La jurisprudence regorge d’exemples où des lésions de nature psychologique ont été reconnues à titre d’accident du travail à la suite d’une surcharge de travail. On peut penser aux cas de travailleurs qui vivent des surcharges de travail à la suite de départs de collègues ou de l’implantation d’un nouveau projet chez l’employeur ou encore à l’occasion d’une réorganisation du travail mal orchestrée. Toutefois, il est plutôt rare de voir une situation où un travailleur allègue une surcharge de travail alors qu’il occupe un nouvel emploi. La juge administrative Isabelle Piché s’est prononcée à cet égard dans Gauvin

Un chef d’équipe surchargé

En mars 2016, le travailleur a été embauché par l’employeur à titre de chef d’équipe de la division «membrane». Ses tâches nécessitaient notamment qu’il charge les camions. Lors de l’embauche, on a assuré au travailleur qu’un nombre suffisant de chariots élévateurs seraient toujours disponibles pour réaliser les chargements. Un mois plus tard, on lui a demandé de gérer la cour au complet afin de remplacer les 2 autres chefs d’équipe alors en vacances. Cet épisode a été très difficile pour lui. Par la suite, soit de mai jusqu’à novembre 2016, il y a eu hausse de contrats et les chariots élévateurs ont été réquisitionnés sur les chantiers. Le travailleur a donc été obligé de réaliser la manipulation des matériaux avec une brouette. Il devait également former des jeunes sans expérience ni compétence à maintes reprises puisque ces derniers restaient de quelques jours à quelques semaines uniquement. Le travailleur effectuait aussi régulièrement des heures supplémentaires. Sur 27 semaines de paie, ce dernier a réalisé 17 semaines à plus de 40 heures. En novembre 2017, un diagnostic de trouble de l’adaptation grave a été posé chez lui. Le travailleur a produit une réclamation à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail. Cette dernière a refusé sa réclamation et l’instance de révision a confirmé cette décision.

Un accident du travail causé par cette surcharge de travail

Le Tribunal a conclu que le travailleur avait subi un accident du travail en raison d’une surcharge de travail. Il a notamment retenu :

[49] Dans un premier temps, le Tribunal tient à souligner que le fait que la charge de travail soit imposante chez l’employeur durant certaines périodes depuis fort longtemps et que d’autres collègues [du travailleur] tout aussi sollicités que lui, sinon plus, soient toujours en poste ne constitue pas une mesure de référence apportant une solution au litige présenté. La soussignée croit plutôt qu’elle doit rechercher une augmentation réelle de la quantité de travail requis dans un moment ciblé ou encore une disproportion quant aux exigences d’emploi par rapport à ce qui avait été présenté au moment de l’embauche. Il importe de souligner que certains travailleurs disposent de capacités d’adaptation physiques ou intellectuelles qui s’avèrent supérieures en lien avec la constitution qui leur est propre ou encore en fonction d’un bagage d’expériences acquis et qu’en ce sens la comparaison entre collègues est un outil peu déterminant pour décider ou non de l’existence d’une surcharge de travail. En ce sens, les heures travaillées par les collègues [du travailleur] et soumises par l’employeur sont de peu d’utilité.

[50] Le Tribunal, après avoir entendu la preuve, est convaincu qu’il existe au sein de l’entreprise concernée un problème objectif d’organisation du travail en lien avec l’attribution des chariots élévateurs permettant de réaliser les chargements requis de manière raisonnable et sécuritaire.

[51] La soussignée est en effet satisfaite du témoignage du travailleur lorsqu’il allègue que de mai à novembre, l’entreprise dispose rarement de plus d’un chariot élévateur dans la cour, l’obligeant de ce fait à transporter la marchandise manuellement, et ce, contrairement à ce qui avait été annoncé lors de l’embauche. Elle constate également que l’employeur, par la voix de son directeur général, ne nie pas ces informations puisqu’au contraire, il admet être informé durant certaines périodes de l’année de lacunes à cet égard par 75% des chefs d’équipe de la cour, alors qu’il n’est même pas la personne devant être avisée.

[52] Il est bien entendu qu’un employeur est en droit d’optimiser ses coûts, toutefois, le Tribunal considère qu’il ne s’agit pas en l’espèce d’une simple question de gestion des ressources matérielles en période de blitz, comme le soumet l’employeur. En effet, sur neuf mois de travail, [le travailleur] constate devoir se passer très souvent des chariots élévateurs promis pendant près de sept mois, et non seulement durant l’automne.

[53] Clairement, il ne s’agit pas d’une simple perception subjective de la part du travailleur, mais bien d’une réalité objective lorsque ce dernier affirme devoir charger les matériaux à l’aide d’une simple brouette plutôt que d’un équipement motorisé et qu’il se retrouve à la fin de sa semaine de travail épuisé et courbaturé, cloué au lit pour le week-end dans un but de récupération.

[54] Il en va de même lorsque le travailleur est contraint d’entrer plus tôt au travail ou de quitter plus tard afin de réaliser l’ensemble des tâches requises alors que cet élément se vérifie grâce aux feuilles de temps déposées.

[55] Il y a lieu d’ajouter à cela le fait non contredit voulant que le travailleur soit appelé à l’occasion sur le cellulaire fourni par l’entreprise dès cinq ou six heures du matin, soit durant sa période de sommeil, pour recevoir des plaintes d’ouvriers insatisfaits des chargements des camions alors qu’il n’est pas imputable du matériel listé.

[56] Il est vrai aussi qu’il relève de la prérogative de l’employeur d’apporter une solution plutôt qu’une autre à un problème donné. Dans le présent dossier cependant, la soussignée constate que seulement une proposition est suggérée par un représentant de l’employeur au cours des cinq réunions auxquelles assiste le travailleur et que dans les faits aucune mesure de changement n’est mise en place.

[57] Dans un même ordre d’idées, le Tribunal convient qu’il est effectivement normal que le travailleur, à titre de chef d’équipe, soit appelé à former de nouveaux arrivants, mais il juge anormal de lui demander de le faire aussi souvent et surtout auprès d’un bassin aussi peu compétent alors que lui-même ne dispose pas des exigences lui permettant d’enseigner le travail de cariste. Qui plus est, il est intéressant de noter que cette jeune main-d’œuvre peu robuste demande au travailleur un surplus de tâches physiques pour pallier à ce manque de force, toujours en considérant l’indisponibilité des chariots élévateurs, plutôt qu’une aide quelconque.

[58] Aussi, s’il est permis et même souhaité qu’un employeur forme un de ses nouveaux candidats dans des tâches plus élargies, il est peu avisé que ce dernier jette sa recrue dans la fosse aux lions. Or, c’est précisément ce qu’a fait l’employeur en l’espèce alors qu’il a exigé [du travailleur] qu’il gère l’ensemble de la cour durant les vacances de ses collègues un mois seulement après avoir été embauché, malgré une absence évidente de compétence pour le faire et un avis contraire d’un chef d’équipe d’expérience. Le résultat fut d’ailleurs désastreux et qualifié de difficile psychologiquement pour le travailleur.[Les caractères gras sont de la soussignée.]

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