ne pouvait recevoir ses traitements de physiothérapie.

Le TAT a conclu que cette suspension n’était pas justifiée étant donné que le travailleur avait une raison valable de ne pas se présenter aux traitements.

La juge administrative Virginie Brisebois a d’abord rappelé la nature de la mesure prévue à l’article 142 :

«[26] […] l’article 142 de la Loi est une mesure draconienne qui doit être utilisée de façon judicieuse de sorte qu’on doit être en présence d’un motif sérieux assimilable à de la négligence ou de la mauvaise foi du travailleur pour suspendre le versement de ses indemnités.»

[Caractères gras ajoutés.]

Elle a conclu que la preuve ne démontrait pas un tel motif. Plus particulièrement, elle a retenu ceci :

  • le voyage familial du travailleur était prévu bien avant que ne survienne la lésion professionnelle; le travailleur avait réservé une croisière et donné un acompte significatif plusieurs mois plus tôt;
  • le travailleur avait avisé son médecin du voyage au préalable et celui-ci l’avait autorisé;
  • à la même période, le médecin du travailleur avait diagnostiqué un trouble de l’adaptation avec humeur anxio-dépressive; selon le TAT, si celui-ci avait autorisé le voyage, c’est qu’il considérait qu’il pourrait être bénéfique au travailleur ou, à tout le moins, qu’il ne nuirait pas à sa condition;
  • le travailleur avait informé la CNESST de ses vacances familiales;
  • profiter de quelques jours de vacances (moins de 3 semaines) prévus depuis 1 année n’a rien d’exagéré.

À l’inverse, dans Riabi, le TAT a confirmé la décision de la CNESST de suspendre l’IRR du travailleur étant donné qu’il avait omis, sans raison valable, de se soumettre aux traitements de psychothérapie prescrits par son médecin.

Dans cette affaire, le travailleur était parti en voyage à Vancouver avec un ami à la fin du mois de janvier 2016. Afin de justifier ce voyage, il avait produit une autorisation rédigée par son médecin traitant le 25 août 2015 – soit bien avant son départ – indiquant qu’il pouvait «voyager après avoir vu le psychologue».

Eu égard à la validité de cette autorisation, la juge administrative Renée M. Goyette a souligné que :

«[38]  […] l’autorisation d’absence doit, pour être valide, spécifier la date de début et la date de la fin de l’absence. En l’absence d’une date de début et de fin du voyage inscrit sur l’autorisation, celle-ci vise un voyage contemporain à la date de son émission

[Caractères gras ajoutés.]

Elle a retenu que la preuve ne démontrait pas que le travailleur avait obtenu de son médecin une autorisation visant le voyage entrepris en 2016. Ce voyage n’avait pas davantage été autorisé par son psychologue.

Absence du pays pour s’occuper d’un proche malade

Dans Bensaker, la CNESST avait notamment suspendu le versement de l’IRR du travailleur parce qu’il avait omis ou refusé de se soumettre aux traitements de physiothérapie et de psychothérapie qui lui avaient été prescrits. Ce dernier s’était rendu en Algérie pour se rapprocher de sa mère, qui était hospitalisée, et s’occuper d’elle.

Le TAT a conclu que la suspension de l’IRR n’était pas justifiée.

Relativement à l’existence d’une raison valable, le juge administratif Bernard Lemay  a pris en considération les éléments suivants :

  • la durée de la période d’absence du travailleur (1 mois), laquelle lui paraissait raisonnable;
  • le travailleur avait avisé la CNESST au préalable;
  • le travailleur avait obtenu l’autorisation du médecin qui a charge.

Le juge a en outre retenu que la psychologue du travailleur était d’avis que le voyage serait bénéfique pour ce dernier et ne nuirait pas à sa thérapie. Il a considéré que cette opinion avait «un poids beaucoup plus prépondérant [que] l’affirmation bien générale et non motivée de l’agente d’indemnisation de la Commission voulant que "le fait de s’absenter pour une période d’un mois ne l’aidera pas dans son évolution"» (paragr. 32).