L’histoire est simple mais troublante. Il s’agit de celle relatée dans Métro Richelieu inc. (Mérite 1), une décision récente du Tribunal administratif du travail (TAT). Le travailleur, un camionneur, a produit une réclamation à la CNESST pour faire reconnaître que la surdité dont il était porteur découlait de l’exercice de son travail. La CNESST, dans une première décision, a accepté la réclamation. Dans une seconde décision, elle a versé au travailleur la somme de 19 381, 44 $, correspondant à l’indemnité pour l’atteinte permanente. Or, à la suite de la contestation par l’employeur de ces décisions, le TAT a déclaré sans effet la décision concernant l’atteinte permanente. La CNESST s’est alors tournée vers le travailleur et lui a réclamé la totalité de l’indemnité qu’elle lui avait déjà versée. Insatisfait, ce dernier a demandé au TAT de déclarer que cette somme n’était pas recouvrable et, dans le cas contraire, de lui accorder une remise de dette.

Un montant d’argent recouvrable

Le juge administratif chargé d’entendre le dossier détermine dans un premier temps que le montant réclamé par la CNESST constitue une prestation au sens de l’article 2 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP) puisqu’il est question dans ce cas d’une indemnité versée en argent. Dans un second temps, il conclut que, le travailleur n’étant pas atteint d’une surdité reliée à son travail, il n’avait donc pas le droit de recevoir l’indemnité qui lui a été versée. À cet égard, l’article 430 LATMP prévoit ce qui suit :

  1. Sous réserve des articles 129 et 363, une personne qui a reçu une prestation à laquelle elle n’a pas droit ou dont le montant excède celui auquel elle a droit doit rembourser le trop-perçu à la Commission

[Les caractères gras sont du soussigné.]

Quant à la prétention du travailleur voulant que la prestation ne soit pas recouvrable selon l’article 363 LATMP, le juge administratif ne la retient pas et s’en explique :

 [15]    Le Tribunal juge que le travailleur ne peut bénéficier de l’article 363 de la Loi, car les conditions d’ouverture de cet article ne sont pas remplies. En effet, la décision rendue par le Tribunal, qui déclare que le travailleur n’est pas porteur d’une surdité professionnelle, n’a pas eu pour effet de réduire ou d’annuler une indemnité de remplacement du revenu ou une indemnité de décès prévue à l’article 101 ou selon le premier alinéa de l’article 102 ou une prestation prévue au plan individualisé de réadaptation. 

[Les caractères gras sont du soussigné.]

Le juge administratif conclut que le travailleur a bel et bien reçu une prestation à laquelle il n’avait pas droit et qu’elle est donc recouvrable au sens de l’article 430 LATMP.

La remise de dette

Dans le second volet de son analyse, le juge souligne que, en vertu de l’article 437 LATMP, la CNESST peut accorder une remise de dette au travailleur si elle le juge équitable, en raison notamment de sa bonne foi ou de sa situation financière. Il constate que le travailleur a formulé une demande de remise de dette auprès de la CNESST mais que celle-ci n’a pas encore rendu sa décision. Le juge se pose alors la question suivante : en l’absence d’une décision écrite de la CNESST sur cette question, peut-il accorder de son propre chef une remise de dette au travailleur ?

Tout d’abord, le juge relate l’existence de 2 courants jurisprudentiels au sein du Tribunal concernant cette question.

  • Selon le premier courant, le pouvoir discrétionnaire énoncé à l’article 437 LATMP appartient à la CNESST et, en l’absence d’une décision explicite sur cette question, le Tribunal ne peut se prononcer sur la possibilité d’accorder ou non une remise de dette.
  • Selon le second courant, même si la CNESST ne s’est pas explicitement prononcée sur la question de la remise de dette, le Tribunal a le pouvoir de décider de la demande puisque, en rendant une décision qui réclame le remboursement d’un trop-perçu, la CNESST se trouve à décider implicitement qu’elle n’accorde pas au travailleur une remise de dette.

Ensuite, le juge rappelle que, en vertu de l’article 9 de la Loi instituant le Tribunal administratif du travail, il a le pouvoir de décider de toute question de droit ou de fait nécessaire à l’exercice de sa compétence. Il peut notamment confirmer, modifier ou infirmer une décision contestée et, s’il y a lieu, rendre la décision qui aurait dû être rendue. Il peut également rendre toute décision qu’il juge appropriée :

[23]     Le Tribunal a donc le pouvoir d’agir de novo. Ce pouvoir est très large. En effet, la jurisprudence a reconnu qu’en vertu de celui-ci, le Tribunal peut remédier aux irrégularités pouvant affecter le processus décisionnel et aux erreurs commises par les instances inférieures. Il peut aussi actualiser le dossier et régler toute question accessoire à la question principale qu’il doit trancher

[Les caractères gras sont du soussigné.]

Le juge administratif, adhérant au second courant, conclut qu’il a le pouvoir de rendre la décision qui aurait dû être rendue initialement quant à la possibilité d’accorder ou non au travailleur une remise de dette. Selon lui, il s’agit d’une question intimement liée à la question dont il est saisi, soit de déterminer si la CNESST est fondée à réclamer au travailleur la somme de 19 381,44 $.

Retour du dossier à la CNESST ?

Bien que le juge reconnaisse qu’il pourrait retourner le dossier du travailleur à la CNESST afin qu’elle se prononce sur la remise de dette, il écarte toutefois rapidement cette solution. Selon lui, cette démarche entraînerait des délais inutiles et un stress important pour le travailleur, qui attend depuis plus de 1 an que la CNESST statue sur sa demande. Le juge souligne également qu’un tel renvoi n’atteindrait pas l’objectif de célérité consacré à l’article 1 de la Loi sur la justice administrative, d’autant moins que le Tribunal dispose de tous les éléments nécessaires pour rendre une décision.

Les conclusions du TAT

Après avoir analysé la preuve, le juge accorde une remise de dette au travailleur et fait les constats suivants :

  • La CNESST a versé au travailleur l’indemnité pour dommages corporels malgré le fait que les décisions concernant l’admissibilité de sa réclamation et le pourcentage d’atteinte permanente étaient contestées par l’employeur;
  • La CNESST aurait dû informer le travailleur qu’il était susceptible de devoir rembourser cette indemnité, ce qu’elle n’a pas fait.

Le juge retient donc que le travailleur était de bonne foi lorsqu’il a reçu l’indemnité et que rien ne lui permettait de croire que celle-ci pourrait un jour lui être réclamée. Quant à la situation financière du travailleur, le juge affirme ce qui suit :

[32]     De plus, le Tribunal est satisfait de la preuve qui a été faite concernant la situation financière du travailleur. Il ressort de la preuve que le travailleur est à la retraite depuis décembre 2018 et qu’il a une personne à charge, soit sa conjointe. Dans les circonstances et en tenant compte du budget du travailleur, le Tribunal estime que le remboursement de cette somme mettrait en péril sa situation financière

[Les caractères gras sont du soussigné.]

Le juge déclare que le travailleur n’a pas à rembourser la somme qu’il a reçue à titre d’indemnité pour préjudice corporel, soit 19 381,44 $.

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