Oui, cette affaire est une première devant la Direction de l’indemnisation des victimes d’actes criminels (DIVAC) du ministère de la Justice, et oui, elle est déstabilisante. De quoi s’agit-il? D’une indemnité pour un homme agressé sexuellement par sa conjointe, laquelle a eu un enfant à la suite de cette agression.

L’indemnité dont il est question n’est pas prévue pour l’agression sexuelle elle-même, mais pour l’entretien de l’enfant né de l’agression sexuelle. Je vous ai perdu? Suivez-moi, nous allons faire le tour de la question dans ses aspects juridiques, mais aussi entrevoir un aspect troublant.

Les faits

Le requérant a immigré au Québec avec sa conjointe. Contrairement à cette dernière, il ne parlait pas français. De plus, il ne voulait pas d’enfant, mais elle, oui. Il a subi de la violence conjugale, physique et sexuelle. Sa conjointe menaçait de porter plainte à la police contre le requérant s’il parlait. Elle prétendait que le Québec est le pays des femmes et qu’elles ont toujours raison. Le requérant taisait les sévices dont il était victime. Il avait honte et craignait de ne pas être cru.

En février 2013, le requérant a été forcé d’avoir une relation sexuelle avec sa conjointe. Celle-ci l’a empêché d’utiliser un préservatif. Il a appris quelques semaines plus tard qu’elle était enceinte. Elle l’a menacé. Se sentant en danger, il a quitté le domicile conjugal. Il n’a jamais refait vie commune avec son épouse.

La Cour supérieure a d’abord rendu un jugement déclarant que le requérant était le père biologique de l’enfant, puis un jugement de divorce. La garde de l’enfant a été confiée à la mère. Celle-ci ne travaille pas, n’a pas de revenu et vit grâce à la pension alimentaire payée par le requérant pour son entretien et celui de l’enfant. Le requérant a un droit d’accès de 1 heure par semaine qu’il doit exercer dans un endroit public en présence de son ex-conjointe.

Demande d'indemnisation rejetée par la DIVAC

La DIVAC a refusé de verser au requérant la rente prévue à l’article 5 alinéa 2 de la Loi sur l’indemnisation des victimes d’actes criminels, alors en vigueur, et qui prévoyait que:

«Il peut en outre être accordé à la mère qui pourvoit elle-même à l’entretien d’un enfant né par suite d’une agression sexuelle […], pour l’entretien de cet enfant, une rente mensuelle [...]. Toutefois, la rente peut être versée à une personne autre que la mère si, en raison du décès de celle-ci ou pour une autre cause, cette personne assume l’entretien de l’enfant […].»

La DIVAC a estimé que le requérant ne pourvoyait pas à l’entretien de son enfant dont la mère assume la garde. Elle a conclu que, de ce fait, il n’avait pas droit à la rente pour son entretien prévue à l’article 5 alinéa 2 de la loi.

Le requérant a contesté la décision de la DIVAC devant le Tribunal administratif du Québec (TAQ).

La décision du TAQ

Discrimination

Le requérant a d’abord invoqué le caractère inopérant de l’article 5 alinéa 2 de la loi, qu’il jugeait discriminatoire. En cours d’audience, il s’est désisté de ce moyen puisque la DIVAC a reconnu que cet alinéa s'appliquait à toute personne, peu importe son genre.

Conception de l’enfant lors d’une agression sexuelle?

La DIVAC a prétendu que le requérant n’avait pas démontré de façon prépondérante que la conception de l’enfant était survenue lors d’une agression sexuelle dont il avait été reconnu victime.

Or le TAQ a jugé que les faits relatés tant par la victime que par l’agresseur, l’absence d’usage d’un moyen de contraception, la grossesse confirmée dans les semaines suivantes et la naissance de l’enfant 9 mois plus tard lui permettaient de conclure en ce sens.

De plus, il a estimé que la DIVAC avait reconnu implicitement que l’enfant était le fruit d’une agression sexuelle. En effet, jamais, en procédant à l’analyse de la demande formulée en vertu de l’article 5 alinéa 2 de la loi ni à aucun autre moment du traitement du dossier, la DIVAC n’a soulevé un questionnement à ce sujet.

Que signifie «l’entretien» de l’enfant né par suite d’une agression sexuelle?

Le TAQ a indiqué que, à l’origine, pour obtenir la rente prévue à l’article 5 alinéa 2 de la loi, la personne qui réclamait la rente devait «prendre soin» de l’enfant. Dans son sens commun, l’expression «prendre soin» signifie s’occuper de quelqu’un, veiller sur lui.

Or, à la suite d’une modification de cette disposition, le législateur a choisi d’accorder la rente à la personne assumant l’entretien de l’enfant. Dans le sens commun, «assumer l’entretien» signifie pourvoir à la subsistance d’une personne.

Le TAQ poursuit en rappelant que, dans le cas présent, la mère de l’enfant est sans revenu. C’est le requérant qui pourvoit seul à l’entretien de l’enfant, donc à l’ensemble des besoins de celui-ci.

En modifiant l’article 5 de la loi pour remplacer le concept de «prendre soin» par celui d’«assumer l’entretien», le TAQ est d’avis que le législateur voulait compenser la personne défrayant le coût des besoins matériels de l’enfant.

Il a d’ailleurs noté que, dans la Loi visant à aider les personnes victimes d’infractions criminelles et à favoriser leur rétablissement, entrée en vigueur le 13 octobre 2021, on retrouve à son article 65 le pendant de l’article 5 concernant l’aide financière pour un enfant né à la suite d’une agression à caractère sexuel. Son libellé va dans le même sens et se lit comme suit:

65. Une personne qui pourvoit aux besoins alimentaires d’un enfant dont la conception résulte d’une agression à caractère sexuel est admissible au versement d’une aide financière.

[Soulignement du TAQ.].

L’entretien de l’enfant dans le contexte particulier de l’affaire

Le TAQ a affirmé qu’il est erroné d’affirmer que la contribution du requérant se limite au paiement de la pension alimentaire. Celui-ci n’est pas déchu de son autorité parentale. Il s’intéresse à son enfant et tente d’exercer ses droits d’accès. Il est grandement limité en raison d’un contexte très particulier où chaque visite à l’enfant et toute communication pour exercer son droit d'accès le replongent dans ses blessures puisqu’elles entraînent inévitablement un contact avec son ex-conjointe et agresseuse.

De plus, les accès à l'enfant extrêmement limités dont le requérant dispose sont dictés par nulle autre que l’ex-conjointe et agresseuse. Elle ne fait preuve d’aucune ouverture pour les élargir ou, à tout le moins, pour faciliter ceux prévus à la convention sur mesures accessoires. Au contraire, elle semble les utiliser pour maintenir son emprise sur sa victime.

Enrichissement du requérant

Enfin, le TAQ a rejeté l’argument de la DIVAC selon lequel le fait d’accorder la rente au requérant mènerait à un enrichissement injustifié. D’une part, les chiffres fournis par la DIVAC sont en partie hypothétiques. D’autre part, un tel exercice vient ajouter à la loi. En effet, le calcul de la rente s’effectue dans un deuxième temps, une fois le droit reconnu, et ce, suivant les modalités prévues.

Conclusion du TAQ

Le requérant a donc droit à la rente prévue à l'article 5 alinéa 2 de la loi.

Élément troublant

Non, je n’ai pas l’intention de remettre en question le fait qu’un homme puisse être victime d’agression sexuelle par une femme ni d’élaborer sur les moyens par lesquels l’agression a pu être commise.

Toutefois, ce qui est étonnant dans cette affaire, c’est le fait que la victime d’agression sexuelle doive faire affaire avec son agresseur pour les contacts avec l’enfant, avec tout le lot de problèmes que cela apporte. La preuve rapporte une reviviscence des blessures, des conditions d’accès imposées par l’agresseuse, qui s’efforce de rendre l’exercice le plus difficile possible, et une utilisation du droit d’accès pour maintenir l’emprise sur la victime… C’est un véritable cauchemar pour celle-ci.

Les nombreuses situations de violence conjugale et sexuelle mises au jour en grand nombre depuis la pandémie de la COVID-19 sont majoritairement vécues par des femmes, mais une étude récente montre que 20 % des hommes en couple sont victimes de violence conjugale, ce qui n'est pas à prendre à la légère. On ne peut que souhaiter que cet homme qui doit visiter son enfant sous la supervision de son son ex-conjointe et agresseuse puisse obtenir l'aide dont il a besoin pour se sortir de cette situation inconcevable aux yeux de plusieurs…