L’adage veut que le congédiement soit la peine capitale dans un milieu de travail. En matière disciplinaire, il survient généralement après l’imposition d’une série de sanctions à sévérité progressive, pouvant aller du simple avis écrit jusqu’à la suspension de longue durée, l’idée étant d’amener le salarié à modifier sa conduite.

Je dis «généralement» parce qu’il arrive que l’employeur puisse valablement écarter la règle de la progression des sanctions et imposer le congédiement sans autre forme de mise en garde ou avertissement. Il peut également la court-circuiter, c’est-à-dire sauter au congédiement alors que le dossier disciplinaire du salarié ne comporte que des sanctions mineures.

C’est le cas lorsque la faute du salarié est grave ou que la discipline progressive offre peu ou pas d’espoir de réhabilitation du salarié.

La faute grave

Certaines fautes sont si graves en elles-mêmes qu’elles mènent plus souvent qu’autrement au congédiement immédiat. En voici quelques exemples:

Vol ou fraude

Pensons d’abord au vol ou à la fraude. Il est difficile d’imaginer une conduite qui aille plus au cœur du lien de confiance devant lier employeur et salarié. Cela dit, certaines nuances s’imposent. En effet, tous les vols ne sont pas égaux. D’abord, il y a le vol au sens propre ou la fraude, par exemple lorsque le salarié s’approprie sans droit des biens de l’employeur ou qu’il ment sur son état de santé pour toucher sans droit des prestations d’assurance. On peut également penser au «vol de temps», qui ne sera pas nécessairement traité de la même manière par les arbitres de griefs, tout comme l’appropriation de biens de peu de valeur ou sans intention coupable.

Violence et maltraitance

Les employeurs ont l’obligation d’offrir à leurs salariés un environnement de travail sécuritaire. Ainsi, lorsqu’il est question de sanctionner la violence, physique ou verbale, non seulement la sanction doit refléter la gravité de la faute, mais elle doit également être suffisante pour assurer la protection des autres salariés. Encore une fois, des nuances s’imposent. On ne réservera pas le même traitement à des menaces de mort ou à une agression qu’à des insultes prononcées sur un ton agressif.

Les cas de maltraitance d’une clientèle vulnérable, par exemple de résidents d’un établissement pour personnes âgées, sont également sévèrement sanctionnés et, à moins de sérieux facteurs atténuants, ils mèneront au congédiement.

Confidentialité

Ici, la conduite sanctionnée est le fait pour un salarié d’accéder aux renseignements personnels d’autrui sans consentement ou motif légitime. Pensons notamment aux policiers, aux représentants d’agences du revenu ou aux professionnels de la santé qui accèdent aux bases de données de l’employeur pour fouiller dans la vie de personnes avec lesquelles ils ont des liens personnels ou professionnels.

Négligence grossière

Il arrive qu’un salarié, par insouciance ou négligence dans l’exécution de ses fonctions, mette en danger la vie de ses collègues ou en péril les activités de l’employeur. La sécurité des clients de l’employeur peut également être menacée. Selon les circonstances, il se pourrait qu’un dossier disciplinaire vierge et une attitude repentante ne puissent éviter au salarié la perte de son emploi.

Conduite postérieure

Certains salariés, par une conduite ou des gestes postérieurs à la faute qui leur est reprochée, s’infligent eux-mêmes le coup de grâce. Pensons au salarié qui nie avoir commis les gestes reprochés, qui fait de fausses déclarations pendant l’enquête ou ne collabore pas à celle-ci, ou encore celui qui refuse de reconnaître une faute dans sa conduite, ou, enfin, qui ne montre aucun regret, ni signe de repentance, ni volonté de s’amender. Chacun de cces exemples peut contribuer à rompre définitivement un lien de confiance fragilisé ou démontrer l’inutilité de l’application de sanctions progressives.

Politique de «tolérance zéro»

Certains employeurs adoptent des politiques de tolérance zéro prescrivant le congédiement automatique pour certains types de faute. On peut penser aux bagarres sur les lieux du travail ou à une violation des normes de sécurité dans un établissement à haut risque. Aussi utile soit-elle, une telle politique n’exempte généralement pas l’employeur de faire la démonstration du caractère raisonnable du congédiement à la lumière de toutes les circonstances.

En conclusion, si la règle de la progression des sanctions est la norme en matière disciplinaire, elle n’est certainement pas absolue et elle doit céder le pas lorsque l’employeur fait face à un salarié impénitent ou coupable d’un grave écart de conduite.

Voici quelques décisions consultées dans le cadre de la rédaction de ce billet:

  1. Syndicat canadien des officiers de marine marchande, Syndicat des métallos, section locale 9538 et Société des traversiers du Québec (Rodrigue Boudreault), (T.A., 2012-11-22), SOQUIJ AZ-50916606, 2012EXPT-2481, D.T.E. 2012T-884, [2012] R.J.D.T. 1250.
  2. Syndicat des salariés(es) de la fromagerie (CSD) et Agropur Coopérative (Daniel Deschênes), (T.A., 2022-10-28), 2022 QCTA 461, SOQUIJ AZ-51890886, 2022EXPT-2454.
  3. Fonderie Horne (Mine Noranda) et Syndicat des travailleurs de la Mine Noranda (Sébastien Chartier), (T.A., 2016-04-06), 2016 QCTA 189, SOQUIJ AZ-51274956, 2016EXPT-1026, D.T.E. 2016T-401.
  4. Syndicat des travailleuses et travailleurs du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal – CSN et Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal (Kernisan Joseph), (T.A., 2023-03-15), 2023 QCTA 119, SOQUIJ AZ-51924244, 2023EXPT-827, A.A.S. 2023A-25.
  5. St-Jean-sur-Richelieu (Ville de) c. Laplante (C.S., 2014-07-02), 2014 QCCS 3182, SOQUIJ AZ-51087290, 2014EXP-2427, 2014EXPT-1427, J.E. 2014-1387, D.T.E. 2014T-546.
  6. Syndicat des professionnelles et professionnels municipaux de Montréal et Ville de Montréal (Martin Boivin), (T.A., 2023-02-13), 2023 QCTA 63, SOQUIJ AZ-51915034, 2023EXPT-474.
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