L’annonce du média social Twitter, en novembre 2019, selon laquelle il entendait procéder incessamment à la suppression des comptes des abonnés inactifs a grandement fait réagir la communauté virtuelle. C’est que, pour bon nombre de personnes, les comptes inactifs, appartenant souvent à des usagers décédés, servent de page commémorative et permettent notamment de conserver des souvenirs ou d’atténuer le vide laissé par un départ.
Devant la grogne des internautes, Twitter a d’ailleurs été forcé de revenir sur sa décision quelques jours après l’annonce initiale et à en suspendre la mise en application, dans l’attente de trouver une solution appropriée.
Ce débat a fait ressurgir la problématique de la gestion des données des utilisateurs décédés par les géants du Web et les plateformes technologiques.
En effet, à une époque où l’univers numérique fait indubitablement partie de notre quotidien, une personne accumulera, sa vie durant, un nombre considérable d’éléments d’actif numériques. Non seulement ces éléments sont susceptibles d’avoir une très grande valeur sentimentale, mais ils peuvent évidemment avoir une valeur financières importante. On estimait par exemple en 2017 qu’un Canadien moyen accumulait pendant sa vie des éléments d’actif numériques pouvant totaliser jusqu’à 2 000 $ et que ceux-ci en vaudraient probablement aujourd’hui près de 10 000 $.
En cas de décès, qu’advient-il de vos photos, de votre collection de musique sur iTunes, de vos comptes courriel, de votre profil Facebook, du solde d’un compte PayPal ou encore de la monnaie virtuelle accumulée dans un jeu vidéo? Vos comptes seront-ils protégés? Vous survivront-ils? Vos biens numériques seront-ils transmis à vos héritiers? Ceux-ci pourront-ils au moins avoir un accès à vos comptes pour en récupérer le contenu et en assurer la fermeture?
Il s’agit là d’autant de questions et d’enjeux auxquels l’encadrement législatif actuel ne permet pas toujours de donner des réponses claires.
Des politiques variant d’une entreprise à l’autre
Les traces laissées par une personne sur le Web tout au long de sa vie sont évidemment très nombreuses. La gestion de la pluralité d’éléments d’actif numériques au décès d’une personne n’est donc généralement pas chose simple et peut même s’avérer, selon certains experts, un véritable casse-tête pour les proches du défunt, d’autant plus lorsque celui-ci n’avait rien prévu à cet égard.
Bien que les règles prévues par le Code civil du Québec en matière successorale ne font pas de distinction quant à leur application aux biens virtuels d’une personne, celles-ci pourront s’avérer, en pratique, difficiles à mettre en œuvre.
En effet, retracer et mettre la main sur l’intégralité des comptes créés par une personne de son vivant relèvera parfois du domaine de l’impossible, surtout si le défunt ne les a pas inventoriés avant son décès. Ses proches devront composer avec de multiples comptes et tout autant de mots de passe, possiblement différents les uns des autres par mesure de sécurité.
Le silence du défunt quant à ses éléments d’actif numériques suscitera des questions plus émotives pour les proches. S’entendront-ils pour procéder à la fermeture du compte Facebook de celui qui les a quittés, qui contient des centaines de photos souvenirs, ou voudront-ils plutôt créer une page commémorative en son honneur, comme le réseau le permet?
Finalement, l’application des règles successorales se révélera d’autant plus complexe du fait que les éléments d’actif virtuels d’une personne seront généralement détenus par des tierces parties, à savoir les entreprises technologiques. Un contrat de services est formé avec celles-ci lorsqu’un compte en ligne est créé. Par conséquent, les conditions et les politiques de gestion des données sont propres à chacune d’elles et les entreprises administreront souvent vos données au décès comme elles l’entendront.
En l’absence de consentement clair du défunt, l’accès aux données d’un compte risque d’être complexe pour ses proches, tel qu’il en ressort d’un rapport sur la mort numérique réalisé par Option consommateurs en 2017. En effet, la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé prévoit notamment, à l’article 18.2, une protection des données des usagers qui s’étend plusieurs années après le décès. Ainsi, un fournisseur pourrait par exemple refuser aux héritiers la possibilité de récupérer les courriels personnels ou les photos du défunt pour ne pas contrevenir à ses obligations légales.
Par ailleurs, malgré l’existence de volontés testamentaires d’un défunt permettant à ses héritiers l’accès à ses comptes en ligne, une entreprise pourrait aussi, selon ce qui est prévu à sa politique d’utilisation et sous prétexte de vouloir protéger les renseignements personnels de ses usagers, en refuser l’accès et la récupération des données. Bien que de telles volontés puissent être validement formulées, elles pourraient, selon certains spécialistes, être difficiles à opposer en pratique à un fournisseur numérique lorsque ses conditions d’utilisation prévoient des règles différentes. La récupération des données pourrait alors nécessiter des démarches et des procédures supplémentaires.
Certaines juridictions, comme c’est le cas en France, ont adapté l’encadrement législatif en vigueur pour harmoniser les règles successorales avec les règles en matière de protection de la vie privée et pour simplifier le respect des directives qui seraient émises avant le décès d’une personne quant au traitement de ses données numériques personnelles. En l’absence de pareilles règles au Québec, à l’heure actuelle, l’application des règles successorales s’en trouve donc parfois complexifiée.
Des précautions s’imposent
Évidemment, certaines mesures peuvent être prises avant le décès pour atténuer, du moins en partie, le fardeau qui sera laissé à vos proches.
Dresser un bilan de tous ses éléments d’actif numériques et de ses mots de passe ou encore se renseigner en détail sur les politiques d’utilisation de chacun de ses fournisseurs de comptes en ligne pourrait vous éviter bien des surprises et vous permettre de formuler des volontés réalistes quant à la gestion de ce patrimoine au décès.
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