Dans un billet récent, j’ai traité de la nouvelle tendance jurisprudentielle relative au fardeau de la preuve en matière de lésion professionnelle de nature psychologique. Selon celle-ci, il n’est plus nécessaire de rechercher le caractère objectivement traumatisant de l’événement imprévu et soudain. Les décideurs de ce nouveau courant retiennent que l’événement doit plutôt présenter un caractère singulier, anormal ou inhabituel.

Depuis la parution de mon billet, certains décideurs ont retenu qu’il ne s’agissait pas réellement d’une nouvelle tendance jurisprudentielle, mais plutôt d’une question sémantique.

Notamment, dans Julien et Corporation d’Urgences-Santé, la juge administrative a examiné ce que les décideurs entendaient réellement en développant la notion du «caractère objectivement traumatisant» (paragr. 39). Elle a retenu que ce qui était plutôt recherché par ce concept était de distinguer l’existence de stresseurs présentant un caractère réel, concret et identifiable, par opposition à des croyances subjectives d’un travailleur ou encore à des facteurs endogènes.

Dans Résidence Charles Gabriel inc. et Viau, la juge administrative écrit ceci: «l’idée de rechercher un événement qui sort du cadre normal du travail et qui n’est pas le résultat de la seule perception subjective d’un travailleur demeure les caractéristiques recherchées afin de conclure à l’existence d’un événement imprévu et soudain» (paragr. 13).

Qu’en est-il de cette perception subjective?

Dans la jurisprudence, il y a abondance de cas où il est question de la perception des travailleurs devant l’attitude d’un nouveau supérieur ou de collègues. Il en est de même à l’égard des modifications apportées aux conditions de travail à la suite d’une restructuration d’entreprise, par exemple. Dans ce genre de décisions, la perception subjective des travailleurs est plus facile à cerner.

Récemment, 2 décisions ayant traité de la perception des travailleurs dans un contexte tout autre ont retenu mon attention:

Centre de services scolaire A et M.B.

La travailleuse occupait un poste de technicienne en éducation spécialisée dans une école. Elle a fait un signalement à la Direction de la protection de la jeunesse concernant le cadet d’une fratrie de 3 enfants. Le père de ce dernier a téléphoné à la secrétaire de l’école et lui a dit, en des termes impolis, qu’il se rendait sur place pour trouver qui avait fait le signalement et retirer ses enfants de l’école, ajoutant qu’il ne craignait pas les policiers. La secrétaire a averti la directrice et la travailleuse.

Les mesures suivantes ont alors été mises en place: les portes donnant accès à l’école ont été verrouillées, les élèves ont été temporairement confinés dans leur salle de classe et des policiers se sont présentés sur les lieux. La travailleuse n’était pas présente dans le stationnement de l’école où a été interpellé le père et elle n’a pas été témoin du comportement de ce dernier envers les policiers.

À l’audience, la travailleuse a affirmé s’être «sentie» responsable, coupable et en danger au point de craindre pour sa sécurité, pour sa vie ainsi que celle de sa famille et des enfants visés. Le Tribunal a retenu qu’il s’agissait là de la perception subjective de la travailleuse. Par contre, il a estimé que les actions entreprises et l’ampleur des moyens déployés par la directrice, en quelques minutes à peine, avaient teinté la perception de la travailleuse et influé sur son comportement et sur sa réaction. Le juge administratif a souligné que «l’exercice qui consiste, a posteriori, de surcroît, à déterminer la séquence des événements et à y relever des incohérences ne peut éliminer la spontanéité, l’excitation et l’effervescence du moment, la nature des décisions prises, l’ampleur des moyens déployés et leur [effet direct] sur la perception, le comportement et la réaction de la travailleuse» (paragr. 49).

La survenance d’un événement imprévu et soudain ayant entraîné un stress post-traumatique a été reconnue.

Sauvé et Général Dynamics produits de défense et systèmes tactiques – Canada Valleyfield inc. 

Le travailleur occupait un poste de chef opérateur au service de la décontamination dans une entreprise de fabrication de produits balistiques et d’explosifs. Une pièce qu’il avait décontaminée a explosé chez un sous-traitant et a blessé gravement un travailleur.

Même si les parties admettaient que l’explosion pouvait constituer un événement imprévu et soudain, le Tribunal a retenu que c’est la succession des événements secondaires à cette explosion qui constituait l’événement imprévu et soudain. Il est notamment question d’une rencontre à laquelle participaient plusieurs intervenants de différents milieux et où le travailleur a été mis sur la sellette dans le contexte d’une enquête sur les causes de l’explosion.

L’employeur prétendait principalement que la culpabilité du travailleur découlait de sa perception des événements, alors que, objectivement, sa responsabilité n’avait jamais été mise en cause. Le Tribunal a rejeté cet argument en soulignant que toute l’attention qu’avait reçue le travailleur de la part de collègues, de son contremaître ou d’autres membres du personnel chez l’employeur témoigne du caractère objectivement significatif et particulier des événements.

La survenance d’un événement imprévu et soudain ayant entraîné une aggravation d’une anxiété généralisée a été reconnue.

Conclusion

À mon avis, il y a fort à parier que nous verrons de plus en plus de décisions où le Tribunal s’attardera plus longuement sur cette notion de «perception subjective» qui, comme nous l’avons vu dans les 2 décisions mentionnées précédemment, a été examinée en prenant en considération les faits objectifs entourant celle-ci au moment des événements.

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