La disposition criminalisant l’avortement a été officiellement retirée du Code criminel le 21 juin dernier, lorsque le projet de loi C-75 a reçu la sanction royale. Plus de 30 ans après avoir été jugé inconstitutionnel par la Cour suprême du Canada, l’article 287 y figurait pourtant toujours.

Pour souligner ce passage historique, les conseillers juridiques de SOQUIJ ont préparé un dossier spécial sur l’avortement. En revisitant la jurisprudence, du point de vue tant criminel que civil, ils vous présenteront les enjeux et les valeurs ayant fait l’objet de débats devant les tribunaux canadiens.

Acte criminel pour la femme et le médecin

Déjà, dans le premier Code criminel du Canada, entré en vigueur en 1892, l’avortement était un crime tant pour le médecin qui le pratiquait que pour la femme enceinte elle-même.

Avant 1969, toute personne qui tentait de provoquer l’avortement d’une femme était passible de l’emprisonnement à vie. La femme qui tentait elle-même de mettre un terme à sa grossesse ou permettait qu’une autre personne le fasse s’exposait à 2 ans d’emprisonnement.

Après cette date, une exception à la loi a été introduite afin de permettre l’avortement, mais seulement s’il était pratiqué par un médecin, dans un hôpital, et qu’il avait été approuvé au préalable par un comité de l’avortement thérapeutique composé d’au moins 3 médecins.

L’affaire Morgentaler

Le Dr Morgentaler, qui menait une bataille juridique en faveur de la décriminalisation de l’avortement depuis les années 1970, pratiquait des avortements en clinique privée pour des femmes qui n’avaient pas obtenu l’autorisation requise par le Code criminel. Accusé de complot dans l’intention de procurer des avortements, il a finalement été acquitté par la Cour suprême en 1988.

Dans cette décision, la Cour suprême a déterminé que l’article criminalisant l’avortement constituait une atteinte à l’intégrité physique et émotionnelle d’une femme et que forcer celle-ci à mener un fœtus à terme constituait une ingérence profonde à l’égard de son corps, et donc une atteinte à la sécurité de sa personne, garantis par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés.

La Cour a également conclu que le droit à la sécurité de la personne était aussi violé par la procédure mise en place pour obtenir un avortement thérapeutique, car le délai causé par celle-ci en augmentait les risques et les probabilités de complications.

Deux ans plus tard, la Cour suprême se prononçait dans l’affaire Tremblay et confirmait que le fœtus devient une personnalité juridique une fois qu’il est né vivant et viable.

L’avortement aux États-Unis

Au cours des dernières semaines, l’Alabama et plusieurs autres États américains ont voté des lois anti-avortement faisant risquer de longues peines d’emprisonnement tant aux femmes qu’aux médecins.

Aux États-Unis, le droit à l’avortement, consacré dans l’affaire Roe, est plutôt basé sur le droit à la vie privée, énoncé au 14e amendement de la Constitution des États-Unis. Il oppose le droit de la femme à sa vie privée à l’intérêt de l’État à protéger la vie prénatale. Ainsi, la Cour suprême des États-Unis a jugé que, si l’État avait un intérêt important et légitime à protéger la vie potentielle, cet intérêt ne pouvait devenir supérieur qu’au moment où le fœtus devenait viable, c’est-à-dire lorsque le fœtus était capable de vivre indépendamment de sa mère.

Le droit des femmes à l’avortement et les droits du fœtus continuent de faire couler de l’encre de chaque côté de la frontière. Toutefois, des principes juridiques différents les soutiennent. Leurs principales distinctions sont les suivantes :

  Au Canada Aux États-Unis
Droit de la femme à l’avortement

Découle du droit à la sécurité de la personne, protégé par l’article 7 de la charte

Découle du droit à la vie privée, énoncé au 14e amendement de la constitution

Droits du fœtus

Lorsqu’il naît, vivant et viable (Tremblay)

Lorsqu’il est complètement sorti, vivant, du sein de sa mère (art. 223 C.Cr.)

Lorsqu’il est capable de vivre indépendamment de sa mère (Roe)

Le prochain billet de ce dossier spécial, qui sera publié le 17 juillet prochain, abordera la question sous l’angle du droit civil.

Écrit avec la collaboration de Me Émilie Brien, coordonnatrice de la rédaction.

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