Le thème de ce mois pour le blogue de SOQUIJ est « Corps et image ». Cela m’amène à vous parler de seins. Le Tribunal administratif du Québec (TAQ) a rendu plusieurs décisions à la suite du refus de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) de rembourser des femmes pour des interventions chirurgicales visant à modifier l’aspect de leurs seins. Quelles sont les chances de succès pour obtenir un remboursement?

Cadre légal

En gros, la Loi sur l’assurance maladie et le Règlement d’application de la Loi sur l’assurance maladie prévoient que la RAMQ rembourse tous les services que rendent les médecins et qui sont médicalement requis. Il s’agit de « services assurés ». Cependant, tout service donné à des fins purement esthétiques ne peut être considéré comme un service assuré et ne peut pas être remboursé.

Le règlement énumère une série de services liés à la correction des seins qui sont considérés comme ayant des fins purement esthétiques.

Une personne qui veut obtenir un remboursement doit donc démontrer que l’intervention est médicalement requise au sens de la loi et du règlement.

« Médicalement requis »

Pour tenter de démontrer la dimension du « médicalement requis », ce sont généralement des problèmes psychiques (psychologiques) qui sont invoqués.

Complexes, perte d’estime de soi et atteinte à l’image de soi sont notamment soulevés.

Condition psychologique : la décision E.P. c. Régie de l’assurance maladie du Québec et les autres décisions qui y sont citées

Une décision récente du TAQ porte sur le refus de rembourser une opération. Le TAQ a analysé ce que l’on entend par « condition psychologique » et a fait référence à d’autres décisions sur ce sujet.

Décision : E.P. c. Régie de l’assurance maladie du Québec

Intervention chirurgicale refusée : Pose de prothèses mammaires pour corriger une asymétrie secondaire à des seins tubéreux

Condition psychologique alléguée : Trouble d’adaptation à l’adolescence et trouble d’estime de soi

Motifs de la décision : Il n’y a pas eu de référence du médecin traitant de la requérante pour un traitement de nature psychologique. Cette dernière n’a commencé un suivi psychologique qu’à l’âge de 24 ans, après la décision en révision de la RAMQ. L’intervention chirurgicale n’est pas médicalement requise. Le remboursement est refusé.

Décision : M.M. c. Régie de l’assurance maladie du Québec

Intervention chirurgicale refusée : Changement de prothèse à un sein et correction à l’autre sein

Condition psychologique alléguée : Perte d’estime de soi ayant des effets sur les relations interpersonnelles et amoureuses

Motifs de la décision : La requérante n’a déposé aucune documentation médicale ni aucun rapport de psychologue au soutien de ses prétentions. Le remboursement est refusé.

Commentaire : Cette décision fait référence à la décision Services de santé et services sociaux, laquelle indique que : « À moins qu’il s’agisse d’un désordre grave affectant vraiment la santé mentale d’une personne, […] la seule mention d’une certaine perturbation psychologique, tout aussi compréhensible qu’elle soit, [ne suffit pas] à équivaloir à des troubles fonctionnels permettant qu’un service généralement non assuré devienne assuré. »

Décision : L.L. c. Régie de l’assurance maladie du Québec

Intervention chirurgicale refusée : Augmentation mammaire et mastopexie

Condition psychologique alléguée : Gêne esthétique

Motifs de la décision : La condition psychologique de la requérante est peu sévère. Cette dernière témoigne de certains malaises et inconforts. Elle n’a aucun suivi médical ou psychologique régulier. Elle ne prend aucun médicament. Elle consulte de façon ponctuelle en soutien à ses démarches avec la RAMQ. Le remboursement est refusé.

Décision : I.B. c. Régie de l’assurance maladie du Québec

Intervention chirurgicale refusée : Mammoplastie pour correction de seins tubéreux

Condition psychologique alléguée : Complexes, gêne et humiliation

Motifs de la décision : Bien que gênée par la forme de ses seins depuis l’âge de 16 ans, la requérante a attendu 8 ans avant de consulter pour une correction mammaire. Son médecin et elle n’ont pas fait mention de troubles fonctionnels. Le remboursement est refusé.

Décision : J.B. c. Régie de l’assurance maladie du Québec

Intervention chirurgicale refusée : Augmentation mammaire avec mastopexie bilatérale

Condition psychologique alléguée : Dépression

Motifs de la décision : La requérante présente une peur de dysmorphie corporelle d’intensité modérée à grave, de laquelle découle une dépression majeure d’intensité légère. Selon le DSM-V : Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (American Psychiatric Association, 5e éd., Paris, Elsevier Masson, 2015, 1 176 p.) , une intervention chirurgicale n’est pas médicalement requise pour le traitement de l’obsession d’une dysmorphie corporelle. Il arrive même parfois qu’une telle opération aggrave la condition d’une personne souffrant de ce trouble. Le remboursement est refusé.

Exemples de décisions du TAQ où le remboursement est accordé

Dans les cas qui suivent, le TAQ accepte de rembourser l’opération demandée. À noter que, à l’exception d’un seul cas, le remboursement est accordé en raison de problèmes physiques.

Décision : T.C. c. Régie de l’assurance maladie du Québec

Intervention chirurgicale refusée : Correction de seins tubéreux

Conditions médicale et psychologique alléguées : Dysfonctionnement à l’égard de l’allaitement et problèmes psychologiques

Motifs de la décision : 1) Les difficultés reliées à l’allaitement sont chose du passé. Elles ne constituent plus un problème de fonctionnement physique des seins ni même un problème psychologique à l’égard de la fonction de mère qui allaite, qui requerrait une intervention immédiate pour le corriger. 2) Quant aux problèmes psychiques, le législateur n’a pas requis qu’un diagnostic précis soit posé préalablement à une intervention médicale assurable. De plus, ce n’est pas parce qu’un problème de santé n’était pas symptomatique au point de requérir une intervention par le passé qu’il ne peut pas aujourd’hui en exiger une. C’est la situation au moment de la demande qui importe et non la symptomatologie passée. La preuve établit que l’intervention projetée satisfait aux critères prévus par la loi et son règlement. Le remboursement est accordé sur la base des problèmes psychologiques et non sur la base du problème physique allégué.

Décision : G.B. c. Régie de l’assurance maladie du Québec

Intervention chirurgicale refusée : Correction d’asymétrie mammaire

Condition médicale alléguée : Une première opération de correction avait été remboursée par la RAMQ en raison d’une déformation congénitale. Les problèmes d’asymétrie sont réapparus près de 20 ans plus tard. La RAMQ prétend que les problèmes actuels ne découlent plus d’une anomalie du développement, mais plutôt de changements physiologiques normaux dus à l’âge et aux grossesses de la requérante.

Motifs de la décision : Un plasticien a expliqué que la mise en place d’une prothèse impliquait dès le départ que l’évolution dans le temps du sein droit ne serait pas la même que celle du sein gauche. En toute logique, la correction envisagée est une conséquence directe, inévitable et tout aussi nécessaire que celle pratiquée près de 20 ans plus tôt. L’intervention au sein gauche n’est pas proposée pour en faire disparaître la ptose — même si elle aura cet effet —, mais plutôt pour corriger l’asymétrie provoquée avec le temps par la mise en place de la prothèse au sein droit. Il ne s’agit donc pas d’une intervention proposée à des fins purement esthétiques.

Décision : M.-P.P. c. Régie de l’assurance maladie du Québec

Intervention chirurgicale refusée : Mammoplastie

Motifs de la décision : L’intervention chirurgicale envisagée vise à corriger une asymétrie mammaire importante d’au moins 150 grammes. Il s’agit donc d’un service assuré au sens du règlement.

Décision : Affaires sociales — 214

Intervention chirurgicale refusée : Correction d’une asymétrie des seins

Condition médicale alléguée : La requérante a subi une réduction mammaire bilatérale devenue nécessaire en raison de douleurs au dos et aux épaules. La RAMQ refuse de rembourser une deuxième intervention pratiquée par la suite pour corriger l’asymétrie des seins ayant résulté des complications survenues lors de la première opération.

Motifs de la décision : La première intervention chirurgicale — une mammoplastie dans un cas de grave d’hyperplasie bilatérale —, qui a été autorisée par la RAMQ, avait pour but de soulager une condition médicale. Une intervention chirurgicale, même pratiquée pour des raisons strictement médicales, doit avoir aussi comme objectif de préserver, autant que faire se peut, l’intégrité physique d’une personne. S’il en résulte une atteinte esthétique significative ou une difformité, la RAMQ doit en supporter les frais, tout comme dans le cas d’un problème fonctionnel découlant d’une opération.

Conclusion

La preuve qu’une intervention chirurgicale correctrice est médicalement requise au sens de la loi et du règlement en raison de problèmes psychiques, et donc qu’elle n’est pas réalisée à des fins purement esthétiques, est difficile à faire. Il semble préférable d’avoir un dossier étoffé par un suivi médical et psychologique ayant débuté bien avant le refus de remboursement de la RAMQ.

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