Au cours des dernières années, des actions collectives ont été exercées à l’encontre de municipalités à titre de commettantes pour la responsabilité extracontractuelle de leurs policiers.

L’action collective est un véhicule procédural qui permet à un représentant d’entreprendre, avec l’autorisation du tribunal, un recours au nom de toutes les personnes qui se trouvent dans une même situation. Afin d’avoir gain de cause, le représentant et les membres du groupe doivent démontrer que les policiers ont engagé leur responsabilité civile.

Principes généraux de la responsabilité policière

Les principes généraux qui régissent la responsabilité des forces policières en droit québécois ont été précisés par la Cour suprême dans l’arrêt Kosoian c. Société de transport de Montréal (p. 336-337):

Pour accomplir leur mission, soit de maintenir la paix, l’ordre et la sécurité publique, les policiers sont appelés à restreindre les droits et libertés des citoyens en recourant au pouvoir coercitif de l’État. Puisque le risque d’abus est indéniable, il importe que les actes des policiers trouvent en tout temps un fondement juridique; à défaut de telles justifications, leur conduite est illégale et ne saurait être tolérée. Les policiers sont conséquemment astreints, dans l’exercice de leurs pouvoirs, à des règles de conduite exigeantes visant à prévenir l’arbitraire et les restrictions injustifiées aux droits et libertés. Lorsqu’un policier s’écarte de ces règles, il ne bénéficie d’aucune immunité de droit public. En droit québécois, comme tout autre justiciable, le policier est tenu responsable civilement du préjudice qu’il cause à autrui par une faute, conformément à l’art. 1457 C.c.Q., qui impose à toute personne «le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s’imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui». Le policier commet une faute civile lorsqu’il se comporte d’une manière qui s’écarte de la conduite qu’un policier raisonnable placé dans les mêmes circonstances aurait eue. La conduite policière doit être évaluée selon le critère du policier normalement prudent, diligent et compétent placé dans les mêmes circonstances; ce critère reconnaît le caractère largement discrétionnaire du travail policier.

[Nos soulignements.]

Quelques cas d’application

Saint-Laurent c. Ville de Québec

Dans cette affaire, 3 demandeurs ont chacun introduit une action collective contre la Ville de Québec au nom des personnes qui ont été arrêtées ou détenues lors de manifestations tenues dans le contexte de la grève étudiante québécoise de 2012 (le «printemps érable»). À ces occasions, les membres des groupes ont tous répondu à une invitation de manifester, ils ont participé à une manifestation qui a été déclarée illégale par le Service de police de la Ville de Québec, ils ont été arrêtés et filmés dans un but d’identification, ils ont été menottés, détenus puis libérés après quelques heures, à la suite d’un déplacement dans un autobus du Réseau de transport de la Capitale, et, enfin, ils ont reçu des constats d’infractions quelques jours après leur arrestation et leur détention.

Puisque les faits à l’origine des recours, lesquels ont été introduits en mai 2015, étaient connus depuis chaque manifestation, donc respectivement depuis les 23 mai, 28 mai et 5 juin 2012, le juge a conclu que l’application du délai de prescription de 6 mois prévu à l’article 586 de la Loi sur les cités et villes faisait en sorte que les recours étaient prescrits à partir du 24 novembre, du 29 novembre et du 6 décembre 2012. Malgré cette conclusion, le juge a analysé les fautes reprochées aux policiers municipaux.

En ce qui concerne les mesures de contention, il n’a pas été démontré que les personnes arrêtées avaient résisté à leur arrestation ni que l’une de celles-ci avait des antécédents judiciaires en matière de violence. La Ville a donc porté atteinte sans justification aux droits des membres des groupes à la liberté et à la protection contre la détention arbitraire prévus aux articles 7 et 9 de la Charte canadienne des droits et libertés en utilisant des mesures de contention lors des manifestations.

Quant au déplacement des membres, il s’agissait du moyen le plus approprié. En effet, la présence d’autres personnes en dehors du lieu immédiat où étaient encerclés les membres des groupes laissait entrevoir la possibilité d’une poursuite de l’infraction.

Enfin, le juge a estimé que, en l’absence d’un début de preuve indiquant un danger lors de la détention, les policiers ont commis une faute puisque l’usage de mesures de contention ne paraissait pas nécessaire dans les circonstances des manifestations décrites lors de l’instruction. La responsabilité de la Ville est aussi engagée, car il est indéniable que les policiers agissaient pour elle dans l’exercice de leurs fonctions.

Bilodeau c. Ville de Gatineau

Le 19 avril 2012, à l’occasion d’une manifestation contre la hausse des frais de scolarité, les membres du groupe ont été arrêtés par le Service de police de la Ville de Gatineau alors qu’ils occupaient la cafétéria de l’Université du Québec en Outaouais.

Selon le juge, les policiers n’ont pas commis de faute en procédant à l’arrestation des manifestants puisqu’ils pouvaient légitimement entretenir la conviction que ceux-ci commettaient l’infraction de méfait par occupation. Les policiers ont cependant commis 2 fautes pendant la période au cours de laquelle les manifestants étaient détenus dans la cafétéria. Premièrement, ils ont omis d’aviser ceux-ci, dès leur détention effective ou dans les minutes qui ont suivi, de leur droit à l’assistance d’un avocat. Dans les faits, cet avis a été donné après 59 minutes, alors que la situation était maîtrisée dès le départ.

Deuxièmement, les policiers ont refusé à tous les manifestants l’accès aux toilettes pendant leur période de détention dans l’université. Or, refuser sans raison valable à une personne d’assouvir un besoin fondamental constitue assurément une atteinte à sa dignité et même à sa sécurité. Les manifestants ont alors subi un préjudice commun, même si celui-ci n’a pas eu la même intensité pour chacun d’eux.

Toutefois, les policiers n’ont pas commis de faute lorsqu’ils ont procédé à la fouille et à la saisie d’effets personnels, lorsqu’ils ont menotté les manifestants et lorsqu’ils ont procédé à leur transport. En ce qui a trait à l’angoisse et au stress vécus par ces derniers, le juge a rappelé que le droit de manifester comporte certains risques, dont celui de faire face à la police et au système judiciaire. Ces sentiments ne sont pas reliés à une conduite fautive des policiers, non plus que l’atteinte à leur réputation, que les manifestants ont également invoquée. Quant au sentiment d’insécurité ressenti par les membres, les conséquences qui découlent d’une arrestation légale n’entraînent pas la commission d’une faute.

Chacun des membres a eu droit à une indemnité totalisant 1 250 $ à titre de dommages-intérêts et de dommages punitifs.

Moreault c. Ville de Québec

Le 17 juin 2022, la Cour d’appel a conclu que le juge de la Cour supérieure n’avait pas commis d’erreur en rejetant une action collective qui alléguait que des policiers de la Ville de Québec avaient adopté des comportements fautifs à l’occasion d’une manifestation tenue le 24 mars 2015. Celle-ci avait été déclarée illégale par les policiers en vertu du premier paragraphe de l’article 19.2 du règlement R.V.Q. 1091 sur la paix et le bon ordre de la Ville de Québec au motif qu’aucun itinéraire de la marche n’avait été fourni. Les policiers avaient donné 3 avis de dispersion et de manifestation illégale à la foule, puis avaient procédé à l’arrestation de manifestants.

En se référant au critère du «policier raisonnable», il n’était pas fautif pour les policiers d’agir comme ils l’ont fait afin de faire cesser la manifestation illégale. Quant aux fouilles, l’article 19.2 du règlement était valide et opérant au moment des événements, de sorte que les arrestations étaient légales. Les policiers pouvaient donc procéder à des fouilles accessoires aux arrestations, lesquelles répondaient à un objectif valable, soit d’assurer la sécurité des policiers dans le contexte d’une manifestation ayant donné lieu à un certain affrontement.

Ligue des Noirs du Québec c. Ville de Montréal

En 2019, la Cour supérieure a autorisé l’exercice d’une action collective contre la Ville de Montréal fondée sur le profilage racial dans le contexte d’une intervention proactive d’un policier de la Ville. Nous vous tiendrons au courant des dénouements de cette affaire, laquelle ne fait pas l’objet d’un jugement au fond ni d’une entente de règlement.

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