Quelle est l’étendue des pouvoirs de la Cour du Québec, Chambre de la jeunesse, en vertu de l’article 91 de la Loi sur la protection de la jeunesse de rendre des ordonnances correctrices à large portée? La Cour d’appel a récemment répondu à cette question.

Les faits

En 2018, l’adolescente en cause, qui est alors âgée de 13 ans et qui souffre de troubles de santé mentale, fait l’objet d’une ordonnance d’hébergement en centre de réadaptation. À l’occasion de ses séjours dans 2 unités, elle se voit imposer de multiples mesures d’isolement et de contention. Ce sont ces mesures qui amènent l’adolescente et ses parents à déposer une demande en lésion de droits en vertu de l’article 91 in fine de la Loi sur la protection de la jeunesse. Cette disposition prévoit que, si le tribunal en vient à la conclusion que les droits d’un enfant en difficulté ont été lésés par des personnes, des organismes ou des établissements, il peut ordonner que soit corrigée la situation.

Les instances précédentes

La Cour du Québec, Chambre de la jeunesse, déclare que les droits de l’adolescente ont été lésés. Ces déclarations sont notamment en lien avec les multiples mesures dont elle a fait l’objet, dont:

  • Des épisodes où l’adolescente s’est frappé la tête sur les murs de béton de salles d’isolement de petites dimensions, défraîchies et dépourvues de matériel de protection;
  • Des épisodes où la tête de l’adolescente a été recouverte d’un chandail lorsqu’elle a été transportée, afin de l’empêcher de cracher sur les agents d’intervention, lui causant des difficultés respiratoires et de l’hyperventilation.

À titre de mesures correctrices, le Tribunal ordonne:

  • que les intervenants, éducateurs et agents d’intervention qui travaillent dans les unités de traitement individualisé puissent recevoir une formation particulière en santé mentale (ordonnance n1);
  • que ces unités puissent bénéficier du soutien d’un professionnel de la santé spécialisé en santé mentale (ordonnance n2);
  • que le Centre intégré de santé et de services sociauxA (CISSS A) mette en place un protocole dans un délai raisonnable pour déterminer la marche à suivre lorsqu’un enfant crache lors d’une intervention (ordonnance n3); et
  • qu’il adapte toutes les salles d’isolement afin qu’elles soient plus sécuritaires et que les murs soient recouverts d’un matériau empêchant les blessures (ordonnance n4).

La Cour supérieure accueille en partie un appel de la Directrice de la protection de la jeunesse (DPJ). Étant d’avis qu’il doit exister un lien entre l’ordonnance prévoyant une mesure correctrice et l’enfant dont les droits ont été lésés, elle modifie les ordonnances pour qu’elles soient reliées directement à l’adolescente.

L’arrêt de la Cour d’appel

Pour les juges majoritaires, bien que la Loi sur la protection de la jeunesse soit une loi réparatrice qui, à ce titre, doit recevoir une interprétation large et libérale, cela ne suffit pas pour interpréter l’article 91 in fine comme permettant au juge de rendre des ordonnances de portée générale qui imposent à des établissements ou à des organismes publics d’aménager ou de transformer des espaces et d’en supporter les coûts.

Toujours selon ces juges, le législateur, par cette disposition, accorde le pouvoir de rendre des ordonnances destinées à corriger la situation lésionnaire dans laquelle un enfant est placé, mais non celui de s’immiscer dans la gestion des ressources humaines, matérielles et financières des établissements et des organismes du réseau. L’ordonnance doit donc être suffisante pour empêcher que la situation lésionnaire dans laquelle se trouve l’enfant ne se poursuive ou ne se répète, mais sans aller au-delà de ce qui est nécessaire ni s’immiscer dans la gestion des ressources dont disposent les établissements ou les organismes en cause.

Par conséquent, les ordonnances rendues par la Cour du Québec allaient au-delà de la situation de l’adolescente et, en ce sens, elles avaient une portée trop grande.

Pour le juge dissident, bien qu’il doive exister un lien entre l’ordonnance prévoyant une mesure correctrice et l’enfant dont les droits ont été lésés, il n’est pas obligatoire que la mesure réparatrice s’applique uniquement à l’enfant victime de la lésion.

Selon lui, les 2 premières ordonnances avaient une portée trop large et n’avaient pas un lien direct avec l’adolescente, de sorte qu’une révision s’imposait. Quant aux ordonnances nos 3 et 4, leur portée générale était tout à fait justifiée dans les circonstances pour empêcher que la situation lésionnaire ne se reproduise.

Le juge relève néanmoins une erreur de droit quant aux ordonnances nos 3 et 4, soit le fait qu’elles auraient dû être dirigées contre la DPJ plutôt que contre le CISSS A, qui n’était pas officiellement partie aux procédures. Les juges majoritaires, d’accord avec le juge dissident sur ce point, rectifient les 2 ordonnances en conséquence.

Finalement, il est donc ordonné:

  • que les intervenants, éducateurs et agents d’intervention qui auront la charge de l’adolescente dans les unités de traitement individualisé puissent recevoir une formation particulière en santé mentale (ordonnance no1, modifiée par la Cour supérieure);
  • que ces unités qui auront la charge de l’adolescente puissent bénéficier du soutien d’un professionnel de la santé spécialisé en santé mentale (ordonnance no2, modifiée par la Cour supérieure);
  • que la DPJ mette en place un protocole dans un délai raisonnable pour déterminer la marche à suivre lorsque l’adolescente crache lors d’une intervention (ordonnance no3, modifiée par la Cour supérieure et rectifiée par la Cour d’appel); et
  • qu’elle adapte toutes les salles d’isolement afin qu’elles soient plus sécuritaires pour l’adolescente et que les murs soient recouverts d’un matériau empêchant les blessures chez l’adolescente (ordonnance no4, modifiée par la Cour supérieure et rectifiée par la Cour d’appel).
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