En 2022 et depuis le début de l’année en cours, les tribunaux se sont prononcés sur des questions intéressantes en matière d’assurance de personnes. Voici les jugements qui ont retenu mon attention.

Assurance-invalidité

Les obligations contractuelles de l’assuré et de l’assureur

L’affaire Desjardins Sécurité financière c. Hébert se distingue par les 2 faits suivants : 1) la véritable cause de l’invalidité de l’assuré, une condition de nature psychiatrique, a été découverte en cours d’instance, bien après que l’assureur eut cessé le versement des prestations d’invalidité prévues par le contrat d’assurance liant les parties, et 2) l’assuré refuse les traitements que pourrait nécessiter cette condition nouvellement révélée.

La police d’assurance-invalidité comporte ordinairement un mécanisme de contrôle de l’état de santé de l’assuré par l’assureur. Ce dernier a le droit de vérifier périodiquement que l’assuré remplit bien et continue de remplir les conditions du versement des prestations, ce qui peut se faire de différentes façons. Par ailleurs, le contrat d’assurance peut exiger que la condition invalidante traitable soit, de fait, traitée, du moins par des moyens raisonnables. Ce genre d’exigence contractualise, en quelque sorte, et adapte au contexte de l’assurance l’obligation de réduire les dommages qui incombe autrement à l’assuré (art. 1479 du Code civil du Québec (C.C.Q.)).

Aux termes de la définition du mot «invalidité» et des exclusions prévues dans la police d’assurance liant les parties, la Cour d’appel a conclu que l’assuré invalide par suite d’une maladie ou d’un accident obtient et conserve les prestations d’invalidité si sa condition est incapacitante, laquelle peut être physique ou mentale, et s’il demeure sous traitement médical et sous les soins réguliers d’un médecin, à moins toutefois que son état ne soit devenu stationnaire, c’est-à-dire qu’il n’est pas susceptible de s’améliorer ou de progresser par l’effet d’un traitement.

Or, la juge de première instance a commis une erreur révisable en concluant que l’assuré remplissait toujours les conditions permettant le maintien de la prestation d’invalidité. En effet, ce dernier a refusé de se soumettre à un suivi ou à un traitement de nature psychologique ou psychiatrique. De plus, la preuve au dossier ne permettait pas d’établir l’état stationnaire de la condition de l’assuré à partir de 2018 ni de conclure que, à cette date, un traitement aurait été inutile.

Cet arrêt confirme également que la juge n’a pas commis d’erreur en condamnant l’assureur à verser 20 000 $ à l’assuré à titre de dommages moraux en réparation du préjudice issu du traitement fautif de sa réclamation d’assurance. Estimant que le litige ne se prêtait pas à l’étude de la transposition de l’arrêt Fidler c. Sun Life du Canada, compagnie d’assurance-vie, au droit québécois, la Cour s’est limitée à suggérer que l’article 1617 C.C.Q., que l’on pourrait voir comme une exception à l’article 1613 C.C.Q., semble a priori militer contre une telle transposition en limitant à l’intérêt le préjudice et la réparation issus du «retard» dans l’exécution de l’obligation de verser une somme d’argent, retard qui comprend l’omission de verser une prestation d’assurance-invalidité. L’article 1617 C.C.Q. serait donc un obstacle à l’attribution d’indemnités autres que l’intérêt, sauf stipulation contraire. En l’espèce, il n’y avait pas une telle stipulation dans la police d’assurance liant les parties.

L’invalidité totale: l’incapacité d’accomplir les tâches importantes liées à la profession

 Le 23 août 2022, la Cour d’appel a conclu qu’une police d’assurance, comme tout autre contrat, doit être lue en envisageant le texte dans son ensemble, et ce, que le libellé de la disposition en cause soit ou non ambigu. Le juge de première instance a alors commis une erreur de droit en refusant d’interpréter la notion d’«invalidité totale» en tenant compte des définitions d’«invalidité partielle» et d’«invalidité résiduelle». Selon la Cour, une simple lecture des définitions des 3 types d’invalidité couverts par la police d’assurance permettait de conclure, en donnant aux mots leur sens ordinaire, que l’assuré doit être incapable d’exercer l’ensemble des tâches importantes de sa profession pour être déclaré totalement invalide, et non seulement certaines d’entre elles.

D’autre part, en vertu de la formulation initiale (avant l’avenant), l’assuré, pour être totalement invalide, devait être incapable d’accomplir les tâches importantes de sa profession et ne devait pas exercer d’activité rémunératrice. L’avenant reprend essentiellement la même définition, mais en retire l’exigence de ne pas exercer une activité rémunératrice. Or, alors que l’exercice de la profession constitue l’exercice d’une activité rémunératrice, l’inverse n’est pas forcément vrai: exercer une activité rémunératrice ne constitue pas nécessairement l’exercice de la profession. L’avenant a donc eu pour seul effet de permettre à l’assuré de recevoir des prestations d’invalidité totale même s’il exerce une activité rémunératrice, laquelle ne peut toutefois être sa profession puisque le fait que l’assuré exerce sa profession est inconciliable avec son incapacité d’accomplir les tâches importantes de celle-ci.

Dans cette affaire, l’assuré était incapable d’exercer certaines tâches importantes de sa profession, mais il était capable d’en exercer d’autres. Il exerçait d’ailleurs toujours sa profession de chirurgien orthopédiste et bénéficiait des privilèges requis pour le faire. L’assuré ne satisfaisait donc pas à la définition d’«invalidité totale» contenue à sa police d’assurance-invalidité.

Le même jour, la Cour d’appel, dans une affaire similaire, a estimé qu’une simple lecture des définitions pertinentes de la police d’assurance liant les parties permettait de conclure, en donnant aux mots leur sens ordinaire, que l’assuré devait être incapable d’exercer l’ensemble des tâches importantes de sa profession pour être déclaré totalement invalide puisque ce sont les tâches de sa profession qu’il doit être incapable d’exercer et non plusieurs, certaines, la plupart ou encore tout simplement des tâches. Selon la Cour, en utilisant l’expression «les tâches», la police d’assurance exprime clairement l’idée que l’assuré doit être incapable d’exercer l’ensemble des tâches importantes de sa profession et non seulement certaines d’entre elles. L’incapacité d’accomplir l’ensemble des tâches importantes d’une profession est d’ailleurs incompatible avec le fait d’en poursuivre l’exercice.

Même si l’assuré ne pouvait plus exercer la profession de médecin de famille dans le Nord-du-Québec vu ses limitations et les exigences propres à ce milieu, il était en mesure de l’exercer ailleurs, notamment à Granby, ce qu’il faisait à sa clinique de médecine sportive. Dans ce contexte, il n’était pas possible d’affirmer qu’il ne pouvait plus exercer les tâches importantes de la profession de médecin de famille.

L’occupation rémunératrice: l’emploi de réadaptation

Dans Boucher c. Industrielle Alliance, assurance et services financiers inc., la juge Picard a conclu que la perte du droit aux prestations d’assurance-salaire en raison de l’exercice d’une occupation rémunératrice découle du fait que la personne qui reprend le travail peut difficilement être considérée comme invalide. Par ailleurs, l’exception liée à l’exercice d’un «emploi de réadaptation» permet de ne pas pénaliser le participant qui effectue des tentatives de retour progressif au travail dans le but de faire évoluer favorablement sa situation et de déterminer si ses limitations persistent véritablement «en pratique». La juge a alors estimé que le travail rémunéré que l’assuré avait exécuté était assimilable à un «emploi de réadaptation» et ne pouvait, en conséquence, entraîner la fin du versement de ses prestations d’assurance-salaire de longue durée.

Assurance-vie

La clause d’exclusion de garantie en cas de suicide

Le 23 février 2023, le juge Lalonde, de la Cour supérieure, a estimé que l’exclusion précise et expresse relative au suicide de l’assuré doit se trouver sous un titre approprié indiquant clairement les exclusions et les réductions de la garantie en les regroupant (art. 2404 et 2441 C.C.Q.). Dans cette affaire, la clause litigieuse n’était pas désignée clairement comme une clause d’exclusion expresse; elle se trouvait dans la section «Dispositions générales». Le juge a donc conclu qu’elle était nulle, sans effet et inopposable aux bénéficiaires demandeurs. Ceux-ci ont eu droit à l’indemnité d’assurance, soit 1,5 million de dollars, et ce, même si le suicide de l’assuré était survenu à l’intérieur du délai de 2 ans prévu à l’article 2441 C.C.Q. Ce jugement a été porté en appel.

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