Réclamation à la CNESST : une hésitation qui peut coûter cher.

Chaque année au Québec, de nombreux travailleurs se blessent dans l’exécution de leurs tâches ou encore développent des maladies en lien avec celles-ci. Toutefois, ce ne sont pas tous les travailleurs qui produisent une réclamation auprès de la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) afin de faire reconnaître le caractère professionnel de leurs lésions. Si certains renoncent d’emblée, d’autres hésitent et tardent à prendre une décision. 

Les raisons à l’origine de cette hésitation peuvent prendre diverses formes. Il peut s’agir d’une croyance que la blessure subie est bénigne ou que la douleur ressentie finira par s’estomper avec le passage du temps. Parfois, c’est l’opinion défavorable d’un médecin ou la crainte d’une réaction négative de la part de collègues de travail qui peut inciter le travailleur à remettre à plus tard sa décision de produire une réclamation.

Or, ce que beaucoup de travailleurs ignorent encore aujourd’hui, c’est qu’une telle hésitation peut entraîner de fâcheuses conséquences. En effet, la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP) prévoit des délais lorsqu’il est question de la production d’une réclamation pour une lésion ou une maladie professionnelle. Dans le cas où ceux-ci ne sont pas respectés, le travailleur s’expose au rejet de sa réclamation, sauf si, comme la loi le lui permet, il fait la démonstration d’un motif raisonnable permettant d’expliquer son retard.

Qu’est-ce qu’un motif raisonnable?

Récemment, dans Gagnon et Michaud, le Tribunal administratif du travail (TAT) a mentionné ce qui suit concernant la notion de motif raisonnable :

[34] La loi ne définit pas ce qui constitue un motif raisonnable, mais la jurisprudence signale qu’il s’agit d’une notion large qui permet de considérer un ensemble de facteurs susceptibles d’indiquer, à partir des faits, des démarches, des comportements, de la conjoncture et des circonstances propres à chaque cas, si une personne a un motif non farfelu, crédible et qui fait preuve de bon sens, de mesure et de réflexion.

Dans cette affaire, le TAT était saisi du dossier d’un travailleur dont la réclamation pour une maladie professionnelle avait été déclarée irrecevable, car elle avait été produite après le délai de 6 mois prévu à l’article 272 LATMP. Devant le TAT, le travailleur a reconnu avoir dépassé le délai prévu. Il a toutefois expliqué qu’il avait tardé à produire sa réclamation par crainte de faire l’objet de mesures de représailles de la part de son employeur. Après avoir entendu le travailleur ainsi qu’une collègue de travail, dont il a jugé les témoignages hautement crédibles, le juge administratif a déterminé que le travailleur pouvait raisonnablement craindre les répercussions d’une éventuelle réclamation pour maladie professionnelle.

Éléments à considérer pour justifier une telle crainte

Voici les éléments qu’il a retenus pour en arriver à cette conclusion :

  • L’employeur, après avoir informé le travailleur que le contrat de travail d’un autre employé ne serait pas renouvelé parce que ce dernier s’était blessé à un doigt au travail, a effectivement mis fin au lien d’emploi qui l’unissait à cet employé;
  • La crainte du travailleur était partagée par d’autres collègues, dont une employée craignant la réaction de l’employeur si elle devait s’absenter du travail en raison d’une grossesse;
  • L’employeur avait déjà fait pression sur une employée qui s’était blessée au pied pour qu’elle ne dépose pas de réclamation à la CNESST;
  • L’employeur s’était déjà mis très en colère envers une employée enceinte qui avait demandé un retrait préventif, laquelle n’était plus jamais revenue au travail par la suite;
  • Alors qu’il était en arrêt de travail pour des douleurs aux épaules, l’employeur avait avisé le travailleur qu’il entendait le congédier, avant de se rétracter par la suite;
  • Les notes du médecin du travailleur faisaient état du harcèlement subi par le travailleur de la part de son employeur et de l’ambiance malsaine au travail.

Le juge administratif ayant constaté l’existence d’un motif raisonnable au sens de l’article 352 LATMP, il a donc déclaré recevable la réclamation du travailleur afin de faire reconnaître une maladie professionnelle.