Au moment d’écrire ce billet, les enseignants et enseignantes du Québec sont sans convention collective. Des milliers d’entre eux sont en grève. Les revendications ne sont pas exclusivement salariales, mais touchent également les conditions dans lesquelles les enseignants et enseignantes doivent effectuer leur travail. Ces conditions sont telles qu’elles sont parfois à l’origine de lésions professionnelles psychologiques. La jurisprudence du Tribunal administratif du travail regorge d’exemples concrets, dont certains sont ici examinés.

D’aucuns diront que, dans ces exemples, le Tribunal a reconnu que les conditions dans lesquelles travaillaient les enseignants ou les enseignantes sortaient du contexte normal du travail. Il n’en demeure pas moins que de plus en plus de dossiers touchant le personnel enseignant se retrouvent devant le Tribunal et que, dans bien des cas, l’employeur prétend qu’il s’agit de conditions normales de travail.

Composition des classes

M.D. et Centre de services scolaire A

Dans cette affaire, un trouble de l’adaptation avec humeur anxio-dépressive a été reconnu à titre de lésion professionnelle chez une enseignante de quatrième année du primaire. Le Tribunal a constaté une superposition d’événements vécus par l’enseignante en septembre et octobre 2020 dans une classe «surchauffée et devenue incontrôlable» (paragr. 30). Cette classe régulière, et non pas spécialisée, comportait 11 élèves en difficultés comportementales ou scolaires et 4 autres élèves présentant des difficultés scolaires sur un total de 24 à 26 élèves. Le ratio d’élèves demandant une attention spéciale dépassait donc 50 % de la classe. Malgré l’aide de la technicienne en éducation spécialisée, de l’orthopédagogue, de la stagiaire en psychoéducation et de la directrice, la situation est devenue intenable pour l’enseignante.

E.F. et Centre de services scolaire A

Dans cette affaire, un trouble de l’adaptation avec humeur anxio-dépressive a été reconnu à titre de lésion professionnelle chez une enseignante au préscolaire. La classe était composée d’élèves très exigeants et perturbateurs, dont certains présentaient des comportements impulsifs, explosifs et potentiellement violents. Elle comportait également des élèves qui nécessitaient une aide particulière. L’enseignante a témoigné que «les activités normales d’apprentissage étaient pratiquement «chamboulées, mises de côté». Une grande partie de son temps était consacrée à gérer des conflits et d’autres situations problématiques» (paragr. 38).

R.G. et Centre de services scolaire A

Dans cette affaire, un trouble de l’adaptation a été reconnu chez une enseignante au primaire. Le Tribunal a retenu que le fait que cette dernière enseignait dans un milieu multiculturel et défavorisé rendait d’emblée la tâche plus difficile en obligeant cette dernière à adapter de manière importante ses méthodes pédagogiques. De plus, sur les 26 élèves de la classe, 9 de ceux-ci faisaient l’objet d’un plan d’intervention. Le Tribunal a considéré que les tâches de l’enseignante étaient plus importantes, sur le plan tant quantitatif que qualificatif, que celles de ses collèges de même niveau. 

Violence

Racette et Centre de services scolaire des Portages-de-l’Outaouais

Dans cette affaire, un syndrome de stress post-traumatique a été reconnu à titre de lésion professionnelle chez une enseignante du préscolaire. Les situations vécues par celle-ci ont été reconnues comme étant objectivement traumatisantes. La classe de la travailleuse comportait 19 élèves, dont plusieurs présentaient des problèmes particuliers. Un enfant était malentendant, 2 enfants avaient des problèmes de comportement et 1 autre était anxieux et réagissait fortement à certaines situations. À ce groupe s’ajoutait un enfant de 5 ans qui se sauvait, crachait, frappait, donnait des coups de pied ainsi que des coups de poing et criait. Il touchait également les fesses et les seins de l’enseignante. Plusieurs interventions ont dû être effectuées tous les jours et plusieurs fois par jour, dont certaines nécessitaient des contentions afin de maîtriser cet enfant. L’enfant a même mordu l’intérieur de la cuisse de l’enseignante. Le Tribunal a notamment souligné «[qu’]il apparaît exceptionnel qu’un directeur d’école doive intervenir au service de garde à deux reprises pour maîtriser un enfant de cet âge et qu’il doive effectuer une contention qui lui a occasionné des ecchymoses» (paragr. 49).

Par ailleurs, à la suite d’une inondation, et bien que l’employeur ait tout fait pour réduire les conséquences de celle-ci, l’école et les locaux du préscolaire étaient lourdement endommagés et les travaux n’étaient pas terminés lors de la rentrée scolaire. Il y avait du retard dans la livraison de l’ameublement et du matériel. L’enseignante a également eu à gérer cette situation stressante.

Menaces de mort

K.R. et Centre de services scolaire A

Dans cette affaire, un trouble anxieux a été reconnu à titre de lésion professionnelle chez une enseignante du primaire. Le Tribunal a retenu que les menaces de mort proférées à son endroit par l’un de ses élèves, âgé de 7 ans, jumelées à la charge d’enseignement qui avait été amplifiée par les comportements inadéquats et perturbateurs de ce dernier, étaient à l’origine de la lésion.

Concernant cet élève, on peut lire au jugement «[qu’]il bouge beaucoup, coupe la parole, crie, chante et a de la difficulté à rester assis. Lorsqu’il se désorganise dans la classe, il marche à quatre pattes en criant et en crachant. Il s’approche très près des élèves (dans leur bulle), utilise les crayons comme des griffes et leur passe sa main à proximité du visage. Il brise son matériel et perturbe le fonctionnement de la classe. Il est imprévisible et impulsif et il est impossible de prévoir ses comportements. En dehors de la classe, il n’a pas d’amis et est irrespectueux envers les autres. Il recherche la compagnie des élèves de cinquième année et cherche à les défier. Les élèves ont peur de ce qu’il peut leur faire» (paragr. 32 et 33).

Alors que l’enseignante se trouvait à la porte de sa classe pour accueillir sa classe, une élève l’a avisée que l’élève problématique avait apporté des couteaux pour la tuer. La travailleuse a commencé sa journée, mais indique qu’elle ne se peut rappeler ce qui s’est passé par la suite. Tout ce dont elle se souvient, c’est que l’élève en question était dans la classe et que personne n’est venu la voir pour l’informer de la situation ou lui demander si elle allait bien.

Kaouadji et Centre de services scolaire des Portages-de-l’Outaouais

Dans cette affaire, un stress aigu et une dépression ont été reconnus à titre de lésion professionnelle chez un enseignant du secondaire. Alors que ce dernier se déplaçait dans le corridor, il a interpellé un élève qui ne respectait pas le code vestimentaire. Ce dernier lui a répondu «viens dans ma ville, mes cousins vont t’égorger» (paragr. 18). Le Tribunal a retenu que le fait que ces menaces étaient conditionnelles ou difficilement réalisables et qu’elles ne revêtaient pas une dangerosité immédiate n’était pas des éléments pertinents, des menaces de mort restant des menaces de mort.

Aide inadéquate

S.C. et Commission scolaire A

Dans cette affaire, un trouble de l’adaptation avec crises de panique récurrentes sur des antécédents personnels de problèmes psychologiques et une fragilité marquée a été reconnu à titre de lésion professionnelle chez une enseignante au secondaire auprès d’élèves autistes. Cette dernière avait été jumelée à une technicienne en éducation spécialisée n’ayant pas d’expérience en matière d’autisme. Non seulement la technicienne n’a pas apporté l’aide attendue et appropriée, mais elle a nui au groupe d’élèves par son inaction ainsi que par ses interventions inadéquates, ses retards et ses oublis fréquents. Ces situations ont entraîné un surplus de travail pour l’enseignante, un climat malsain, un stress important et même des conséquences pour les élèves.

Désorganisation ponctuelle d’une classe

Dakkaki et Centre de services scolaire de Montréal

Dans cette affaire, un trouble de l’adaptation avec humeur anxio-dépressive et un syndrome de stress post-traumatique ont été reconnus à titre de lésion professionnelle. La travailleuse enseignait au secondaire dans un milieu scolaire difficile. Alors qu’elle avait refusé à une élève la permission de sortir pendant le cours pour aller aux toilettes, la classe s’est désorganisée.

L’enseignante a témoigné ainsi:

«[25] […] il y avait beaucoup de rage sur le visage des élèves, des regards agressifs. Elle s’est sentie «bousculée psychiquement». Des commentaires sur son physique lui ont été faits, des bruits d’animaux se sont fait entendre, des propos reliés à une relation sexuelle ont été émis. Certains élèves se sont «déchaînés».»

À un certain moment, elle ne voyait plus que des bouches s’ouvrir, elle regardait le non-verbal, elle n’était plus capable d’entendre quoi que ce soit et elle avait «comme du brouillard dans les yeux» (paragr. 26). Elle est restée dans «le cadre de la porte» (paragr. 26), attendant du secours et pleurant comme une enfant, selon ses termes. Elle était «sous le choc» et n’avait plus ses compétences pour bien réfléchir. Elle était «morte de peur» (paragr. 26).

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