Le monde du travail évolue rapidement. Notamment, plusieurs employeurs misent dorénavant sur le bien-être des travailleurs. Le télétravail, des horaires allégés ou flexibles, la pratique d’activités physiques et sociales sur les lieux du travail ne sont que quelques exemples de conditions de travail qui sont maintenant offertes par certains employeurs.
Non seulement le bien-être au travail permet aux employeurs d’attirer des candidats et permet la rétention de ses travailleurs, mais il réduit le stress, augmente la productivité, diminue l’absentéisme, etc.
Chacun y trouve son compte.
En période de pénurie de main-d’œuvre et avec l’arrivée dans le monde du travail de la génération Z (soit les personnes nées entre 1995 et 2009), qui voit le travail différemment des générations précédentes, les employeurs devront certainement faire preuve d’imagination relativement aux conditions de travail offertes.
Mais il y a un prix à tout ça. On peut certes penser que de plus en plus d’accidents «à l’occasion du travail» seront reconnus.
La notion des accidents survenus «à l’occasion du travail» n’est pas définie dans la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. La jurisprudence a plutôt déterminé des critères afin de guider le Tribunal dans son analyse. On voit une certaine évolution chez les décideurs dans l’application de ces critères. En outre, l’activité exercée par le travailleur au moment de la blessure est vue de manière plus globale.
Tout récemment, le Tribunal administratif du travail s’est prononcé sur la survenance d’un accident «à l’occasion du travail» dans des circonstances plutôt inhabituelles.
Le contexte
La travailleuse occupait un poste de répartitrice médicale d’urgence pour la Corporation d’Urgences-Santé. L’employeur fournit à ses employés des pédaliers et les encourage à les utiliser afin de diminuer le stress au travail. D’ailleurs, des kinésiologues sont à son service pour promouvoir l’activité physique.
Le jour de l’événement, la travailleuse avait utilisé le pédalier mis à sa disposition par l’employeur durant environ 1 heure tout en travaillant. Avant de dîner, elle est allée prendre une douche sur l’étage de l’édifice où elle travaille. C’est à ce moment que la travailleuse s’est blessée.
A-t-elle subi un accident «à l’occasion du travail»? La réponse est oui.
Décision
La travailleuse se trouvait dans sa sphère professionnelle lorsqu’elle pédalait, mais là n’était pas la question. La question qui se posait était plutôt de savoir si la travailleuse exerçait une activité personnelle lorsqu’elle a décidé de prendre sa douche au début de sa pause repas non rémunérée.
Bien que l’employeur n’ait pas mentionné expressément que les travailleurs utilisant le pédalier devaient prendre une douche avant de continuer leur quart de travail, il n’avait pas non plus émis de directives interdisant de se laver après l’activité.
Le Tribunal a retenu que le fait de prendre une douche était au bénéfice de l’employeur, car il aurait été difficile pour la travailleuse de demeurer à son poste après l’activité physique, alors que plusieurs collègues se trouvent à proximité, sans que cela cause des désagréments pour ces derniers. Il s’agissait d’un geste de civisme et de respect envers les collègues de la travailleuse.
L’employeur a tenté de faire valoir que le fait de prendre une douche était un privilège offert à ses travailleurs, et non une condition de travail. Le Tribunal a souligné que cette qualification était peu utile puisqu’il s’agissait plutôt d’évaluer si la travailleuse se trouvait dans sa sphère d’activités personnelles ou dans sa sphère d’activités professionnelles lors de l’événement. Il a conclu que la travailleuse n’avait jamais quitté sa sphère professionnelle. Le fait de prendre une douche était accessoire à l’activité d’utiliser le pédalier. Un accident «à l’occasion du travail» a ainsi été reconnu.
Il est assez étonnant que la CNESST ait décidé de ne pas considérer cet accident comme étant un accident de travail et manifestement la travailleuse a bien fait de contester cette décision auprès du Tribunal du travail.
Ceci dit, le Tribunal a statué que la travailleuse n’avait jamis quitté sa sphère professionnelle et que le fait de prendre sa douche était accessoire à l’activité d’utiliser le pédalier fourni par l’employeur. La sueur a aussi joué un rôle dans la mesure où l’odeur de la transpiration aurait pu incommoder les autres travaileurs.
Mais qu’en est-il des travailleurs qui oeuvrent en télétravail depuis leur résidence et qui se blesseraient en faisant un exercice physique durant leurs heures de travail pour contrer le stress?
Compte tenu de la grande popuarité du télétravail, j’aimerais lire de plus nombreuses décisions en matière d’accidents de travail ou de lésions qui se sont produits à la maison ou dans un autre lieu, comme par exemple un véhicule récréatif.
Ma peur est que les employeurs mettront de moins en moins plus d’accommodements pour leurs travailleurs de peur qu’ils se blessent avec les dits équipements mis à leur disposition et qu’ils cesseront d’utiliser des travailleurs qui œuvrent à leur domicile.
Nous en sommes qu’au début des décisions rendues à la CNESST et déjà comment ne pas être effrayé des décisions à venir.
Bonjour,
Je lis toujours les chroniques de soquij. Vos explications sont très claires et éclairantes. Je souscris à la décision finale du tribunal. Je ne crains pas que le verdict limite les privilèges donnés par les travailleurs mais je crois, dans mon rôle de DRH, qu’il contribuera à compléter l’information aux employeurs lui permettant de tout mettre en oeuvre pour la sécurité et surtout la rétention de ses employés, considérant les coûts d’embauche, de formation, et de sentiment d’appartenance qui sont le lot des employeurs.