La violence au travail est malheureusement un sujet d’actualité. Elle n’est pas toujours le fait de collègues ou de supérieurs. Dans les milieux de travail où le contact avec le public est quotidien, elle s’exprime souvent en raison du comportement de la clientèle. En février 2023, elle a surgi «de nulle part» lorsqu’un chauffeur d’autobus a foncé dans une garderie située à Laval.
Dans un billet présentant les possibilités d’indemnisation par un régime public des victimes de ce drame, ma collègue évoquait entre autres choses la possibilité pour les éducatrices de la garderie qui se trouvaient sur les lieux au moment de l’impact de déposer une réclamation en vertu de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP) auprès de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST).
En effet, compte tenu du caractère éminemment traumatisant de l’événement, il n’est pas difficile d’imaginer que, si les éducatrices qui étaient alors au travail n’ont pas été blessées, certaines d’entre elles ont depuis reçu, ou recevront éventuellement, un diagnostic de nature psychologique qui entraînera un arrêt de travail.
Sans m’appuyer sur les faits reliés à ce tragique événement, j’aborderai dans le présent billet la question de la reconnaissance, à titre de lésion professionnelle, d’une lésion psychologique découlant d’un événement violent survenu sur les lieux du travail.
Une maladie causée par un événement imprévu et soudain
La personne qui prétend souffrir d’une lésion psychologique découlant d’un événement survenu au travail doit pouvoir bénéficier de la protection de la loi, tout comme celle qui invoque une lésion physique, et ce, dans la mesure où elle satisfait aux exigences de cette loi en matière d’indemnisation.
La loi énonce qu’une «lésion professionnelle» est «une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l’occasion d’un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l’aggravation» (art. 1).
Au départ, la reconnaissance d’une lésion professionnelle nécessite l’existence d’une blessure ou d’une maladie. La jurisprudence du Tribunal administratif du travail (TAT) considère qu’un diagnostic de lésion psychologique correspond à une maladie plutôt qu’à une blessure.
Une personne qui a reçu un diagnostic de lésion psychologique après avoir été victime d’un événement violent survenu alors qu’elle était à son travail pourrait prétendre avoir subi un accident du travail. La reconnaissance d’un tel accident nécessite alors la démonstration qu’un événement imprévu et soudain, attribuable à toute cause, est survenu à cette personne par le fait ou à l’occasion de son travail et que cet événement a entraîné la maladie qui lui a été diagnostiquée.
De très nombreuses décisions requièrent que l’événement allégué au soutien d’une réclamation pour une lésion psychologique présente un caractère objectivement traumatisant. Certes, un événement comme celui survenu à la garderie de Laval présente d’emblée un tel caractère. Une situation semblable étant toutefois exceptionnelle, et la violence pouvant s’exprimer au travail de multiples façons, il importe d’ajouter que certains décideurs ont récemment jugé que l’exigence d’un «caractère objectivement traumatisant» requise par la jurisprudence a pour effet de dénaturer la notion d’«événement imprévu et soudain» et d’imposer un fardeau de preuve trop lourd aux travailleurs. Ainsi, dans Annab et Société canadienne des postes, le TAT a considéré qu’un événement imprévu et soudain n’a pas à être traumatisant mais qu’il doit «déborder du cadre normal de ce qui est susceptible de se produire dans un milieu de travail» (paragr. 27).
Par ailleurs, au-delà de la preuve d’un événement imprévu et soudain, la reconnaissance d’un accident du travail requiert la démonstration d’un lien causal entre l’événement et la maladie diagnostiquée.
Dans Annab, le TAT a rappelé certains des critères qui doivent être pris en considération afin d’évaluer s’il existe un lien entre la maladie et l’événement survenu au travail, à savoir: «la nature de l’événement imprévu et soudain, la nature de la lésion, la relation temporelle entre l’apparition de la pathologie et les circonstances alléguées, l’évolution de la pathologie et la présence, le cas échéant, d’une condition préexistante» (paragr. 69).
Le délai pour produire une réclamation
Les articles 270 et 271 LATMP prévoient qu’une réclamation à la CNESST pour une lésion professionnelle doit être produite dans les 6 mois de la lésion. Certains juges administratifs ont eu l’occasion de souligner l’incidence de la nature particulière d’une lésion psychologique sur la question de la détermination du point de départ de ce délai. À cet égard, dans E.B. et Centre A, le TAT écrivait ceci:
[…] une jurisprudence abondante énonce que, dans le cas d’une lésion de nature psychologique, il est tout à fait acceptable de considérer que le délai pour réclamer débute au moment où la lésion est formellement diagnostiquée et qu’un arrêt de travail est prescrit. […] (paragr. 67)
Conclusion
La jurisprudence du TAT résumée dans Recherche juridique ne comporte pas de cas dont la trame factuelle puisse être comparée à celle du drame de la garderie de Laval. On y trouve cependant plusieurs cas d’agressions survenues au travail et ayant entraîné des lésions psychologiques, lesquels ont été reconnus à titre d’accidents du travail.
Les auteurs du Blogue ne peuvent donner d'opinion ni de conseil juridique relativement aux situations personnelles des lecteurs.
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