Dans un billet publié en 2015, je soulignais les pratiques commerciales particulièrement draconiennes d’une société de prêt à court terme, Capital Transit inc.

Avec ses taux d’intérêt imposants, ses frais d’émission payables à même le débours initial, ses clauses de majoration d’intérêt en cas de défaut, ses pénalités portant intérêt, ses clauses d’intérêt sur intérêt, cette société ne finissait-elle pas par facturer, dans certains cas, des intérêts supérieurs à 60 %, enfreignant ainsi l’article 347 du Code criminel (C.Cr.) régissant le prêt usuraire?

En effet, la définition que donne cet article de la notion d’intérêt est très large :

L’ensemble des frais de tous genres, y compris les agios, commissions, pénalités et indemnités, qui sont payés ou payables à qui que ce soit par l’emprunteur ou pour son compte, en contrepartie du capital prêté ou à prêter. La présente définition exclut un remboursement de capital prêté, les frais d’assurance, les taxes officielles, les frais pour découvert de compte, le dépôt de garantie et, dans le cas d’un prêt hypothécaire, les sommes destinées à l’acquittement de l’impôt foncier.

La Cour du Québec

Or, c’est justement ce qu’a eu à décider la Cour du Québec, en 2016 (Capital Transit inc. C. Gendron). En tenant compte du débours de 19 000 $ et des 9 231 $ en frais, intérêts et pénalités facturés par Capital Transit, elle est parvenue à un taux d’intérêt annuel de 64,72 %. Devant ce taux criminel, elle a choisi de réduire les obligations des emprunteurs en excluant la pénalité et en ne donnant pas effet à la clause de majoration des intérêts (qui passaient, en cas de défaut, de 22,9 % à 32 %), faisant ainsi passer le taux d’intérêt effectif à 49 %.

La Cour supérieure

Dans un jugement récent, la Cour supérieure semble avoir rejeté cette approche. En effet, dans l’affaire Capital Transit inc. C. Hébert, constatant l’existence d’un taux d’intérêt criminel (oscillant entre 85 % et 174 % !), elle a annulé les prêts en cause. S’appuyant sur le passage suivant de Pépin c. B2B Alliance inc., elle a estimé que les prêts étaient nuls de nullité absolue et ne pouvaient être modifiés afin d’en ramener les termes à l’intérieur des paramètres établis par la loi :

[21]       Le demandeur invoque également que le tribunal aurait le pouvoir de modifier le contrat afin de le rendre légal selon les principes énoncés par la Cour suprême dans l’arrêt New Solutions Financial Corporation c. Transport North American Express inc. Cependant, dans cet arrêt, la Cour suprême applique des concepts en matière de nullité et d’indivisibilité des contrats régis par la common law, concepts qui ne sont pas applicables en droit civil québécois.

[22]       Selon les principes du droit civil québécois, qu’il faut ici appliquer, le contrat qui prévoit un taux d’intérêt criminel est sanctionné de nullité absolue, car il en va de l’intérêt général que les prêts à un taux usuraire soient prohibés. En outre, il ne saurait être question ici de retrancher la clause relative aux frais d’étude du dossier, dans une tentative de régulariser le contrat. Il n’existe pas, en l’espèce, une clause qui est nulle, et qui pourrait théoriquement être séparée du reste du contrat qui serait par ailleurs valide (art. 1438 C.c.Q.), mais plutôt une combinaison de dispositions contractuelles prévoyant une contrepartie globale de l’emprunteur, dispositions qui, prises ensemble, ont pour effet de créer un taux d’intérêt criminel. Dans ces circonstances, et selon les préceptes du droit civil, on voit mal comment ne pas considérer que le contrat de prêt en cause est un ensemble indivisible qui est nul de nullité absolue. [citation omise]      

Comme les prêts avaient déjà été remboursés, Capital Transit a donc dû restituer une bonne partie, sinon tout le rendement perçu.

Prêt lésionnaire, pénalité abusive et Loi sur l’intérêt

L’article 347 C.Cr. n’est pas le seul aux termes duquel les tribunaux peuvent intervenir en matière de prêt d’argent. On pense d’abord à l’article 2332 du Code civil du Québec (C.C.Q), qui accorde au tribunal un éventail de pouvoirs lorsqu’il constate qu’une des parties à un prêt d’argent fait face à des obligations exorbitantes (prêt lésionnaire).

Il y a également l’article 1623 C.C.Q., qui permet au tribunal de réduire une pénalité lorsqu’il la juge abusive, en tenant compte de toutes les circonstances.

Enfin, il convient de mentionner l’article 8 de la Loi sur l’intérêt qui, en matière de prêt hypothécaire, interdit de réclamer une « amende, pénalité ou taux d’intérêt ayant pour effet d’élever les charges sur [les] arrérages au-dessus du taux d’intérêt payable sur le principal non arriéré ». Sur cette question, la Cour suprême (Krayzel Corp.) a eu cette réflexion empreinte de sagesse (paragr. 20) :

[…] Si un propriétaire est déjà en défaut de paiement en raison du taux d’intérêt imposé sur les sommes non arriérées, un taux encore plus élevé ou une charge encore plus grande sur les arrérages rendra la forclusion pratiquement inévitable.

Bref, les clauses pénales ou prévoyant une majoration du taux d’intérêt en cas de défaut figurant aux actes de prêts hypothécaires de Capital Transit paraissent illégales à leur face même (voir Gendron).

Effet pratique pour les cautions

Il est intéressant de noter qu’un des effets d’une déclaration de nullité d’un prêt entraîne l’annulation du cautionnement qui en est l’accessoire. Cette solution a été retenue dans l’affaire Pépin citée un peu plus haut. Cela n’est pas à négliger, considérant le fait que les prêteurs exigent souvent un cautionnement personnel des actionnaires de petites et moyennes entreprises.

Un combat qui peut en valoir le coût

En conclusion, un emprunteur pris dans les filets d’un prêteur sans scrupules n’est pas sans ressources et devrait, avant de lui céder son bien ou de se saigner en frais de toutes sortes, consulter un avocat pour faire analyser la validité des engagements contractuels qu’il a souscrits.