Le 18 avril prochain, les avocats Me Guillaume Rousseau et Me Gianluca Campofredano présenteront les principales caractéristiques et conséquences de la réforme de la Charte de la langue française. Pour vous inscrire à ce Rendez-vous SOQUIJ, cliquez ici.
Qu’entend-on par «droit linguistique»?
Me Rousseau: «La plupart du temps, on parle des droits linguistiques. Nous, nous parlons du droit linguistique. Au pluriel, il s’agit d’un ensemble de droits individuels, alors qu’au singulier, ça désigne un tout cohérent regroupant les règles et les principes qui régissent les droits et les obligations liés à l’usage des langues.
Notre droit linguistique est presque unique au monde, car il est autant du droit public que du droit privé. Dans la plupart des pays, le droit linguistique est la langue de l’État seulement. En dehors de la sphère publique, c’est la liberté absolue: au travail, en entreprise privée, les gens parlent la langue qu’ils veulent. Au Québec, ce n’est pas le cas, car même le secteur privé est visé par le droit linguistique.»
Me Campofredano: «Le droit linguistique québécois couvre la sphère privée, pas au sens de l’intimité des individus, mais bien au sens des relations juridiques privées. Il s’en dégage 2 axes majeurs: le contexte du travail et le contexte commercial, que nous aborderons en détail dans 2 conférences suivant celle du 18 avril.»
Pourquoi vous êtes-vous intéressés à ce domaine de droit?
Me Campofredano: «Je suis un Montréalais, né au Québec d’origine italienne. J’ai toujours baigné dans la dualité linguistique, que ce soit dans ma famille ou à Montréal. Au cours de mes études, j’ai compris qu’il y avait au Québec un débat historique, plus ou moins réglé, sur les langues et que celui-ci régissait encore nos vies, directement ou indirectement. C’est peut-être là un élément qui est venu me chercher.
Quand l’Université de Sherbrooke, en collaboration avec l’Office québécois de la langue française [OQLF], a lancé un appel d’offres pour un projet de vulgarisation du droit linguistique, Boavista Services juridiques, le cabinet que j’ai cofondé, y a répondu et nous sommes très heureux et très fiers d’avoir été choisis pour participer à cette initiative.»
Me Rousseau: «J’ai commencé à travailler en droit linguistique à l’Université McGill, quand j’ai fait ma maîtrise en droits de la personne et diversité culturelle, dans un programme spécialisé sous la supervision de Roderick A. Macdonald. La diversité culturelle, ça peut être la question religieuse, la question migratoire… Moi, je me suis penché sur la question linguistique, étant à Montréal, où le sujet s’impose un peu plus qu’ailleurs.
Une fois que je suis devenu professeur, un étudiant, Me Éric Poirier, voulait faire son mémoire et sa thèse sur le droit linguistique. Il n’y a pas énormément de professeurs spécialisés dans ce domaine, alors Me Poirier m’a choisi comme directeur de recherche. Cela m’a amené à me replonger dans le droit linguistique et nous avons finalement collaboré à la production d’un livre: Le droit linguistique au Québec, paru en 2017 chez LexisNexis. C’était le premier ouvrage de la sorte. Il en existait bien sur les droits linguistiques au Canada, mais aucun qui se concentrait sur la réalité québécoise. Notre livre, sans détenir le monopole de la doctrine en droit linguistique, est rapidement devenu une référence en la matière.
Alors, quand l’OQLF a fait un appel d’offres, en 2021, permettant notamment de déposer un projet en accès au droit et à la justice en matière linguistique, j’étais bien placé pour déposer un tel projet. Bien qu’inscrit au Barreau, je ne suis pas tous les jours dans la pratique. J’avais donc besoin d’un partenariat avec des avocats praticiens, d’où ma collaboration avec Boavista Services juridiques et Me Campofredano.»
Qu’est-ce qui justifie qu’on parle de «nouveau droit linguistique»?
Me Rousseau: «L’élément nouveau, c’est la loi 96 [Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français (L.Q. 2022, c. 14)]. Il s’agit de la première grande réforme de la Charte de la langue française depuis 1977. Évidemment, en 45 ans, il ne s’est pas rien passé. Il y a eu de petites évolutions, comme l’ajout d’un article qui impose de rendre disponible en français tout nouveau logiciel ou lorsque la jurisprudence a rendu les règles de la charte applicables sur Internet, mais une réforme majeure qui touche tous les chapitres, les droits linguistiques, les recours, etc., c’est la première fois.
L’impact de la loi 96 est très vaste. On touche au préambule de la loi ainsi qu’à l’article premier: ce n’est plus seulement le français, langue officielle, c’est maintenant langue officielle et commune, ce qui, juridiquement, peut dire plein de choses. On ajoute aussi 2 nouveaux droits aux droits linguistiques fondamentaux, qu’on pensait immuables. Chacun des chapitres est retravaillé, mais surtout "Travail" et "Commerce", qu’on traitera plus en détail dans nos prochaines conférences. Les recours et les sanctions font également l’objet de modifications qui auront des conséquences juridiques importantes pour les praticiens.»
Me Campofredano: «La question des sanctions est, selon moi, un élément nouveau important, surtout sur le plan pénal. Il y a eu un rehaussement des sanctions dans la nouvelle mouture législative, en ce qui concerne tant les personnes physiques que les personnes morales.
La nécessité de l’exigence linguistique à l’embauche est un article que j’ai aussi trouvé intéressant. Je ne pense pas que beaucoup de citoyens, ni même de juristes, connaissent cette disposition. Pourtant, c’est un changement très concret: il faut que l’employeur ait prouvé qu’il a pris des moyens raisonnables pour ne pas avoir à demander la maîtrise d’une langue autre que le français et, s’il est contraint de le faire, il doit justifier cette exigence à même l’offre d’emploi.
On peut aussi parler de l’affichage commercial. Aujourd’hui, les réseaux sociaux sont un véhicule majeur de commerce. Une communication commerciale sur ce genre de médias qui ne serait pas en français irait à l’encontre du droit linguistique québécois. Beaucoup de gens peuvent croire que le Web est une zone de non-droit, mais on voit que, sur le plan linguistique, ce n’est plus vrai. Il y aura de l’éducation juridique à faire à ce sujet.»
Me Rousseau: «Des fois, quand on voit une loi sur papier, on se demande ce que ça va vraiment changer. Là, on voit que la loi 96 amène des changements concrets et, surtout, qu’elle touche le quotidien de tout le monde.»
À quoi va ressembler votre survol de ce nouveau cadre législatif?
Me Rousseau: «Cette conférence vise avant tout les juristes: avocats, notaires et étudiants en droit, mais pas seulement eux. Tous les professionnels qui sont concernés, de près ou de loin, par la loi 96 peuvent avoir un intérêt à la suivre. On peut penser aux conseillers RH, aux commerçants, aux jeunes entrepreneurs, aux experts de la communication et du marketing ou encore aux journalistes qui suivent les dossiers linguistiques.
Notre objectif, c’est de permettre aux gens de se repérer, de bien comprendre ce qu’est le droit linguistique et les grandes modifications apportées par la loi 96, à l’aide de quelques cas concrets. Nous irons évidemment plus en profondeur dans les autres conférences. Néanmoins, ce survol va offrir une bonne vue d’ensemble de la nouvelle loi car, au-delà des cas précis, il est important de connaître les grands principes.»
Me Campofredano: «Nous présentons le droit linguistique comme étant un domaine du droit en soi, au même titre que le sont le droit des nouvelles technologies et le droit des Autochtones. Ces domaines du droit sont nouveaux dans notre histoire et ils commencent à faire l’objet de cours à l’université. Alors, pourquoi ne pas voir le droit linguistique comme un domaine du droit pouvant être travaillé par des cabinets d’avocats?»
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