Si vous avez consulté les actualités judiciaires au cours de l’été, vous avez peut-être eu connaissance d’une décision dans laquelle une arbitre de griefs a annulé le congédiement d’une chauffeuse de poids lourd qui avait consommé de l’alcool avant de causer un accident avec le camion de son employeur. L’arbitre a conclu que l’employeur avait été informé de l’alcoolisme de la plaignante à la suite de l’accident et qu’il aurait donc dû effectuer un exercice d’accommodement raisonnable avant de procéder à son congédiement. 

Si vous êtes un employeur ou un professionnel des ressources humaines, une telle décision peut soulever des questionnements quant à l’étendue de l’obligation d’accommodement raisonnable et à la notion de «contrainte excessive». 

Les principes 

L’accommodement raisonnable vise à remédier à l’effet discriminatoire qu’une pratique ou une politique qui, même si elle s’applique à tous, peut avoir sur une personne touchée par un ou plusieurs des motifs de discrimination énoncés à l’article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne, dont le handicap ou la déficience.  

En 2008, la Cour suprême du Canada énonçait que «l’obligation d’accommodement dans un contexte d’emploi implique que l’employeur est tenu de faire preuve de souplesse dans l’application de sa norme si un tel assouplissement permet à l’employé concerné de fournir sa prestation de travail sans que l’employeur subisse une contrainte excessive» (paragr. 13). 

La notion de «contrainte excessive» permet à un employeur d’être relevé de son obligation d’accommodement envers un employé. La contrainte excessive est évaluée en fonction de plusieurs facteurs, dont la taille de l’entreprise et sa situation financière. Il est probable qu’une très petite entreprise soit plus facilement en mesure de faire la preuve d’une contrainte excessive en comparaison, par exemple, d’une multinationale ou d’un organisme gouvernemental.  

Voici un aperçu de quelques décisions rendues cette année relativement à l’obligation d’accommodement raisonnable.  

Association des procureurs aux poursuites criminelles et pénales (Létourneau)  

Un procureur au Bureau de la grande criminalité et des affaires spéciales (BGCAF) du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP), a fait l’objet d’un congédiement administratif peu de temps après son retour au travail à la suite d’une absence pour invalidité. Pour le DPCP, les limitations fonctionnelles permanentes du plaignant liées à des diagnostics de douance et de trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité et les accommodements demandés, dont des délais plus longs pour certaines tâches, constituaient une contrainte excessive empêchant celui-ci d’occuper tout emploi de procureur.   

La Commission de la fonction publique (CFP) a tout d’abord conclu que l’analyse des limitations fonctionnelles du plaignant et des accommodements par rapport aux tâches énoncées dans la description d’emploi d’un procureur assigné au BGCAF avait été faite correctement. Pour la CFP, la conclusion du DPCP quant à l’existence d’une contrainte excessive à l’égard d’un emploi dans ce bureau était bien fondée. 

La CFP continue toutefois en précisant que ce processus d’analyse n’a pas été suivi pour déterminer s’il existait une contrainte excessive relativement aux autres postes de procureur disponibles dans l’organisation. Le DPCP s’est plutôt «contenté de demander l’opinion de gestionnaires travaillant ou ayant travaillé au sein de certaines autres unités que le [BGCAF], ce qui, de l’avis de la Commission, n’est pas aussi précis et complet que de faire une analyse à partir d’une description d’emploi présentant par écrit les tâches d’un type de poste» (paragr. 151). 

Pour la CFP, «le fait de ne pas disposer d’une description d’emploi pour chacun des différents types de postes de procureur ne peut justifier de « tourner les coins ronds » en n’évaluant pas rigoureusement la possibilité pour [le plaignant] d’occuper un emploi dans une autre unité administrative» (paragr. 156).  

La CFP ajoute que «l’obligation d’accommodement doit être particulièrement exigeante pour le DPCP puisqu’il emploie plus de 600 procureurs. Les démarches réalisées lors de l’exercice d’accommodement doivent du même coup être d’une grande rigueur» (paragr. 159).  

Le DPCP n’ayant pas démontré l’existence d’une contrainte excessive quant à l’ensemble des types de postes de procureur, la CFP a annulé le congédiement et a ordonné la réalisation de l’exercice d’accommodement, et ce, avec la participation du plaignant.  

Desson c. Gendarmerie royale du Canada 

Dans cette affaire, le Tribunal canadien des droits de la personne était saisi d’une plainte pour discrimination déposée par un gendarme qui avait été affecté à des tâches administratives après avoir subi une crise d’épilepsie alors qu’il se rendait au travail dans son véhicule personnel.  

La Gendarmerie royale du Canada (GRC) a appliqué une politique selon laquelle le plaignant ne pouvait reprendre ses fonctions sur le terrain que 5 ans après sa dernière crise d’épilepsie. Le plaignant a contesté cette décision au motif que la politique lui causait un préjudice et qu’elle avait été appliquée de manière discriminatoire.  

Même s’il a conclu que le plaignant avait fait l’objet d’un traitement défavorable en raison de sa déficience, le Tribunal a tout de même rejeté sa plainte puisque la GRC avait démontré que la politique de 5 ans constituait une exigence professionnelle justifiée par un objectif de protection du plaignant, de ses collègues et du public.  

En ce qui a trait à l’obligation d’accommodement et à la notion de «contrainte excessive», le Tribunal souligne que la GRC n’avait pas l’obligation de créer un emploi pour le plaignant et que le fait de l’affecter aux postes qu’il avait indiqué vouloir occuper aurait constitué une contrainte excessive étant donné que le contexte budgétaire et opérationnel qui avait cours à l’époque ne permettait pas une telle affectation.   

Le Tribunal conclut que, «malgré le refus du [plaignant] d’accepter son état de santé et son attitude à l’égard des tâches administratives, la GRC a essayé de répondre à ses besoins de diverses façons» (paragr. 185). Pour le Tribunal, la GRC a démontré que des mesures d’adaptation avaient été prises pendant la période de 5 ans entre l’accident du plaignant et la date à laquelle il a repris ses fonctions habituelles. 

Teamsters Québec, local 106 et 1641-9749 Québec inc. (Yolaine Nadeau) 

Dans l’affaire relative à la chauffeuse mentionnée en introduction, la convention collective en vigueur chez l’employeur prévoit un congédiement immédiat en cas de consommation d’alcool ou de drogue pouvant perturber le comportement de l’employé durant le travail. L’arbitre retient toutefois qu’une telle disposition «ne peut être d’application automatique sans prendre en compte les obligations des lois sur les droits de la personne» (paragr. 65). 

Elle continue en précisant que «la responsabilité de employeur à l’égard de son obligation d’accommodement raisonnable sans contrainte excessive ne peut être engagée s’il ignore que le salarié concerné souffre d’un handicap, dont une dépendance à l’alcool» (paragr. 78).  

Le nœud de l’affaire était donc de déterminer à quelle date la plaignante avait été congédiée et si l’employeur était alors au courant de son handicap, à savoir son alcoolisme. L’arbitre n’a pas retenu la prétention de l’employeur selon laquelle le congédiement avait eu lieu le 30 juin 2022, soit le jour de l’accident de la plaignante. Elle a plutôt retenu la date à laquelle le congédiement a été confirmé à la plaignante, soit le 31 août 2022.  

La date du congédiement étant établie, il a été démontré que l’employeur avait été informé du problème d’alcool de la plaignante le 8 juillet 2022. La plaignante lui avait alors remis un billet médical et avait demandé qu’il paie la cure de désintoxication qu’elle désirait suivre. Malgré le refus de l’employeur, la plaignante a suivi une cure fermée de 3 semaines.  

Même si la plaignante n’a pas informé l’employeur de son problème de consommation avant son accident, l’arbitre précise ne pas avoir de motif de douter qu’elle «souffrait d’un tel handicap en juin 2022» (paragr. 94). L’arbitre conclut donc que l’obligation d’accommodement raisonnable de l’employeur est née le 8 juillet 2022, soit au moment où il a été informé du handicap de la plaignante. L’exercice d’accommodement n’ayant pas été fait, l’arbitre a par conséquent annulé le congédiement de la plaignante, a ordonné sa réintégration et a enjoint aux parties de procéder à l’exercice en question. 

Il y a lieu de souligner que cette décision fait présentement l’objet d’un pourvoi en contrôle judiciaire et d’une demande visant à en suspendre l’exécution. Nous demeurerons à l’affût des développements à venir dans cette affaire. 

Vous avez reçu une demande d’accommodement ou souhaitez davantage d’information? 

La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec a publié un guide virtuel détaillant les étapes à suivre en cas de réception d’une telle demande et fournit de la documentation et des informations très utiles sur le sujet.  

Print Friendly, PDF & Email