Le système de paie Phénix connaît des ratés depuis son implantation, en février 2016. Selon l’Alliance de la fonction publique, 270 000 fonctionnaires fédéraux ont été directement touchés par ces problèmes et près de 240 000 dossiers n’étaient toujours pas réglés en avril 2019.

L’un de ces travailleurs, un agent des services correctionnels de catégorie CX-II intérimaire travaillant dans un établissement situé au Québec, s’est adressé au Tribunal administratif du Travail (TAT).

Il voulait faire reconnaître que le trouble de l’adaptation diagnostiqué chez lui était relié :

  • aux erreurs de paie qu’il subit depuis l’implantation du système de paie Phénix;
  • à un entretien téléphonique avec le sous-directeur intérimaire, qui aurait eu pour effet d’augmenter sa détresse et son stress;
  • à la demande de l’employeur de cesser de porter le pantalon de camouflage, un moyen de pression qui avait été mis en place par les travailleurs mécontents.

Le Tribunal a conclu que le travailleur n’avait pas subi de lésion professionnelle.

Le fardeau de la preuve

Le TAT devait déterminer si le travailleur avait subi un accident du travail. Ce dernier devait donc démontrer l’existence d’un événement imprévu et soudain, attribuable à toute cause, survenu par le fait ou à l’occasion du travail, ainsi que la relation causale entre cet événement imprévu et soudain et le diagnostic posé, en l’occurrence un trouble de l’adaptation.

En matière de lésion psychologique, certains événements qui, pris isolément, paraissent bénins peuvent entraîner un effet cumulatif considérable et présenter le caractère « imprévu et soudain » mentionné dans la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. Cette série d’événements doit survenir dans des circonstances inhabituelles ou qui débordent le cadre normal du travail, en tenant compte du contexte particulier du milieu de travail. L’événement imprévu et soudain implique un caractère objectivement traumatisant. Il ne doit pas relever de la perception subjective du travailleur.

La conclusion du TAT

Le Tribunal a retenu que « à sa face même, chaque événement allégué individuellement et même cumulativement ne permet[tait] pas de conclure que la situation à laquelle a[vait] fait face le travailleur présent[ait] un caractère objectivement traumatisant. La preuve tend beaucoup plus à démontrer l’implication de sa perception subjective de la situation ainsi que l’amplification des conséquences » (paragr. 76).

Les erreurs sur la paie

Le Tribunal a tout d’abord souligné que l’employeur avait annoncé la mise en place du nouveau système de paie Phénix, que les employés étaient largement informés à ce sujet et que des outils avaient été mis à leur disposition pour qu’ils s’adaptent à ce système. Il a par ailleurs rappelé que le travailleur vérifiait régulièrement ses relevés de paie, et ce, même avant l’implantation du logiciel. Aussi, dès la première paie traitée par le système Phénix, l’employeur avait informé les travailleurs de problèmes observés.

Le travailleur n’était donc pas le seul à connaître des problèmes de rémunération et à devoir entreprendre des démarches pour que les erreurs soient corrigées. D’ailleurs, certains employés ne recevaient pas de paie du tout. En outre, les erreurs relatives à la paie du travailleur étaient prévisibles puisque l’employeur avait indiqué à plusieurs reprises que des employés intérimaires subissaient de tels problèmes.

La preuve a démontré un manque à gagner total de 2 671 $ net pour la période comprise entre le 4 mai et le 10 août 2016. Le Tribunal s’est attardé aux montants nets puisqu’ils reflètent le pouvoir d’achat du travailleur.Le Tribunal n’a pas retenu que le travailleur était en péril financier. Il a souligné que la preuve était essentiellement constituée d’allégations quant au report de certains projets ou à leur modification.

Il est intéressant de noter que le Tribunal a poursuivi en disant : «il n’est nullement démontré que le travailleur croule sous les dettes, qu’il est incapable ou en défaut d’effectuer ses versements hypothécaires ou que ses cartes de crédit sont utilisés au maximum et sans être capable d’en acquitter le solde» (paragr. 90).

L’entretien téléphonique et les moyens de pression

Le Tribunal n’a pas retenu que les erreurs relatives à la rémunération du travailleur constituaient un événement imprévu et soudain. Il a au contraire jugé que la réaction de ce dernier était étonnante puisque l’employeur lui avait offert, durant une conversation téléphonique, une avance de paie représentant près de la moitié du manque à gagner cumulé depuis les premières erreurs. Cette somme a d’ailleurs été versée au travailleur dès le lendemain.

L’employeur a également demandé au travailleur de cesser de porter le pantalon de camouflage, conformément à une demande qui avait été faite à l’ensemble des employés. Le Tribunal a retenu que, même si l’employeur avait toléré pendant un certain temps ce moyen de pression, il pouvait y mettre un terme en vertu de ses droits de direction.

Note : une demande de révision de cette décision du Tribunal administratif du travail a été déposée en mars 2019. À ce jour, aucun jugement en révision n’a été rendu.

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