La Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles ne définit pas ce qui constitue un événement imprévu et soudain. C'est la jurisprudence qui a tracé les contours de cette notion. En matière de lésion psychologique, depuis de nombreuses années, la quasi-totalité des décideurs exigeaient que l'événement ou la série d'événements allégués être à l'origine de la lésion présente un caractère objectivement traumatisant. Or, cette façon de faire a été remise en question et un nouveau courant jurisprudentiel a fait son apparition.
Preure et Centre de services scolaire de Montréal
Il s'agit de la décision à l'origine de ce courant. Elle a été rendue en janvier 2022 par le juge administratif Philippe Bouvier. Essentiellement, ce dernier considère que, en exigeant que les circonstances invoquées soient objectivement traumatisantes, on dénature la notion d'«événement imprévu et soudain», en plus de faire reposer sur le travailleur un fardeau de preuve plus élevé que celui de la prépondérance des probabilités. Le juge administratif souligne également que, en exigeant que les circonstances soient objectivement traumatisantes, on introduit, à l'étape de l'analyse de l'événement imprévu et soudain, une dimension de causalité qui doit être appréciée dans une seconde étape, soit lorsqu’un tel événement est démontré.
Le juge administratif poursuit en précisant que, en matière de lésion psychologique, l'événement imprévu et soudain réside plutôt dans la singularité des situations vécues par le travailleur au sein de son milieu de travail. Cette singularité doit s'apprécier en tenant compte, notamment, de la nature du milieu de travail et de ses particularités, d'un changement dans les comportements ou de l'élaboration de nouvelles exigences professionnelles, comportementales ou disciplinaires visant le travailleur.
Charron et Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal – Centre hospitalier de Verdun
La juge administrative Danielle Tremblay a été la première à avaliser l'opinion du juge administratif Bouvier dans une décision rendue en octobre suivant, tout en apportant certaines précisions.
Cette dernière a retenu que l'événement imprévu et soudain devait posséder un caractère objectivement singulier -- tout comme le juge administratif Bouvier --, mais elle a ajouté «ou un caractère objectivement particulier».
La juge administrative souligne qu'il ne faut pas imposer aux travailleurs, en matière de lésion psychologique, un fardeau de preuve plus lourd que ceux applicables à une lésion de nature physique. Elle mentionne, à juste titre, qu'il est rare que les lésions psychologiques surviennent à la suite d'un événement unique ou violent. Celles-ci sont au contraire bien plus souvent le résultat cumulatif d'une série d'événements, en apparence bénins, sur l'état psychologique d'un travailleur. Ce sont les raisons pour lesquelles la juge administrative écarte le terme «traumatisant» pour décrire et apprécier le fardeau de preuve applicable.
Hénault et Institut de cardiologie de Montréal
Le juge administratif Guillaume Saindon leur a emboîté le pas dans une décision rendue en novembre suivant. Il s'en est remis à la recherche d'un événement ou d'une série d'événements particuliers, anormaux, inhabituels ou singuliers. Il a précisé que l'utilisation de ces termes évitait d'«étirer» les termes prévus à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles et de rechercher uniquement un événement exceptionnel, extraordinaire ou violent.
Vigneault et Municipalité de Cantley
Le juge administratif Jason W. Downey s'est également prononcé sur la question. Il a retenu que l'approche préconisée par le courant jurisprudentiel récent était louable dans la mesure où l'on tentait de freiner le recours à l'idée d'un traumatisme psychique. Le juge administratif a toutefois précisé qu'il adhérait à l'approche selon laquelle il faut vérifier si les circonstances ou les comportements subis par un travailleur sont «traumatisants» en soi, et ce, de façon objective. Il est d'avis que le fardeau de preuve incombant au travailleur n'est pas dénaturé par la nécessité pour celui-ci de démontrer qu'il avait vécu une situation ou subi des comportements qui sont choquants, bouleversants ou perturbants et que cela ne révèle pas de sa seule perception subjective.
Patenaude et Centre de services scolaire des Hautes-Rivières
Le juge administratif Bruno Boucher s'est rallié au nouveau courant jurisprudentiel. Il a notamment rappelé que, en matière de lésion physique, la jurisprudence n'exige pas qu'un événement revête une gravité objective afin qu'il soit considéré comme imprévu et soudain.
Le juge administratif a également remis en question l'utilité du critère du «cadre normal et habituel du travail» (paragr. 7). Il faut toutefois noter que sa décision fait l'objet d'une requête en révision. Deux décideurs se sont prononcés sur cette partie de la décision du juge administratif Boucher et ils ne partagent pas l'avis de ce dernier (voir Davidson et Institut de cardiologie de Montréal et Bonneau et CSH Ste-Marthe inc.).
Bonneau et CSH Ste-Marthe inc.
Dans cette décision toute récente, le juge administratif Hugues Magnan souligne qu'il ne rejette pas la nouvelle approche, mais qu'il considère que l'événement particulier, anormal, inhabituel ou singulier doit tout de même revêtir un caractère suffisamment important pour affecter objectivement la psyché d'un individu. Il rappelle que la notion d’«événement imprévu et soudain» s’appliquait initialement à des lésions physiques, et qu’il faut l’adapter, sans toutefois la dénaturer, aux lésions psychologiques. Le juge administratif considère que l'approche retenue dans Vigneault répond à cet objectif.
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Plusieurs autres décideurs se sont prononcés depuis l'affaire Preure. Certains ont continué à adopter l'approche traditionnelle alors que d'autres se sont ralliés au nouveau courant jurisprudentiel.
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Ce n’est pas trop tôt…,…
Je dirais que : La CNESST considère que les lettres de reproches adressées au travailleur est un droit de gérance qui ne peut être évoqué comme du harcèlement. Pourtant, Les RH semblent ne pas avoir à prouver les allégations qu’ils y inscrivent…Si l’employé est en mesure de contester et que le gestionnaire est incapable de prouver ses allégations, ces lettres constituent bel et bien du harcèlement…