Le régime québécois d’assurance parentale (RQAP) vise à soutenir financièrement les parents qui prennent un congé de maternité, un congé de paternité, un congé parental ou un congé d’adoption pour accueillir l’arrivée d’un enfant. Il faut avoir touché un revenu de travail pour y avoir droit. Or, il peut arriver que des revenus liés au travail soient versés pendant une période de congé où le parent reçoit des prestations du RQAP. Le parent peut ainsi se trouver dans une situation dite de «revenus concurrents» où il doit rembourser les prestations du RQAP. Concrètement, quelles sont les situations visées?

Revenus comptabilisables

Ce sont les articles 41 à 43.1 du Règlement d’application de la Loi sur l’assurance parentale qui prévoient les règles de comptabilisation des revenus gagnés de façon concurrente avec les prestations du RQAP.

Plus particulièrement, l’article 42 précise qu’«on entend par rémunération les sommes payables aux prestataires provenant des sources suivantes : […]». Il est notamment question du «revenu de travail» (paragr. 1) et des sommes «payables à titre de salaire, d’avantages ou autre rétribution» (paragr. 2).

Il est important de noter que les sommes payables à titre de salaire, d’avantages ou autre rétribution incluent beaucoup de choses, dont le paiement de vacances. Bref, ce n’est pas seulement le «salaire régulier» qui est visé par l’article 42 et qui peut être comptabilisé.

Remboursement des prestations

L’article 27 de la Loi sur l’assurance parentale, invoqué dans le cas de revenus concurrents, indique que le parent doit rembourser au ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale (MTESS) les prestations du RQAP qu’il a reçues sans y avoir droit, sauf si ces prestations ont été payées à la suite d’une erreur administrative que le parent ne pouvait raisonnablement constater.

Erreur administrative

Qu’entend-on par erreur administrative? Le MTESS, qui administre le RQAP, s’est doté d’une directive, soit le Manuel d’interprétation de la Loi sur l’assurance parentale. Ce manuel prévoit que l’erreur administrative doit être le fait de l’Administration.

C’est donc dire que l’erreur provenant de l’employeur ou du parent lui-même (un exemple fréquent : une erreur de dates sur le relevé d’emploi transmis au MTESS par l’employeur) n’exemptera pas le parent du remboursement. C’est d’ailleurs le courant jurisprudentiel suivi par plusieurs décisions du Tribunal administratif du Québec (TAQ), qui est appelé à se prononcer sur les décisions du MTESS en cas de contestation d’un parent. De plus, s’il y a erreur de l’Administration, le parent doit démontrer qu’il ne pouvait pas raisonnablement constater cette erreur. Ce n’est que si ces conditions sont remplies qu’il pourra être exempté du remboursement.

Changement de situation

Le cas classique en matière de changement de situation est celui des prestations de paternité. Par exemple, le père a droit à 5 semaines de prestations de paternité. Il fait une demande pour des semaines précises mais décide, en cours de route, de changer ses semaines sans en aviser le MTESS. Il se trouve ainsi à toucher des revenus de travail et des prestations du RQAP en même temps.

Le MTESS lui réclame par la suite un remboursement pour des revenus concurrents. Le père demande alors au MTESS de changer les dates de ses semaines de prestations. Il veut faire déplacer les semaines de prestations pendant lesquelles il a aussi eu des revenus de travail vers des semaines où il n’a touché aucun revenu. Cela lui permettrait de ne pas avoir à rembourser la réclamation qui lui est faite puisque, une fois les semaines déplacées, il n’est plus en situation de revenus concurrents.

Mise en garde

Il y a lieu de noter que je m’abstiens volontairement d’aborder l’article 33 du règlement et son interprétation. Cet article, qui a notamment trait à une demande d’interruption ou de suspension des prestations, est parfois soulevé, mais ce n’est pas là l’angle du présent .

De plus, il n’y a pas unanimité dans la jurisprudence du TAQ. Un fort courant veut que la loi et le règlement ne permettent pas le déplacement de semaines de prestations déjà reçues. D’autres décisions, plus récentes, concluent que la loi peut être interprétée de façon à permettre à un parent de reporter des semaines même après avoir reçu des prestations. Le parent doit cependant agir avec diligence.

Dans la récente décision J.B., où il y avait dissidence, les 2 juges administratifs majoritaires ont rejeté le recours du parent en invoquant respectivement ces positions différentes.

Le présent billet a pour objectif d’examiner l’article 34 de la loi à la lumière du manuel d’interprétation. Ce dernier permet le retrait d’une semaine de prestations déjà versées, sous certaines conditions. Même si le TAQ n’est pas lié par le manuel, celui-ci apporte un éclairage qui vaut la peine d’être étudié.

Article 34

L’article 34 premier alinéa de la loi édicte que le parent doit faire connaître avec diligence au MTESS tout changement de situation qui est de nature à modifier son droit.

Devoir de diligence

Dans son manuel d’interprétation, le MTESS indique que le parent est considéré avoir déclaré son changement de situation avec diligence lorsque le RQAP est informé de celui-ci dans un délai de 45 jours (calendrier) de la fin de la semaine visée par le changement. Si le parent excède ce délai, il devra démontrer qu’il a été confronté à un «empêchement significatif».

Ainsi, selon le manuel, le parent doit déclarer au RQAP toute la rémunération à laquelle il a droit au cours d’une semaine de prestations. Par exemple, le parent doit déclarer au RQAP tout salaire, paie de vacances, réserve de congés de maladie ou de vacances, prime, heures supplémentaires accumulées, équité salariale, etc. Il doit aussi informer le RQAP de toute modification à ses dates de congé parental ou à son relevé d’emploi.

Le manuel précise également que toute rémunération doit être déclarée, qu’elle soit comptabilisable ou non. Il appartient au RQAP de déterminer la nature de la rémunération qu’une personne reçoit.

Le MTESS a le pouvoir de reconsidérer sa décision lorsque le parent déclare un changement de situation avec diligence. Cette situation peut se produire lorsque le parent déclare un changement qui a un effet sur une semaine de prestations déjà versées.

Retrait d’une semaine de prestations versées

Ainsi, toujours selon le manuel, un parent peut, à certaines conditions, demander le retrait d’une semaine de prestations déjà versées afin que celle-ci soit réattribuée à une autre semaine à l’intérieur de sa période de prestations.

Le manuel indique que le parent doit demander le retrait de la semaine de prestations versée en expliquant la raison du changement de situation qui motive sa demande, par exemple un retour au travail ou la réception d’une rémunération.

Le MTESS considère que le parent a agi avec diligence lorsqu’il demande le retrait de la semaine de prestations versée ou lorsqu’il déclare le changement de situation à l’origine du retrait (par exemple, déclaration d’une rémunération) dans un délai de 45 jours (calendrier) de la fin de la semaine concernée.

Au-delà du délai de 45 jours, le MTESS ne peut reconsidérer sa décision à moins que le parent ne démontre un «empêchement significatif».

Toujours selon le manuel, l’analyse de la notion d’«empêchement significatif» doit tenir compte de l’ensemble des faits. Il ne peut y avoir un «empêchement significatif» lorsqu’un prestataire fait preuve de négligence dans la gestion de son dossier.

Exemples récents tirés de la jurisprudence

Je tiens à rappeler que le TAQ n’est pas lié par les directives adoptées par l’Administration, ce qui inclut le manuel. Notamment, il peut très bien ne pas adhérer au délai de 45 jours tout comme il peut juger que la demande de report peut être faite après l’expiration de ce délai. Néanmoins, voici quelques décisions récentes qui font référence au manuel ou appliquent celui-ci.

P.L.:

  • Faits : Le requérant a reporté une semaine de prestations de paternité sans en avoir avisé le MTESS au préalable. Il s’est ainsi trouvé à toucher des revenus d’emploi et des prestations du RQAP au cours d’une même semaine.
  • Décision : La condition essentielle au report des prestations après coup est la diligence. Or, c’est de façon fortuite que le MTESS a été informé des revenus de travail concurrents gagnés par le requérant durant une période pour laquelle il a touché des prestations de paternité. Cela porte à croire que, n’eût été une demande d’information qui lui a été adressée par le MTESS, le requérant n’aurait jamais avisé ce dernier du changement de semaine. Cet oubli ne peut s’apparenter à un comportement diligent.

D.A.:

  • Faits : Le requérant a reçu des prestations de paternité et une paie de vacances au cours de la même semaine et n’en a pas avisé le MTESS. Il prétend que cette situation est due à une erreur de sa part dans la compilation des semaines d’assurance parentale. Le MTESS a été avisé de la perception de revenus concurrents par un échange d’information avec Service Canada.
  • Décision : 1) Demande du requérant d’annuler la réclamation qui lui est faite pour pouvoir imputer ses revenus de vacances à une autre semaine : Les prestations du RQAP n’ont pas été payées à la suite d’une erreur administrative mais plutôt à la suite de l’erreur du requérant. Il doit les rembourser. 2)Demande de reporter les revenus perçus à une autre semaine pendant laquelle le requérant ne recevait pas de prestations : cette demande est assimilable à une demande de report d’une semaine de prestation et doit être faite avec diligence. Le MTESS s’est doté d’une directive prévoyant un délai de 45 jours. Le requérant savait qu’il avait reçu une paie de vacances. Il s’est écoulé un délai de 10 mois avant qu’il n’en avise le MTESS. Il n’a pas démontré avoir agi avec diligence.

C.R.:

  • Faits : Le requérant a reçu des prestations de paternité et des revenus de travail concurrents en 2012.
  • Décision : Le requérant avait l’obligation de faire connaître au MTESS, avec diligence, tout changement dans sa situation, comme il s’était engagé à le faire dans sa demande de prestations, mais il ne l’a pas fait. C’est au moment de la production d’une nouvelle demande, en 2015, que le MTESS a appris qu’il avait eu des revenus de travail pendant qu’il recevait ses prestations en 2012. Le requérant doit donc rembourser les sommes qu’il a reçues sans droit. En ce qui a trait à sa demande de reporter ses semaines de prestations, elle a été faite en 2015. On ne saurait considérer qu’une demande faite 3 ans après le versement des prestations a été faite avec diligence.

H.B.:

  • Faits : Le requérant a transmis, au moyen du service en ligne, une demande de prestations d’assurance parentale, qui a été accueillie. Il a reçu des revenus de travail et des prestations du RQAP en même temps.
  • Décision : Une directive administrative prévoit qu’il est possible de retirer 1 semaine de prestations déjà versées du plan de prestations si la demande est faite au cours des 45 jours suivant le versement de chacune des semaines visées. Le prestataire doit en faire la demande, fournir un motif valable et respecter les obligations que lui imposent la loi et ses règlements. Cette directive trouve application en l’espèce. Le requérant a tenté sans succès de déplacer les semaines de prestations au moyen du service en ligne. Lorsqu’il s’est rendu compte que des prestations lui avaient été versées, il a agi avec diligence et a avisé le MTESS de son retour volontaire au travail, et ce, à l’intérieur du délai de 45 jours prévu par la directive. En effet, tel que l’a admis le MTESS à l’audience, le service Internet ne permet pas le déplacement de semaines de prestations déjà versées. L’impossibilité de faire une modification rétroactive par le système informatique ne saurait causer préjudice au requérant.

Conclusion

Vous l’aurez compris : il faut être très prudent et très proactif dans un dossier de prestations du RQAP.

S’assurer d’avoir accès à tous les relevés d’emploi émis par l’employeur et transmis au MTESS pour éviter les erreurs de dates (de votre part ou de la part de l’employeur) est fortement recommandé. Lorsque vous croirez avoir tout vérifié, vérifiez encore.

Si vous décidez de travailler pendant une semaine où vous devez recevoir des prestations du RQAP ou si votre employeur vous le demande, prudence. Ce n’est pas parce que la loi vous donne droit à un nombre précis de semaines de prestations que vous pouvez, de votre propre chef, modifier les dates prévues et conserver ce droit.

Si vous recevez des sommes de votre employeur pendant des semaines de RQAP, la prudence est encore de mise. Le manuel indique d’ailleurs de déclarer au MTESS toute rémunération. Dans un monde idéal, il ne devrait y avoir aucun revenu comptabilisable versé par l’employeur pendant une semaine de prestations du RQAP mais, lorsque c’est le cas, il vaut mieux réagir sur-le-champ que d’ignorer la chose. Si vous espérez qu’il n’y aura pas de conséquences, vous risquez d’être déçu.

Le fait d’être de bonne foi, le fait de se retrouver avec une ou des semaines sans revenu ou encore le fait de perdre le droit au paiement d’une semaine ou plus de prestations du RQAP en raison de l’application de la loi ne sont pas des arguments retenus par le TAQ pour exempter un parent du remboursement.

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