En 2021, le projet de Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français, connu comme le projet de loi 96, a été déposé à l’Assemblée nationale. Ce projet de loi proposait notamment diverses mesures de renforcement du français à titre de langue de la législation et de la justice au Québec. La Cour supérieure a déjà été saisie de demandes visant certaines de ces mesures. Voici un bref retour sur 3 jugements qu’elle a rendus.

La sélection des candidats à la fonction de juge

Depuis 2005, des exigences liées à la connaissance ou à la maîtrise de la langue anglaise sont formulées dans plusieurs avis de sélection des candidats à la fonction de juge à la Cour du Québec, suivant les besoins exprimés par les occupants de la fonction de juge en chef de la Cour du Québec.

En 2020, l’actuel ministre de la Justice entre en fonction et une controverse s’installe quant à savoir qui a le mot final pour décider si l’on exige ou non la maîtrise de l’anglais dans les avis publiés. Ainsi, le ministre refuse d’inclure cette exigence dans certains avis ‑ malgré un besoin exprimé en ce sens par la juge en chef ‑ et donne instruction à la Secrétaire à la sélection des candidats à la fonction de juge de ne pas indiquer une telle exigence dans les avis devant être publiés.

En 2021, lors de son dépôt, le projet de loi 96 propose les mesures suivantes devant se trouver à l’article 12 de la Charte de la langue française:

  1. Il ne peut être exigé de la personne devant être nommée à la fonction de juge qu’elle ait la connaissance ou un niveau de connaissance spécifique d’une langue autre que la langue officielle sauf si le ministre de la Justice et le ministre de la Langue française estiment que, d’une part, l’exercice de cette fonction nécessite une telle connaissance et que, d’autre part, tous les moyens raisonnables ont été pris pour éviter d’imposer une telle exigence.

Dans un premier jugement, rendu au début de 2022, le juge Christian Immer casse les avis publiés sans l’exigence d’une maîtrise de la langue anglaise. En effet, il conclut que le Règlement sur la procédure de sélection des candidats à la fonction de juge de la Cour du Québec, de juge d’une cour municipale et de juge de paix magistrat écarte le ministre du processus d’administration de la sélection des candidats au profit d’un secrétariat indépendant et que c’est la Secrétaire qui publie l’avis en tenant compte des besoins exprimés par la juge en chef. Le ministre ne peut intervenir dans ce processus pour écarter les besoins communiqués.

En réponse à ce jugement, le gouvernement modifie le projet de loi 96. D’une part, il veut assurer que le principe prévu à l’article 12 de la charte soit aussi inscrit à la Loi sur les tribunaux judiciaires et au règlement. D’autre part, il veut modifier le processus de sélection des juges pour écarter toute intervention de la magistrature dans le processus.

Quelques mois après l’entrée en vigueur de la Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français, un pourvoi en contrôle judiciaire a été entrepris pour réclamer que les dispositions de la Charte de la langue française, de la Loi sur les tribunaux judiciaires et du règlement soient déclarées nulles, invalides, inconstitutionnelles et inopérantes. Le pourvoi vise aussi un avis de sélection qui ne fait aucune mention de l’anglais, malgré le fait que la juge en chef avait exprimé le besoin qu’il y soit précisé l’exigence de la maîtrise de l’anglais pour un poste à pourvoir à la Chambre de la jeunesse dans la région de coordination de la Montérégie. Le sursis de l’exécution de cet avis est demandé et c’est sur cette question qu’un jugement est rendu.

Le juge Immer détermine tout d’abord que la contestation de la validité de l’avis soulève des questions sérieuses en lien avec le caractère ultra vires de l’avis et la validité des modifications. Ensuite, il retient que la probabilité qu’un préjudice irréparable soit subi autant en ce qui concerne l’administration de la Chambre de la jeunesse en Montérégie que par les justiciables et les parties intéressées qui comparaissent devant cette chambre a été prouvée. Le préjudice est évident en ce qui a trait aux répercussions de la nomination d’un juge qui ne connaît pas l’anglais sur les adolescents et les parents, et tout particulièrement sur les adolescents et les parents mohawks. Enfin, le juge conclut que le critère de la prépondérance des inconvénients favorise les demandeurs. En effet, si un juge qui ne connaît pas l’anglais est nommé, même si les demandeurs ont gain de cause sur le fond, la Cour du Québec et les justiciables devront composer avec un juge qui ne pourra exécuter une grande partie des fonctions pour lesquelles il a été nommé, et ce, de façon inamovible. Il note aussi que rien n’empêche un candidat unilingue francophone de soumettre sa candidature pour pourvoir un poste de juge dans une région où la maîtrise de l’anglais n’est pas une exigence.

À noter que le 23 février dernier la Cour d’appel a accordé au procureur général du Québec la permission d’appeler de ce dernier jugement.

Le dépôt d’actes de procédures par une personne morale

Avec l’entrée en vigueur de la loi, les articles 9 et 208.6 de la charte sont modifiés afin d’établir que tout acte de procédure d’une personne morale rédigé en anglais doit être accompagné d’une traduction française certifiée afin de pouvoir être déposé devant un tribunal.

Un pourvoi en contrôle judiciaire a été introduit afin de faire invalider ces dispositions aux motifs qu’elles sont contraires à l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 et qu’elles créent une barrière empêchant l’accès aux tribunaux pour les personnes morales dont les représentants sont anglophones. La suspension de leur application durant l’instance est demandée et il s’agit de la question qui est examinée par la juge Chantal Corriveau.

Dans un premier temps, la juge détermine que les questions soulevées sont sérieuses. Eu égard au critère du préjudice irréparable, elle retient que la preuve soulève un doute quant au nombre et à la disponibilité de traducteurs qualifiés au Québec qui pourraient rapidement et efficacement traduire des procédures juridiques. L’accès aux tribunaux constitue aussi un enjeu en raison des coûts et des délais qui découlent de l’exigence d’accompagner un acte de procédure d’une traduction française certifiée. En outre, aucun accommodement n’est autorisé en cas d’urgence. Enfin, la juge détermine que le critère de la prépondérance des inconvénients penche en faveur des demandeurs. Non seulement les dispositions contestées risquent de créer un obstacle insurmontable, notamment pour ce qui est des procédures urgentes, mais la question des coûts de traduction tout au long de l’instance mérite une évaluation en ce qui concerne ses conséquences sur l’accès à la justice. De plus, elle note que les demandeurs ont réussi à repousser la présomption selon laquelle la mise en œuvre de ces dispositions sert l’intérêt public.

Elle a donc accueilli la demande de sursis d’application des articles en cause dans l’attente du jugement au fond.

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Rabais en vigueur jusqu’au 24 mars 2023 à midi.

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