Dans Turbide Labbé c. Ministère de la Sécurité publique, la Cour d’appel a rendu un arrêt soulignant que des normes non contraignantes de droit international public peuvent être utilisées afin d’interpréter les garanties offertes par la Charte canadienne des droits et libertés.

Une contestation des conditions d’isolement cellulaire

Dans cette affaire, l’appelant est détenu en attente de son procès. Il affirme être en isolement cellulaire depuis 15 mois en date de janvier 2021. Il présente un rapport d’évaluation de sa santé mentale faisant état de périodes de confinement en cellule pouvant aller jusqu’à 23 heures par jour. Ce rapport rappelle que l’isolement cellulaire peut engendrer des conséquences négatives sur la santé après quelques jours seulement, comme l’a indiqué un rapport du Rapporteur spécial du Conseil des droits de l’homme sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants de l’ONU. L’appelant conteste ses conditions de détention et invoque les effets négatifs de ceux-ci sur sa santé mentale. Il allègue que cet isolement enfreint ses droits prévus à la charte ainsi que des normes de droit international.

En première instance, le juge considère que la liberté résiduelle de l’appelant n’a pas été réduite de façon illégale et que celui-ci n’a pas subi de traitement cruel et inusité. Il ordonne toutefois à l’établissement de détention de trouver une solution de rechange aux conditions qui le privent de contacts humains.

Les normes de droit international peuvent servir à évaluer les conditions d’isolement cellulaire

La Cour d’appel, sous la plume du juge Cournoyer, estime que le juge de première instance n’a pas pleinement étudié la requête de l’appelant. Selon elle, le juge n’a pas évalué les conditions de son isolement cellulaire à la lumière de l’Ensemble des règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus, aussi connues sous le nom de «règles Nelson Mandela».

Les règles Nelson Mandela établissent «les principes et les règles d’une bonne organisation pénitentiaire et de la pratique du traitement des détenus». Comme leur nom l’indique, elles sont des garanties minimales à respecter. Elles prévoient notamment l’interdiction de l’isolement cellulaire pour les prisonniers vivant avec une incapacité mentale ou dont l’état pourrait s’aggraver en raison de l’isolement.

Ce n’est pas la première fois que ces règles ont été invoquées pour remettre en question des conditions d’isolement cellulaire. Tel qu’il est indiqué dans l’arrêt, les cours d’appel de l’Ontario et de la Colombie-Britannique ont précédemment conclu que certains articles de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, une loi fédérale, étaient inconstitutionnels. À titre d’exemple, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a considéré que l’isolement cellulaire avait une portée excessive parce que la loi ne prévoyait pas de limite à sa durée. Dans ces affaires, les cours ont eu recours aux règles Nelson Mandela dans leur analyse des articles de la charte. Des modifications à la loi fédérale ont été apportées depuis ces décisions.

Au Québec, l’arrêt de la Cour d’appel pourrait avoir des répercussions sur l’usage de l’isolement cellulaire et ses conditions d’application. En effet, la Loi sur le système correctionnel du Québec et son règlement d’application ne prévoient pas de disposition particulière encadrant l’isolement cellulaire utilisé afin d’assurer la sécurité dans un établissement de détention. Or, les règles Nelson Mandela  prévoient des conditions à l’application de cette mesure et réclament l’interdiction de l’isolement cellulaire pour une durée indéterminée.

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