Les étudiants de l’aluminerie de Bécancour gagnent un salaire inférieur à celui des salariés occasionnels ou réguliers. Ils gagnaient en 2016 plus ou moins 30 $ l’heure pendant que leurs collègues, des employés occasionnels ou réguliers,  en recevaient un peu plus de 43 $….

Il y a 1 an, le Tribunal des droits de la personne a rendu une décision concluant que les étudiants qui bénéficient d’un taux de rémunération inférieur à celui accordé aux employés occasionnels ou réguliers étaient victimes de discrimination fondée sur les motifs prévus à l’article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne, soit ceux de la «condition sociale» et de l’«âge».

Il s’agit de l’affaire Aluminerie de Bécancour inc., laquelle est actuellement devant la Cour d’appel.

Le Tribunal des droits de la personne a mentionné que la jurisprudence assimile la condition d’étudiant et le fait que les étudiants travaillent durant l’été pour payer leurs études à une «condition sociale». Pour ce qui est du motif de l’âge, la preuve présentée a démontré qu’ils sont beaucoup plus jeunes à l’embauche en moyenne que les autres employés.

Le droit de se voir accorder un traitement égal pour un travail équivalent et qu’ils ne peuvent exercer en toute égalité est prévu à l’article 19 de la charte.

Art. 19 charte «Tout employeur doit, sans discrimination, accorder un traitement ou un salaire égal aux membres de son personnel qui accomplissent un travail équivalent au même endroit.

Il n’y a pas de discrimination si une différence de traitement ou de salaire est fondée sur [1] l’expérience, [2] l’ancienneté, [3] la durée du service, [4] l’évaluation au mérite, [5] la quantité de production ou [6] le temps supplémentaire, si ces critères sont communs à tous les membres du personnel.

[…]. »

[L’ajout des chiffres est de la soussignée.]

L’employeur n’a pas réussi à établir que la disparité de traitement était justifiée par l’un ou l’autre des 6 éléments mentionnés à titre d’exemption dont il aurait pu bénéficier en vertu de l’article 19 alinéa 2 de la charte.

Le Tribunal a donc déclaré que les clauses des conventions collectives qui attribuaient aux étudiants un taux de salaire moindre, et ce, pour un travail équivalent, contrevenaient aux articles 10 et 19 de la Charte des droits et libertés de la personne. Il a ordonné à l’employeur de payer des dommages-intérêts aux étudiants et de rendre les clauses valides.

Un peu plus…

Comment déterminer qu’un étudiant effectue un travail équivalent ? Éléments à considérer

Pour décider si un travail est équivalent à un autre, le Tribunal a rappelé que la jurisprudence tient compte :

  • des qualifications requises de la part des différentes catégories d’employés ;
  • de l’effort requis pour accomplir les tâches ;
  • des responsabilités assumées ; et
  • des conditions de travail.

La situation précise des étudiants de l’ABI

À la lumière des critères établis relativement à la notion de «travail équivalent», le Tribunal a notamment retenu que :

  • les étudiants accomplissent des tâches aussi dangereuses que celles réservées aux employés réguliers ou occasionnels ;
  • ils sont aussi compétents à l’égard des tâches auxquelles ils sont assignés que les employés occasionnels ou réguliers ;
  • ils bénéficient de la même formation que ces derniers ;
  • certains supervisent même le travail des employés occasionnels ou réguliers ;
  • ils remplacent les autres employés qui prennent des vacances ;
  • l’embauche de main-d’œuvre étudiante est plus efficace que celle de nouveaux occasionnels.

Il est à noter que les étudiants ne sont pas affectés à des postes comme les réguliers ou les occasionnels, mais à des tâches.

Argument de l’employeur rejeté : nombre de tâches accomplies

L’employeur n’a pas démontré que les étudiants sont traités différemment parce qu’ils n’effectuent pas la totalité des tâches d’un poste. Concrètement, la situation des étudiants n’est pas différente de celle des réguliers et des occasionnels.

  • Certains étudiants effectuent le même nombre de tâches que les occasionnels ou les réguliers.
  • À certains postes, ils effectuent un nombre plus élevé de tâches que les employés occasionnels à certains postes, mais ils sont payés moins qu’eux.
  • Si certains étudiants ne sont pas formés pour accomplir certaines tâches, c’est en raison de la durée trop courte d’embauche.
  • Les employés occasionnels ou réguliers ne sont pas tous systématiquement formés à l’ensemble des tâches d’un poste non plus.

Expérience, ancienneté ou mérite moindres : argument de l’employeur rejeté.

La preuve a été faite que, dès sa première journée de travail, un salarié occasionnel gagne plus qu’un étudiant, peu importe les périodes travaillées.

Le Tribunal a mentionné le fait que l’employeur n’avait pas allégué que la rémunération moins élevée payée aux étudiants était reliée à leur productivité comme c’était le cas dans Ferme de la poulette grise inc.

En terminant, le jugement de la Cour d’appel est attendu

Très peu de décisions se sont prononcées sur les distinctions salariales à l’égard de la situation d’étudiants. Il sera intéressant d’obtenir des précisions quant à la notion de «travail équivalent» et de l’incidence du nombre de tâches accomplies par les étudiants sur la preuve d’une exemption fondant l’employeur à accorder un traitement moindre aux étudiants visés.

Par ailleurs, le Tribunal a retenu la seule responsabilité de l’employeur, écartant celle du syndicat. En Cour d’appel, on verra si cette conclusion sera maintenue.

Print Friendly, PDF & Email