186 millions de dollars. C’est ce que la perception de taxes liées à la vente de cannabis avait rapporté en date de juin 2019 au gouvernement fédéral et aux provinces, quelques mois seulement après la légalisation du cannabis, en octobre 2018.

Des recettes non négligeables, certes. Mais même si la Société québécoise du cannabis estime avoir réussi à s’emparer de près de 18 % du marché noir, celui-ci domine encore. Le cannabis illégal se vendant généralement moins cher que son équivalent légal, il n’est pas surprenant de constater que de nombreux consommateurs canadiens préfèrent toujours s’approvisionner sur le marché noir.

Par conséquent, malgré la légalisation, une grande partie des revenus provenant de la vente de cannabis échappe aux autorités fiscales et le commerce illégal de cannabis demeure une activité très lucrative pour les trafiquants.

Toutefois, ceux-ci sont-ils réellement à l’abri de l’application des lois fiscales? Pas du tout. Et les trafiquants l’apprennent souvent à leurs dépens.

Une activité criminelle, mais imposable!

Le régime fiscal ne fait effectivement aucune distinction entre une activité légale et une activité illégale (65302 British Columbia Ltd.). Tel que l’a réitéré la Cour canadienne de l’impôt dans Ouellette, les revenus de toutes sources, même illicites, comme la vente de cannabis, demeurent assujettis à l’application des lois fiscales, y compris aux fins des taxes de vente.

Un contribuable qui fait la culture et la vente illicite de cannabis devrait donc déclarer tous les revenus provenant de la vente de ses produits. Par ailleurs, aussi étonnant que cela puisse paraître, si certaines dépenses ont été engagées pour lui permettre de gagner ses revenus (équipement nécessaire à la culture, consommation d’électricité, engrais, etc.), il serait en droit de les déduire dans le calcul de son revenu (65302 British Columbia Ltd.).

Un trafiquant devrait également percevoir les taxes de vente sur les fournitures ainsi vendues et les remettre aux autorités fiscales, au même titre que tout autre commerçant.

Qu’en est-il si le trafiquant ne déclare pas ses revenus ?

Évidemment, les trafiquants ne s’empressent généralement pas de déclarer leurs revenus provenant d’activités commerciales illégales. Cela dit, malgré une déclaration de revenus inexistante ou incomplète, dans laquelle un contribuable aurait omis de dévoiler certains revenus, les autorités fiscales ne sont pas sans recours.

En effet, si un trafiquant avait intentionnellement omis de déclarer des revenus et de percevoir les taxes de vente, les autorités fiscales pourraient lui délivrer de nouveaux avis de cotisation, même plusieurs années plus tard.

Ces nouvelles cotisations découlent très souvent des renseignements obtenus par les autorités fiscales à la suite d’enquêtes policières. Très récemment, dans Leroux, après avoir effectué des perquisitions dans 2 immeubles dont le demandeur était copropriétaire, les autorités policières ont informé l’Agence du revenu du Québec (ARQ) des activités de production de cannabis de ce dernier. Ces informations ont alors permis à l’ARQ de conclure que le contribuable avait omis de déclarer des revenus de plus de 3 millions de dollars découlant du commerce de cannabis, sur une période de 4 ans.

Latitude pour les autorités fiscales

Afin de déterminer le montant des revenus imposables non déclarés et de manière à représenter le plus fidèlement possible la réalité économique du contribuable, les autorités fiscales bénéficient d’une grande latitude, comme le rappelait la Cour d’appel du Québec dans Chenel :

[30] […] Face à une déclaration inexacte, irréaliste ou non conforme (voire inexistante), l’État peut tenter de deviner la véritable ampleur d’une valeur donnée. Bien entendu, il devra éviter la pure fantaisie. Des pratiques de comptabilité préjudiciables seraient une forme intolérable d’abus administratif. Toutefois, la marge de manœuvre est large et les conclusions du ministère sont présumées exactes.

Il s’agit alors de cotisations « arbitraires ». Par exemple, toujours dans Leroux, l’ARQ a notamment utilisé la méthode de prévision des récoltes de cannabis pour arriver à estimer les revenus non déclarés par le demandeur.

Par ailleurs, dans Doan, les nouvelles cotisations délivrées par l’ARQ visaient à ajouter des revenus d’entreprise non déclarés par le demandeur provenant de la production et de la vente de cannabis. Ceux-ci avaient été établis par l’ARQ à partir de faits et d’indices résultant d’éléments de preuve matériels découverts par les policiers dans leur enquête sur les activités du demandeur.

Il est important de rappeler que les avis de cotisation délivrés par les autorités fiscales bénéficient d’une présomption de validité. Il incombe alors aux contribuables qui s’y opposent de faire la démonstration qu’ils sont inexacts afin de la repousser. À défaut, les cotisations seront maintenues.

De lourdes conséquences pour les trafiquants

Peu importe le caractère illicite des revenus touchés par les trafiquants, la vente illégale de cannabis constitue sans aucun doute une activité commerciale à des fins fiscales. Les revenus en provenant demeurent donc pleinement imposables et, au surplus, la vente de cannabis donne lieu à l’application des taxes de vente. Ainsi, malgré la prédominance du marché noir quant à la commercialisation du cannabis, les recettes fiscales qui y sont liées devraient retourner dans les coffres de l’État.

Il va sans dire que les conséquences découlant de telles activités commerciales illicites dépassent largement les seules considérations criminelles et pénales. En effet, quelle que soit l’issue d’une enquête policière ou d’un procès criminel, un trafiquant de cannabis risquera toujours, tôt ou tard, de faire face à ses obligations fiscales.

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