On parle régulièrement des fraudes financières dont peuvent être victimes des individus, que ce soit en raison d’un vol d’identité ou d’abus confiance. Il est plus rare qu’une institution financière se retrouve au rang des victimes.

C’est pourtant ce que soutient Desjardins dans une affaire actuellement devant les tribunaux (voir à cet égard cette décision de la Cour d’appel).

En effet, dans un dossier entrepris au mois de février dernier, Desjardins reproche à 2 individus ainsi qu’aux compagnies et fiducies sous leur contrôle d’avoir mis sur pied un stratagème qui leur aurait permis de s’approprier frauduleusement plus de 3,4 millions de dollars. Le modus operandi allégué :

  1. Un client en apparence légitime utilise divers produits de crédit à leur plein potentiel, dépose dans son compte des chèques qui ne seront pas honorés par le payeur ou fait des demandes de retrait irrégulières au moyen du produit « Dépôt-retrait direct »;
  2. Les sommes ainsi libérées sont ensuite redirigées de différentes façons vers l’un ou l’autres des défendeurs ou des mis en cause;
  3. Le client à l’origine des sorties de fonds cesse ensuite ses activités, devient insolvable ou déclare faillite.

Démontrer la fraude

Pour Desjardins, la situation était des plus périlleuses puisque, d’une part, le complot allégué était vraisemblablement encore en cours lors de sa découverte.

D’autre part, si la procédure civile offre des recours spéciaux pour agir contre des individus à la probité douteuse, le fardeau de preuve est lourd et de simples allégations de fraude sont insuffisantes pour y donner accès.

Enfin, le moindre faux pas pouvait donner la puce à l’oreille aux présumés fraudeurs, auquel cas les sommes détournées, ou ce qu’il en restait, se seraient éclipsées dans les méandres du système bancaire.

Bref, si elle ne voulait pas se retrouver à réclamer son dû d’un syndic de faillite ou creuser davantage sa perte, Desjardins devait monter un dossier d’enquête solide, et ce, dans les plus brefs délais.

Plus particulièrement, il lui fallait démontrer, au moyen d’éléments concrets, le risque qu’elle courait d’être incapable d’obtenir justice si la procédure habituelle était respectée, et ce, parce qu’elle serait incapable soit de faire la preuve de ses droits, soit d’exécuter un éventuel jugement.

Desjardins y est parvenue. Procédant devant un juge sans la partie adverse, elle a obtenu des ordonnances de type Anton Piller, Mareva et Norwich et a été autorisée à effectuer des saisies avant jugement. À noter que les défendeurs contestent vigoureusement tant les allégations portées contre eux que les ordonnances rendues par le tribunal.

Quels sont ces types d’ordonnances ?

  • L’ordonnance de type Norwich permet de forcer des tiers à divulguer des informations pouvant mener à l’identification d’une partie défenderesse.
  • L’ordonnance de type Anton Piller permet d’effectuer une perquisition et une saisie visant à préserver des éléments de preuve qui risqueraient autrement d’être détruits.
  • L’ordonnance de type Mareva permet d’ordonner au défendeur ou à des tiers de ne pas se départir de certains éléments d’actif en leur possession afin d’éviter qu’ils ne disparaissent.
  • Contrairement à l’ordonnance de type Mareva, qui vise des personnes, la saisie avant jugement permet quant à elle de saisir des biens appartenant au défendeur, en sa possession ou en la possession d’un tiers, jusqu’à ce que jugement soit rendu.

Évidemment, ces mesures ne sont que provisoires : elles peuvent être contestées ou annulées et elles tomberont si Desjardins n’a pas gain de cause sur le fond. Mais, à tout le moins, le déséquilibre inhérent à une poursuite intentée contre une personne ou des personnes que l’on pense peu enclines à respecter les règles du jeu a été atténué et Desjardins peut maintenant espérer que la suite du débat se fera à armes égales.

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