Bien qu’il ne soit pas toujours facile de suivre l’évolution constante de la jurisprudence, SOQUIJ veille au grain.

Voici donc, en rafale, quelques décisions rendues dernièrement par le Tribunal administratif du travail, Division de la santé et de la sécurité du travail, qui ont attiré notre attention.

La lésion psychologique:

Dans cette décision (M.D.), le Tribunal a reconnu une lésion psychologique, en l’occurrence une dépression majeure et un trouble lié à l’usage d’alcool et d’opioïdes, chez un préposé aux bénéficiaires dans un CHSLD. Ce dernier avait été victime de propos et d’attouchements de nature sexuelle par un résident qui souffrait notamment de démence mixte engendrant des difficultés comportementales. Le Tribunal a précisé que, bien qu’il ait été de connaissance notoire que le résident en question présentait une désinhibition importante, il n’en demeurait pas moins qu’un attouchement sexuel non désiré, tel que l’avait subi le travailleur, ne pourra jamais être qualifié de «prévisible». Il a également souligné que, peu importe le milieu de travail en cause et sa vocation, une agression sexuelle ne saurait jamais être banalisée et reléguée au rang d’événement courant, et ce, même si plusieurs personnes en avaient été victimes. Le Tribunal a ajouté que, bien qu’il ait été possible de qualifier les agissements du résident d’usuels dans le milieu de travail, il aurait été de la responsabilité de l’employeur de protéger adéquatement l’équilibre psychique de ses travailleurs, ce qui n’avait pas été fait en l’espèce.

L’accident «à l’occasion du travail»:

Contrairement à la décision ayant déjà fait l’objet de l’un de mes billets de blogue, dans cette décision (Machinerie Serge Lemay inc.), un accident «à l’occasion du travail» a été reconnu malgré l’usage d’un téléphone cellulaire lors de l’événement. Dans cette affaire, alors que la cloche annonçant le début de la pause-santé avait sonné et que la travailleuse se dirigeait vers l’aire de repos tout en consultant son téléphone cellulaire, elle a trébuché sur le pôle d’une remorque et est tombée. Le Tribunal a retenu que l’activité principalement exercée par la travailleuse était celle de se déplacer vers l’aire de repos, soit une activité relevant de sa sphère professionnelle. Il a souligné que l’activité de regarder son téléphone cellulaire était une activité personnelle secondaire, qui n’était pas venue remplacer l’activité principale exercée par la travailleuse. L’argument de l’employeur, qui imputait la responsabilité complète de l’accident à la distraction de la travailleuse, n’a pas été retenu. Le Tribunal a rappelé que les droits conférés par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP) le sont sans égard à la responsabilité de quiconque.

L’indemnité de décès:

Dans cette décision (Walker), l’épouse du travailleur a contesté avec succès la décision de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) ayant déclaré qu’elle n’avait pas droit à l’indemnité de décès au motif qu’elle n’avait pas démontré qu’elle cohabitait avec le travailleur au moment de son décès. Le Tribunal a retenu d’une décision rendue en 2009 (Nerdjar (Succession de)) que la notion de «cohabitation» constituait essentiellement une question de fait qui imposait une analyse des circonstances précises concernant les habitudes particulières de 2 personnes. Il a souligné que la notion de «cohabitation» devait s’interpréter de façon large, libérale et avec souplesse. Il a ajouté qu’il fallait tenir compte des réalités modernes et des nouvelles façons pour les couples de vivre leur relation et chercher à comprendre leur mode de fonctionnement. Dans ce cas d’espèce, même si le couple ne résidait pas à la même adresse au moment du décès du travailleur, le Tribunal a conclu que le couple n’avait jamais eu d’intention réelle de rupture ou de mettre fin définitivement à leur relation. Ils étaient demeurés dans les faits présents l’un pour l’autre physiquement et émotionnellement.

La négligence grossière et volontaire:

Dans cette affaire (Briques et cie maçonnerie inc.), le travailleur, un briqueteur-maçon sur un chantier de construction, avait fait une chute en hauteur alors qu’il avait retiré les garde-corps d’un échafaudage et installé des madriers en porte-à-faux. L’argument de l’employeur voulant que ce dernier ait fait preuve de négligence grossière et volontaire en contrevenant au Code de sécurité pour les travaux de construction n’a pas été retenu. Le Tribunal a en effet rappelé que l’employeur demeurait le premier responsable de s’assurer du respect de ces normes sur le chantier.

Cannabis médical:

Dans cette affaire (Tardif), le travailleur contestait une décision de la CNESST ayant notamment refusé de lui rembourser le coût du cannabis médical au motif que la prescription du médecin qui a charge ne mentionnait pas la concentration en THC du cannabis prescrit. L’argument de la CNESST selon laquelle la prescription n’était pas conforme au Règlement sur les normes relatives aux ordonnances faites par un médecin a été écarté. Le Tribunal a plutôt retenu que la solution du litige se trouvait dans la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. En effet, il a été d’avis que la question de la dose et de la concentration d’un médicament fait partie de «la nature, la suffisance ou la durée des soins ou des traitements administrées ou prescrits» au sens de l’article 212 LATMP et, à plus forte raison, de «toute question relative à la lésion» sur laquelle le médecin désigné par la CNESST peut donner son avis conformément à l ‘article 204 LATMP. Dans cette affaire, la CNESST, qui n’avait pas réclamé l’avis de son médecin désigné sur le sujet et n’avait pas utilisé la procédure d’évaluation médicale, était liée par l’avis du médecin qui a charge. Ainsi, le Tribunal a déclaré que le travailleur avait droit au remboursement du cannabis médical réclamé.

Le retrait préventif d’un technicien-ambulancier en raison de l’exposition à un contaminant, le coronavirus SARS-CoV-2:

Dans cette affaire (Cinq-Mars), le Tribunal a conclu que la preuve médicale prépondérante démontrait que la maladie de Crohn, traitée par un immunomodulateur, altérait l’état de santé du travailleur et que son travail de technicien ambulancier l’exposait à un contaminant, soit le coronavirus SARS-CoV-2, qui comportait pour lui des dangers puisqu’il ne pouvait respecter les règles sanitaires mises en place par le gouvernement du Québec. Il a toutefois souligné que sa décision ne devait pas recevoir une application mutatis mutandis envers tous les techniciens-ambulanciers, le personnel médical ou l’ensemble des travailleurs, peu importe le secteur d’activés, chaque cas demeurant un cas d’espèce.

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