Bien qu’elle soit plus présente dans certains secteurs d’activité, la violence peut survenir dans tous les milieux de travail. Elle est d’ailleurs responsable chaque année de nombreuses lésions professionnelles, soit plus de 3 605 lésions en 2021 selon les données recueillies par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST).

Imputation des coûts

Lorsqu’un travailleur subit une telle lésion professionnelle, le coût lié à celle-ci est alors attribué au dossier financier de son employeur. C’est ce qu’on appelle l’imputation. Des exceptions à ce principe général sont toutefois prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

À titre d’exemple, il sera possible de transférer le coût des prestations à tous les employeurs lorsque cette imputation a pour effet de faire supporter injustement le coût à l’employeur. À cet égard, ce dernier devra notamment démontrer qu’il a subi une situation d’injustice, c’est-à-dire une situation qui n’est pas reliée à ses activités.

Quoique l’on puisse croire que tout accident attribuable à un acte de violence est nécessairement étranger aux risques qu’un employeur doit supporter, la jurisprudence nous démontre que ce n’est pas le cas.

Une agression de la part d’un collègue de travail

Éclairage Lumenpulse inc.: demande de transfert rejetée

Le travailleur a subi une lésion professionnelle à la suite d’une bagarre avec l’un de ses collègues. Le Tribunal a fait valoir que de telles situations sont à proscrire. Il a cependant conclu que ce type d’événement pouvait se produire dans tout milieu de travail et qu’il faisait partie des risques reliés aux activités de l’employeur. À son avis, de telles circonstances ne sont ni inhabituelles, ni exceptionnelles, ni anormales.

Oly-Robi Transformation: demande de transfert accueillie

Le travailleur a subi une lésion professionnelle alors que son collègue lui a asséné un coup sur la tête en guise de plaisanterie. Selon le Tribunal, un tel agissement pour faire rire autrui peut être qualifié de fait inusité, voire inhabituel, et ne fait pas partie des risques inhérents aux activités de l’employeur. Cela a donc entraîné une situation d’injustice pour ce dernier.

Métal 7 inc.: demande de transfert rejetée

Un mécanicien a subi une lésion professionnelle lorsqu’un collègue s’est approché de lui en pointant en sa direction un marteau pneumatique ayant l’aspect d’un pistolet et a reçu un clou dans la poitrine. Dans la mesure où les activités de l’employeur impliquent que des menuisiers travaillent avec de tels outils, le Tribunal a conclu que cet accident faisait partie des risques inhérents à celles-ci.

Par ailleurs, les circonstances de cet accident ne sont pas à ce point exceptionnelles qu’il faille les exclure de ces risques. Certes, le collègue en cause a fait preuve d’une grande imprudence en pointant le marteau vers le travailleur alors que le mécanisme de sécurité avait été désactivé. La preuve n’a toutefois pas établi qu’il s’agissait d’une agression volontaire.

Une agression de la part d’un usager ou d’un élève

Centre gériatrique Maimonides Donald Berman: demande de transfert rejetée

Une infirmière coordonnatrice a subi une lésion professionnelle après avoir été agressée par un résident au moyen d’une chaise. Un tel comportement est répréhensible en soi et déborde le cadre souhaitable du travail. Le Tribunal a cependant déterminé que les circonstances de l’accident faisaient partie des risques inhérents aux activités de l’employeur, un centre d’hébergement et de soins de longue durée, et qu’elles n’étaient pas exceptionnelles, ni rares, ni inusitées.

En effet, selon les statistiques présentées, les lésions professionnelles découlant d’agressions physiques ne sont pas anecdotiques dans le secteur de la santé et des services sociaux. Il est vrai que l’employeur n’est pas spécialisé en soins psychiatriques, mais la preuve a démontré que certains de ses usagers présentaient des troubles cognitifs et psychiatriques et qu’un tel événement était susceptible de se reproduire dans son établissement.

Cégep régional de Lanaudière à Joliette: demande de transfert rejetée

Une enseignante au collégial a subi un état de stress post-traumatique après avoir été agressée verbalement par une étudiante. Le Tribunal a estimé que cet accident faisait partie des risques inhérents à l’ensemble des activités de l’employeur, notamment parce que l’étudiante avait des troubles du comportement et qu’elle avait déjà fait des crises devant d’autres personnes de l’établissement.

Centre de services scolaire de l’Énergie: demande de transfert accueillie

Une enseignante au primaire a subi une lésion professionnelle lorsqu’un élève l’a rouée de coups pendant une intervention dans la cour d’école. Bien que le fait de devoir maîtriser physiquement un élève dans un état de désorganisation constitue un risque inhérent aux activités de l’employeur, le Tribunal a déterminé que les circonstances de cet événement pouvaient être qualifiées d’exceptionnelles, les gestes commis étant empreints d’une importante violence. La présente situation a donc constitué une injustice pour l’employeur.

STM (Réseau des autobus): demande de transfert rejetée

Un chauffeur d’autobus a subi une lésion professionnelle lorsqu’il a été témoin de l’agression d’une cliente par un passager et que, figé par la situation, il ne lui a pas porté assistance. Considérant qu’il y a de plus en plus de passagers agressifs et perturbateurs parmi la clientèle de la Société de transport de Montréal, le Tribunal a estimé que les circonstances à l’origine de la lésion professionnelle n’étaient pas étrangères aux risques inhérents des activités de l’employeur. Les probabilités qu’un tel événement survienne de nouveau ne sont d’ailleurs pas minimes.

STM-Réseau des autobus Opération: demande de transfert accueillie

Un chauffeur d’autobus a subi une lésion professionnelle lorsque 3 passagers intoxiqués l’ont agressé. Même si la gestion des conflits avec les usagers mécontents fait partie des tâches du travailleur, le Tribunal a déterminé que les actes de violence et les menaces de mort constituent des situations exceptionnelles qui doivent être exclues des risques que doit supporter l’employeur.

En somme, la jurisprudence nous enseigne qu’il ne suffit pas pour l’employeur d’alléguer que tout acte de violence sort du cadre souhaitable du milieu de travail afin d’établir que l’agression subie par son travailleur ne constitue pas un risque relié à l’ensemble de ses activités. Les circonstances particulières dans lesquelles est survenue la lésion professionnelle, notamment le degré d’agressivité, ainsi que le risque qu’un tel événement se reproduise pourront être analysés par le Tribunal.

Dans tous les cas, il demeure important de prévenir les risques en matière de violence au travail. À cet égard, il est possible de consulter le site Internet de la CNESST afin de connaître les obligations et les responsabilités des employeurs et des travailleurs en cette matière.