Le 27 novembre dernier, la Cour d’appel a confirmé en majeure partie un jugement de la Cour supérieure qui avait accordé une somme de quelques millions de dollars à une conjointe de fait pour enrichissement injustifié.

Les faits

En 1997, l’union de fait des parties débute alors qu’elles ont toutes deux des revenus modestes. En 2000, monsieur se lance en affaires à son compte et madame, en plus de prendre soin de leurs 2 enfants et de s’occuper de la maisonnée, travaille pour soutenir la famille. En 2007, les efforts de monsieur portent leurs fruits et ses entreprises deviennent hautement profitables.

Dès lors, monsieur décide de ralentir son rythme de travail et de profiter de la vie. Par ailleurs, alors qu’il commence à envisager une séparation, il se montre insistant pour que madame conserve son emploi, craignant qu’elle ne devienne autrement dépendante de lui financièrement.

En 2012, monsieur vend l’une de ses compagnies, ce qui lui rapporte personnellement 17 millions de dollars. Quelques mois plus tard, il informe madame qu’il la quitte.

Madame réclame 3,5 millions de dollars, invoquant un enrichissement injustifié de monsieur pendant la vie commune. Elle soutient avoir directement participé à sa réussite à accumuler un actif de 17 millions en date de la séparation. Monsieur, pour sa part, refuse systématiquement de lui reconnaître quelque contribution que ce soit à son succès en affaires.

Le jugement de la Cour supérieure

Le juge Robert Mongeon rappelle tout d’abord, citant l’arrêt Kerr c. Baranow, que l’absence de législation applicable aux conjoints de fait au Québec ne signifie pas qu’il y a absence de droits ou d’obligations d’un conjoint envers l’autre.

Dans le cas des parties, il note qu’elles ont participé à l’élaboration d’un projet de vie commune au cours duquel l’enrichissement de monsieur s’est réalisé en totalité. L’appauvrissement de madame résulte principalement de son apport en services familiaux et domestiques, lequel a permis à monsieur de se concentrer sur la création du produit qui a mené à son enrichissement. Le juge indique qu’il faut aussi tenir compte de la participation directe de madame, dans la mesure de ses moyens, aux finances du couple alors que monsieur n’avait pas de revenus.

À partir de ces éléments, le juge retient que, sans le soutien de madame dans les années cruciales de croissance qui l’ont rendu multimillionnaire, monsieur n’aurait peut-être jamais atteint le niveau de richesse auquel il est parvenu. Par ailleurs, même si madame a été en mesure d’augmenter sa propre valeur nette pendant l’union, le juge considère que cette augmentation n’est pas comparable à celle connue par monsieur.

Le juge conclut que madame serait adéquatement indemnisée par l’attribution d’une somme équivalant à 20 % de la valeur nette de monsieur à la date de la séparation, en tenant pour acquis que les valeurs nettes des 2 parties au début de leur union s’équivalaient et que les efforts disproportionnés de madame ont été fournis de 2000 à 2007. Il fixe cette indemnité sur la base de la valeur accumulée, c’est-à-dire de l’augmentation globale de la richesse du couple pendant l’union. Il justifie ce choix par le fait que les parties se seraient investies dans une entreprise commune familiale. L’indemnité accordée s’élève à 3,4 millions de dollars, somme qui est rajustée à 2,3 millions pour tenir compte des contributions de monsieur à la valeur nette de madame pendant la vie commune.

L’arrêt de la Cour d’appel

En appel, monsieur reproche principalement au juge Mongeon d’avoir instauré l’équivalent d’un régime de droit aux conjoints de fait en faisant appel à des notions de droit étrangères au droit civil, argument qui a été écarté.

En matière d’enrichissement injustifié, le droit civil a puisé dans ses propres sources les notions d’équité qui permettent de répondre à des situations qui seraient considérées comme étant injustes. Les conditions d’application du recours en enrichissement injustifié ont ensuite été codifiées aux articles 1493 et ss. du Code civil du Québec. Quant aux notions de «coentreprise familiale» et de «valeur accumulée», elles ne sont pas étrangères non plus au droit civil.

Au terme de son analyse, la Cour d’appel retient que monsieur a quitté la relation avec une part disproportionnée de la richesse qui avait été accumulée grâce aux efforts communs des parties, alors que ceux de madame n’ont pas été compensés à leur juste valeur. C’est à cet égard que l’on constate un appauvrissement.

La Cour reconnaît aussi l’existence d’une coentreprise familiale. Dès 2000, les parties ont mis en place un projet de vie dans le but commun non seulement de fonder une famille, mais aussi d’arriver à un certain résultat, soit de partager la richesse créée ensemble. Il s’agissait de leur intention réelle et, pour y arriver, madame s’est occupée des besoins de la famille afin de libérer monsieur pour qu’il puisse s’investir entièrement dans ses entreprises.

Enfin, la Cour confirme le recours à la méthode de la valeur accumulée pour fixer l’indemnité à accorder à madame.

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