Le parc Michel-Chartrand est un milieu naturel situé en ville abritant une population de cerfs de Virginie qui, malheureusement, dépasse largement sa capacité d’accueil. Cette situation a mobilisé la Ville de Longueuil et ses citoyens, des organismes voués à la protection des animaux ainsi que nos tribunaux.

Mise en contexte

Faisant face au problème de surpopulation, la Ville de Longueuil adopte une résolution qui mène à la délivrance, par le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs, d’un permis autorisant une chasse contrôlée à l’arbalète d’un maximum de 100 cerfs.

Les demandeurs, une citoyenne de Longueuil et l’organisme Service Sauvetage Animal, déposent alors un pourvoi en contrôle judiciaire pour obtenir l’annulation de la résolution de la Ville et du permis. Ils sollicitent également une ordonnance de sauvegarde pour empêcher cette chasse contrôlée pendant l’instance.

La demande d’ordonnance de sauvegarde

La Cour supérieure reconnaît que les demandeurs ont la qualité pour agir dans l’intérêt public; ils ont un intérêt réel dans le sort du cheptel et à faire trancher la question de la légalité de la décision de la Ville. Cela dit, même si les critères de l’apparence de droit et du préjudice irréparables sont remplis, celui de la prépondérance des inconvénients penche nettement en faveur de la Ville. En effet, la décision attaquée favorise l’intérêt public en ce qu’elle permet le rétablissement et le maintien de l’équilibre écologique du parc Michel-Chartrand, la réduction du risque d’accidents d’automobile et la réduction du risque de propagation de maladies. Le tribunal n’accorde donc pas le sursis demandé.

La Cour d’appel retient que le juge de première instance, par sa décision, a rendu le pourvoi en contrôle judiciaire sans objet, qu’il a accordé un poids trop important au critère de l’intérêt public dans son examen du critère de la prépondérance des inconvénients et qu’il s’est mépris sur la dimension temporelle de l’analyse de ce même critère. Notant ensuite que la population du cheptel serait relativement stable jusqu’à la date prévue pour l’instruction du pourvoi en contrôle judiciaire, que le préjudice invoqué par la Ville ne devrait pas s’aggraver et que celui lié à un abattage des cerfs serait irréparable, la Cour accorde le sursis d’exécution.

Le pourvoi en contrôle judiciaire

Au soutien de leur pourvoi, les demandeurs font essentiellement valoir: 1) que la Ville et le Ministère ont adopté la méthode de la chasse contrôlée à l’arbalète sans effectuer une véritable consultation des citoyens ni obtenir l’avis d’experts en bien-être animal; 2) que leur choix de la méthode de chasse est arbitraire, n’a pas de fondement raisonnable et manque gravement de transparence; et 3) que leur évaluation des options possibles pour gérer le cheptel de cerfs est incohérente et ne tient pas compte de l’intérêt à vivre de ces animaux.

Le juge Jolin, de la Cour supérieure, rejette le pourvoi. D’abord, il fait valoir que la Ville et le Ministère n’avaient pas une obligation d’équité procédurale envers les demandeurs ou les cerfs et qu’ils n’avaient donc pas l’obligation de faire appel à un expert en bien-être animal ni de consulter la population avant de prendre leur décision. Il conclut ensuite que la résolution et la délivrance du permis n’étaient pas déraisonnables. En effet, si l’article 898.1 du Code civil du Québec (C.C.Q.) reconnaît que les animaux sont des êtres doués de sensibilité, il ne reconnaît toutefois pas leur intérêt à vivre ou leur droit à cet effet. Il n’impose pas non plus de privilégier des méthodes de contrôle qui assurent leur maintien en vie plutôt que les méthodes létales. Cette disposition n’interdit donc pas en soi l’abattage ou l’euthanasie d’un animal qui constitue une nuisance ou encore qui présente un danger indu, quoiqu’il faille s’assurer d’agir dans le respect de la sensibilité de l’animal et d’une manière aussi douce et rapide que possible. La Cour note que, dans le présent dossier, la situation pose des risques pour la santé et la sécurité des personnes et influe négativement sur l’écosystème du parc et que rien ne permet de conclure que la chasse contrôlée à l’arbalète se veut la méthode la plus cruelle et la plus douloureuse de mettre à mort les cerfs.

Le mois dernier, la Cour d’appel a refusé d’autoriser un appel articulé autour de l’interprétation de l’article 898.1 C.C.Q. D’une part, elle a indiqué que, même si le juge Jolin avait commis une erreur quant à la portée de l’obligation d’équité procédurale, elle ne serait pas en mesure d’intervenir afin de réformer sa conclusion factuelle selon laquelle la Ville avait effectivement donné à Sauvetage Animal Rescue l’occasion de faire valoir son point de vue et qu’elle avait aussi consulté des experts sur la question du bien-être animal. D’autre part, la Cour a constaté que des solutions de rechange avaient été évaluées sérieusement par la Ville avant d’être écartées. Enfin, elle a noté que la prétention voulant que l’abattage d’un animal constituant une nuisance ou un danger ne peut être envisagé, compte tenu de l’article 898.1 C.C.Q., avait été expressément écartée dans Road to Home Rescue Support c. Ville de Montréal.

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