Les modifications  au Code criminel entrées en vigueur en septembre 2019 s’appliquent-elles aux dossiers en cours ou seulement aux nouveaux dossiers ? La cour se prononce dans les affaires Lindor et S.C. 

D’importantes modifications ont été apportées au Code criminel par la Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents et d’autres lois et apportant des modifications corrélatives à certaines lois lorsque le projet de loi C-75 a reçu la sanction royale, le 21 juin 2019.

La loi a pour objectif de moderniser le système de justice pénale et de le rendre plus efficace. Elle vise notamment à réduire les délais des procès en réponse à l’arrêt Jordan, rendu par la Cour suprême du Canada en 2016.

Certaines des modifications apportées au Code criminel sont entrées en vigueur le 19 septembre 2019. Elles portent principalement sur les enquêtes préliminaires, le processus de sélection du jury, le reclassement de certaines infractions et la gestion des dossiers judiciaires. Je m’attarderai au 2 premiers sujets, car ils ont fait l’objet de jugements récent relativement au caractère immédiat ou non de leur application.

Sélection du jury

Les modifications apportées au processus de sélection des jurés ont eu pour effet:

  1. d’abolir la récusation péremptoire de jurés, c’est-à-dire la possibilité pour le procureur de la Couronne et l’avocat de la défense de demander l’exclusion d’un candidat sans autre explication.
  2. de modifier le processus de récusation motivée des jurés afin ce soit le juge qui détermine si les motifs de récusation allégués par l’avocat sont fondés. Cette vérification était faite auparavant par des jurés déjà assermentés.
  3. d’ajouter un motif permettant au juge d’ordonner la mise à l’écart d’un juré en attendant que le jury soit formé, soit le maintien de la confiance du public envers l’administration de la justice.

Dans le jugement Lindor, rendu le 9 octobre dernier, le juge Downs, de la Cour supérieure, a déterminé que les dispositions de la loi relatives à la sélection des jurés, entrées en vigueur le 19 septembre 2019, ne s’appliquent pas rétrospectivement aux actes criminels commis avant cette date. Il est d’avis que le nouveau régime mis en place touche les droits substantiels de l’accusé. En effet, il ne s’agit pas de modifications purement procédurales permettant son application immédiate, mais plutôt de changements importants modifiant fondamentalement le processus de sélection des jurés.

Selon la jurisprudence, le processus de sélection du jury comporte des garanties procédurales visant à assurer son impartialité, comme c’est le cas des récusations péremptoires. Or, leur abolition peut avoir une répercussion sur les droits d’un accusé à un procès devant jury, à un procès juste et équitable ainsi qu’à une audition devant un tribunal indépendant et impartial, qui sont protégés par les articles 11 d) et 11 f) de la Charte canadienne des droits et libertés (extraits à la fin de ce billet).

Le juge Downs note qu’il existe actuellement une controverse jurisprudentielle au sein des cours supérieures du pays, qui sont divisées quant à l’application immédiate ou non du nouveau régime de sélection des jurés pour les procès qui se tiennent depuis le 19 septembre 2019. En effet, certains juges ‑ tous de l’Ontario ‑ ont refusé de conclure que le droit aux récusations péremptoires était un droit acquis en raison de son caractère purement procédural, alors que d’autres ont estimé au contraire qu’il s’agissait d’un droit substantiel qui était acquis à compter du moment où l’accusé optait pour un procès devant jury.

Enquête préliminaire

Le Code criminel a aussi été modifié de manière à limiter le recours aux enquêtes préliminaires aux actes criminels passibles d’une peine de 14 ans ou plus d’emprisonnement.

Le juge Marchi, de la Cour du Québec, dans le jugement S.C., daté du 30 septembre 2019, a déterminé qu’une personne accusée avant le 19 septembre 2019 d’un acte criminel passible d’un emprisonnement maximum de moins de 14 ans n’avait pas un droit acquis à la tenue d’une enquête préliminaire si elle n’avait pas préalablement exercé ce droit. Il a estimé que l’intention du législateur de restreindre l’accès aux enquêtes préliminaires et d’en limiter la portée était claire et que les modifications ne touchaient pas un droit substantiel de l’accusé.

Autres modifications

Les modifications apportées au Code criminel sont expliquées en détail dans un document d’information législatif publié par le ministère de la Justice du Canada. Celles qui ne sont pas abordées dans le présent billet visent notamment à :

  • moderniser et simplifier le régime de mise en liberté provisoire;
  • améliorer l’approche à l’égard des infractions contre l’administration de la justice, y compris pour les adolescents;
  • améliorer les mesures permettant de mieux lutter contre la violence entre partenaires intimes;
  • rétablir le pouvoir discrétionnaire du tribunal en ce qui a trait à l’imposition de suramendes compensatoires;
  • faciliter les poursuites relatives à la traite de personnes et permettre la confiscation de biens;
  • supprimer les dispositions qui ont été jugées inconstitutionnelles par la Cour suprême du Canada.

Pour aller plus loin

Extraits de la Charte canadienne des droits et libertés

11. Tout inculpé a le droit :

[…]

  1. d) d’être présumé innocent tant qu’il n’est pas déclaré coupable, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l’issue d’un procès public et équitable.

[…]

  1. f) sauf s’il s’agit d’une infraction relevant de la justice militaire, de bénéficier d’un procès avec jury lorsque la peine maximale prévue pour l’infraction dont il est accusé est un emprisonnement de cinq ans ou une peine plus grave.

[…]

Le cadre d’analyse de l’arrêt Jordan, de la Cour suprême du Canada, relativement aux délais en matière criminelle a fait l’objet d’un billet de blogue en 2016.

Il est à noter que, en date du 22 octobre 2019, les modifications apportées par le projet de loi C-75 (Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents et d’autres lois et apportant des modifications corrélatives à certaines lois) n’étaient toujours pas intégrées au Code criminel sur le site Web de la législation (Justice) du Canada.

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