Dans une affaire portée en contrôle judiciaire (Hydro-Québec et Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau d'Hydro-Québec, SCFP, section locale 2000), un arbitre de griefs a substitué une suspension de 18 mois à un congédiement et a transformé des suspensions sans solde en suspensions avec solde.

La Cour supérieure a récemment estimé que cette sentence ne passait pas la norme de la décision raisonnable.

L’essence de sa décision est contenue dans cette formule aussi succincte que limpide: «n’est pas raisonnable un fondement décisionnel qui donne sa caution à une conduite moralement scandaleuse» (paragr. 20).

Faits

Pour donner un peu de contexte, l’employeur reprochait au plaignant d’avoir menti à de nombreuses reprises sur sa situation familiale afin de bénéficier indûment d’un congé spécial mis sur pied durant la pandémie au bénéfice des employés devant s’absenter en raison de la fermeture des écoles et des services de garde. 

Contexte socio-sanitaire

Pour l’arbitre, la gravité objective de la faute de même que les circonstances aggravantes relevées justifiaient de prime abord le congédiement.

Mais, dans un retournement de situation, il a choisi de réduire la sévérité de la sanction parce que l’employeur aurait omis de tenir compte de la circonstance atténuante «la plus importante», soit le contexte socio-sanitaire qui avait cours au moment des faits en litige:

[89]        […] Je suis en effet d’avis que l’employeur n’a pas tenu compte avec suffisamment d’attention, peut-être par manque de recul, d’un élément factuel central, soit le contexte socio sanitaire qui prévalait à ce moment. De fait, l’anxiété et l’angoisse qui ont marqué pour beaucoup de gens le début de la période de pandémie ont entraîné des réactions parfois étonnantes. Dans le cas [du plaignant], cela a mené à des perceptions probablement inexactes quant aux dangers réels que pouvait représenter la maladie sur son entourage familial immédiat et lui a fait oublier l’importance de supporter les autres membres de son équipe durant cette période difficile. C’est cette situation qui l’a finalement amené à considérer le mensonge comme une façon appropriée de justifier ses absences du travail. Il a ensuite réitéré ce mensonge à plusieurs occasions, se plaçant ainsi clairement en porte-à-faux par rapport à ses obligations professionnelles.

Banalisation de la malhonnêteté

Le juge de la Cour supérieure ne s’est pas montré du même avis.

Dans un premier temps, le juge a relevé les conclusions de faits retenues par l’arbitre:

  1. le plaignant travaillait au sein d’un service essentiel;
  2. il a proféré un mensonge prémédité et répété;
  3. il a abandonné les membres de son équipe à leur sort;
  4. il n’a admis les faits que lors de l’audience devant l’arbitre, et ce, du bout des lèvres;
  5. il n’a exprimé aucun remords, jugeant au contraire que sa conduite avait été acceptable;
  6. il a rejeté le blâme sur son supérieur, qu’il juge peu compatissant.

Le juge souligne ensuite qu'il faut éviter de banaliser pareille conduite et de victimiser le plaignant, estimant que c'est ce que l'arbitre aurait fait «notamment en le décrivant comme ayant été «empêtré» dans son mensonge, comme s’il n’avait eu d’autre choix que de persister une fois le mensonge lancé» (paragr. 19).

Faute ne pouvant être atténuée par des facteurs extrinsèques

Puis, le juge a rappelé le rôle cardinal du devoir d’honnêteté dans les relations employeur-employé, en plus d’affirmer que celle démontrée par le plaignant ne pouvait être excusée par des facteurs extrinsèques:

[21]        Dans le monde du travail, l’honnêteté et l’intégrité sont des valeurs non négociables. Elles ne sont pas à géométrie variable au gré des circonstances. Aucun facteur extrinsèque ne peut ni justifier ni atténuer une telle malhonnêteté, laquelle contrevient non seulement à l’obligation de loyauté de l’employé, mais aussi à son obligation d’honnêteté, sans oublier celle d’exécuter sa prestation de travail.

[22]        On a tort de banaliser et de relativiser la malhonnêteté. L’honnêteté est le ciment de la société. La société malhonnête d’aujourd’hui est la société corrompue de demain.

[23]        Voilà une contrainte juridique que l’arbitre a fait défaut de respecter. C’est donc à tort que le syndicat plaide que, en considérant le contexte socio-sanitaire comme facteur atténuant, l’arbitre restait à l’intérieur de la sphère d’analyse qui lui était propre.

Obligations civiques

Le juge ne s’est toutefois pas arrêté aux obligations du plaignant en tant que salarié, soulignant également son manque d’éthique «civique»:

[24]        Le comportement du plaignant est d’autant plus choquant qu’il mettait en péril le fonctionnement d’un service essentiel, plaçant ses intérêts personnels au-dessus de ceux de la société, manquant ainsi non seulement à ses obligations professionnelles, mais aussi à ses obligations civiques.

Rupture du lien de confiance

Le juge a également constaté que l’arbitre avait omis de procéder à l’analyse de la rupture du lien de confiance à l'égard d'un plaignant, qui se refusait à toute contrition et rejetait le blâme sur les autres:

[25]        En s’appuyant sur l’affaire McKinley, l’arbitre n’a pas fait l’analyse de la rupture du lien de confiance. Il en eût été autrement si, à chaudes larmes, le plaignant avait exprimé un repentir sincère en jurant de ne pas recommencer. Mais au lieu d’agir ainsi, le plaignant persiste et signe, ne portant aucun jugement défavorable sur ses agissements de mars 2020 et ne faisant preuve d’aucune autocritique.

Conduite odieuse

Enfin, le juge termine son analyse du congédiement avec un ultime trait pour le moins virulent à l’encontre de la conduite du plaignant:

[27]        Le dossier est particulièrement antipathique en ce que, selon les faits tels que retenus par l’arbitre, le plaignant, loin d’être effarouché par la maladie, a agi comme il l’a fait sans autre but que de donner effet à une certaine entente qu’il avait prise avec sa conjointe, ce qui rend son comportement encore plus odieux, en concoctant, à cette seule fin, un tissu de mensonges tout en s’appropriant frauduleusement une rémunération à laquelle il n’avait pas droit.

Conclusion

À moins d’une intervention de la Cour d’appel, voilà une décision qui devrait recadrer le tir lorsqu’il est question de malhonnêteté en milieu de travail, d’autant plus qu’une seconde sentence arbitrale (Syndicat des technologues d'Hydro-Québec, SCFP section locale 957 et Hydro-Québec), mettant en cause le même employeur, vient d’annuler un congédiement sensiblement pour les mêmes motifs que ceux en l’espèce.

C’est d’ailleurs à se demander pourquoi cette seconde sentence n’a pas également été portée en contrôle judiciaire…