Le 5 novembre dernier, la Cour supérieure a cassé un jugement de la Cour du Québec qui avait conclu que les articles 16, 116 et 117 de la Loi sur la sécurité privée étaient inapplicables à l’égard des intimés conformément à la doctrine de la prépondérance fédérale.

Le Directeur des poursuites criminelles et pénales reprochait au défendeur d’avoir exercé une activité de sécurité privée sans être titulaire d’un permis d’agent de la catégorie correspondant à cette activité en violation de l’article 116 de la loi.

La société défenderesse, Services maritimes Québec inc. (SMQ), était accusée d’avoir enfreint l’article 117 de la loi en ayant à son service une personne visée par l’article 16 de la loi qui n’était pas titulaire d’un permis d’agent conformément à cet article.

SMQ est une société constituée en vertu de la Loi canadienne sur les sociétés par actions qui exerce ses activités dans le secteur maritime, notamment au terminal de Pointe-au-Pic, à La Malbaie. Le défendeur était un employé de cette dernière qui s’occupait de surveiller et de contrôler l’accès à cette installation portuaire.

Le juge de première instance a conclu que SMQ était une entreprise relevant de la compétence exclusive du Parlement fédéral en matière de navigation et de bâtiments ou navires, car sa seule et unique activité consistait à offrir des services de débardage à des navires transatlantiques (art. 92 paragr. 10 de la Loi constitutionnelle de 1867).

Deux notions importantes dans cette affaire: doctrine de l’exclusivité des compétences et doctrine de la prépondérance fédérale

La Cour suprême du Canada explique ainsi la première notion dans PHS Community Services Society, au paragraphe 58 :

La doctrine de l’exclusivité des compétences repose sur la prémisse que les chefs de compétence prévus aux art. 91  et 92  de la Loi constitutionnelle de 1867 ont un «contenu minimum élémentaire et irréductible», qui doit être protégé contre l’ingérence de l’autre ordre de gouvernement: Bell Canada c. Québec (Commission de la santé et de la sécurité du travail), [1988] 1 R.C.S. 749, p. 839. S’il est établi que la doctrine de l’exclusivité des compétences trouve application, la mesure législative adoptée par l’autre ordre de gouvernement demeure valide, mais ne s’applique pas à l’égard de ce «contenu essentiel».

En ce qui concerne la seconde notion, le juge de la Cour supérieure l’explique en termes simples :

[108] Rappelons que la doctrine de la prépondérance fédérale vise une situation dans laquelle une loi fédérale et une loi provinciale entrent en conflit, bien qu’elles soient toutes deux valides et applicables. En pareil cas, la loi provinciale pourra être déclarée inopérante dans la mesure où elle est incompatible avec la loi fédérale.

[109] Une incompatibilité existe lorsque l’on est en présence d’un « conflit véritable » d’application entre la loi fédérale et la loi provinciale faisant en sorte qu’il est impossible de se conformer aux deux lois. L’ajout de conditions supplémentaires dans une loi provinciale à celles prévues par une loi fédérale n’engendre pas de conflit donnant ouverture à la doctrine de la prépondérance fédérale, tout comme un dédoublement de normes semblables au niveau provincial et fédéral.

[110] L’objectif étant que chaque pallier de gouvernement puisse agir dans les sphères de sa compétence, il incombe à celui qui invoque cette doctrine de démontrer le conflit entre les deux lois en établissant l’impossibilité de se conformer à celles-ci ou que l’application de la loi provinciale nuise à la réalisation de l’objet de la loi fédérale.

Doctrine de l’exclusivité des compétences en première instance

Appliquant la doctrine de l’exclusivité des compétences, le juge de la Cour du Québec conclut que «[…] les mesures normatives prescrites par la LSP et ses règlements constituent une entrave grave au contenu minimum et essentiel à la compétence exclusive du Parlement fédéral en matière maritime. Ces mesures empêchent l’entreprise fédérale de débardage, SMQ, de procéder librement à l’embauche, au licenciement et à la formation de ses employés de sûreté et de sécurité, partie indispensable à la gestion et l’exploitation de son entreprise» (paragr. 133).

Doctrine de la prépondérance fédérale en première instance

En ce qui concerne la doctrine de la prépondérance fédérale, le juge de la Cour du Québec affirme que «[…] la sûreté maritime que SMQ se charge d’assurer fait partie intégrante de ses activités de débardage sur le terminal portuaire de Pointe-au-Pic. Ayant pour objet la gestion et le contrôle des services de sécurité privée, l’application de la LSP à une entreprise de débardage œuvrant sur un tel terminal portuaire constitue une entrave grave à l’intention législative fédérale» (paragr. 146).

Or, la Cour supérieure vient corriger le tir.

Elle rappelle que, «pour se qualifier comme entreprise de juridiction fédérale, il ne suffit pas d’alléguer que SMQ offre des services de débardage à des navires transatlantiques, puisqu’une telle activité ne constitue pas « en soi » une activité relevant directement d’un champ de compétence du Parlement fédéral en vertu de l’article 92 (10) de la Loi constitutionnelle» (paragr. 51).

Selon la Cour supérieure, le juge de la Cour du Québec a commis une erreur de droit et il aurait dû conclure que SMQ n’avait pas démontré qu’elle était une entreprise relevant de la compétence du Parlement du Canada par l’intermédiaire de la compétence directe ou dérivée et qu’elle devait être considérée comme une entreprise de compétence provinciale.

Doctrine de l’exclusivité des compétences en appel

La Cour supérieure ne voit pas comment «un régime visant à s’assurer que les titulaires d’un permis d’agent de sécurité se qualifient pour l’obtention d’un tel permis et fassent preuve de probité pour le garder, puisse constituer une entrave au contenu essentiel et vital de la compétence fédérale en matière de navigation, bâtiments ou navires, plus particulièrement quant à l’application des règles de sûreté dans le domaine maritime» (paragr. 91).

Doctrine de la prépondérance fédérale en appel

La Cour supérieure a conclu que l’existence d’un corpus réglementaire fédéral en matière de sécurité et de transport maritimes n’était pas compromise par l’adoption de règles provinciales qui régissent les bonnes mœurs et la qualification des agents de sécurité, tout en leur donnant une formation adéquate qui assure leur compétence professionnelle et la protection du public.

Aucune disposition fédérale particulière qui serait en conflit avec une disposition de la Loi sur la sécurité privée n’a été relevée et aucune impossibilité de se conformer à de telles dispositions n’a été démontrée.

Ainsi, les articles de la loi québécoise sont bel et bien opposables aux protagonistes de cette affaire et, le juge de première instance ayant reconnu que tous les éléments constitutifs des infractions avaient été démontrés, ils sont déclarés coupables, recevant respectivement des condamnations à verser des amendes de 500 $ et de 150 $.

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