La réduction ou la suspension d’une indemnité : un pouvoir que détient la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST)

En vertu de l’article 142 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, la CNESST dispose d’un pouvoir discrétionnaire important, soit celui de réduire ou de suspendre le versement d’une indemnité. Comme le Tribunal administratif du travail (TAT) l’a rappelé à maintes occasions, ce pouvoir n’est pas de nature punitive. Il vise plutôt à inciter un travailleur à remédier à un défaut.

Par exemple, s’il ne se présente pas à un examen médical auquel il a été convoqué par son employeur ou par la CNESST, cette dernière pourra suspendre le versement de son indemnité de remplacement du revenu (IRR) jusqu’à ce qu’il se conforme à ses obligations et se présente à l’examen médical. Toutefois, pour être sanctionné, le travailleur doit avoir agi ou omis d’agir sans raison valable, ce qui ouvre la porte, dans certaines circonstances, à une justification de son comportement.

Les faits

Dans Transport S & L inc., le TAT s’est récemment penché sur une demande de suspension de l’IRR d’un travailleur. Dans cette affaire, bien avant la survenance de la lésion professionnelle de celui-ci, son employeur l’avait autorisé à prendre 3 semaines de vacances à l’extérieur du pays, soit du 23 février au 16 mars 2019. Cependant, le 31 août 2018, le travailleur s’est blessé en sortant de son autobus. La CNESST a accepté sa réclamation pour une lésion professionnelle, une décision qui a par la suite été confirmée par le TAT.

Convaincu de ne pas pouvoir partir en vacances en raison d’une telle blessure, le travailleur a demandé à son médecin un billet médical pour faire annuler son voyage. Ce dernier l’a rassuré quant à sa capacité à voyager. Le travailleur a également informé la CNESST à propos de ses vacances à venir. Elle lui a alors demandé d’obtenir un document de son médecin autorisant son voyage. Le 29 janvier 2019, la CNESST a reçu un tel document dans lequel il est spécifié que les traitements de physiothérapie seront suspendus pendant la durée du voyage et que le travailleur devra faire des exercices. Or, le 22 février 2019, soit la veille de son départ en vacances, le travailleur a reçu une convocation de l’employeur à un examen médical devant avoir lieu le 1er mars 2019. Il s’est immédiatement informé auprès de la CNESST afin de savoir ce qu’il devait faire. Celle-ci lui a confirmé que le versement de l’IRR se poursuivrait durant son séjour à l’étranger. Le 26 février suivant, l’employeur a demandé à la CNESST de suspendre le versement de l’IRR du travailleur aux motifs que celui-ci ne pouvait se présenter à l’examen médical et qu’il allait s’absenter de ses traitements de physiothérapie. La CNESST a refusé de donner suite à la demande de l’employeur, puis a maintenu cette décision dans le cadre de son processus de révision administrative. Insatisfait, l’employeur conteste cette décision devant le TAT.

La décision du TAT

D’entrée de jeu, le juge administratif rappelle que le mécanisme qui prévoit la suspension d’une indemnité n’est pas un automatisme. Certaines conditions s’appliquent :

[37]        Comme l’écrit la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire L.M.L., l’article 142 de la Loi est une mesure draconienne qui doit être utilisée de façon judicieuse. Pour suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu, il faut être en présence d’un motif sérieux qui soit assimilable à de la négligence ou de la mauvaise foi d’un travailleur. [Caractères gras ajoutés]

Puis, après  des faits du dossier, le juge administratif conclut que le comportement du travailleur est irréprochable :

[47]        Il devient difficile de trouver dans ce comportement précité du travailleur de la négligence ou de la mauvaise foi de sa part. Il a avisé au préalable la Commission de ses vacances qui lui ont été autorisées depuis longtemps par son employeur et a obtenu l’autorisation de son médecin ayant charge. Il suit à la lettre les instructions de la Commission. Que lui demander de plus ?

[48]        En agissant comme il l’a fait, à savoir convoquer le travailleur le 22 février 2019, la veille de son départ du pays, à un examen médical pour le 1er mars suivant, l’employeur devait nécessairement s’attendre à ce que le travailleur ne puisse se présenter à son rendez-vous. C’est manquer là de discernement. [Caractères gras ajoutés]

Puisque le travailleur avait une raison valable de refuser de se soumettre à l’examen médical prévu, le juge administratif décide, tout comme l’a fait la CNESST avant lui, qu’il n’y a pas lieu de suspendre le versement de son IRR. Quant aux traitements de physiothérapie, le juge souligne que rien n’empêchait le médecin du travailleur de considérer qu’ils n’étaient pas nécessaires durant son voyage pourvu que le travailleur fasse ses exercices. Le juge conclut que le travailleur n’a pas refusé de se soumettre à un traitement médical puisqu’il en était exempté.

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